Versailles c. R., 2023 QCCA 1046 : Les limites du pouvoir du juge lors de la détermination de la peine et le retour en force de l’emprisonnement avec sursis
Par Zakary Lefebvre, avocat
Le 7 novembre 2022, avec l’entrée en vigueur du projet de loi C-5, la Chambre de communes rétablissait la possibilité d’octroyer un emprisonnement avec sursis pour un nombre important d’infractions. En effet, l’article 742.1 du Code criminel (« C.cr. ») permet désormais au Tribunal d’ordonner un emprisonnement avec sursis si l’inculpé : (1) a été condamné à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans; (2) aucune peine minimale n’est prévue; (3) la peine dans la collectivité ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et (4) s’il ne s’agit pas d’une infraction de tentative de meurtre, de torture, d’encouragement au génocide, d’une infraction de terrorisme et d’une infraction d’organisation criminelle.
Contexte
L’appelant, se pourvoit contre un jugement de la Cour du Québec, rendu par l’Honorable Serge Champoux (« juge de première instance »), lequel lui imposait une peine de dix mois d’emprisonnement suivi d’une probation de deux pour une culture illégale de cannabis, possession de cocaïne et possession d’amphétamine.
À la suite d’une perquisition au domicile de l’appelant, les policiers découvrent une serre souterraine avec une entrée cachée dans laquelle sont cultivés 247 plants de cannabis. De la cocaïne et des amphétamines sont également découvertes.
Lors de l’audition sur la détermination de la peine, aucune partie ne présente de témoin. L’intimé propose une peine de dix mois alors que l’appelant suggère de sursoir au prononcé de la peine et d’imposer une probation, incluant des travaux communautaires et possiblement une amende.
Au cours des plaidoiries, l’appelant faisait valoir que sa consommation de cannabis était à des fins thérapeutiques et personnelles ce qui, selon lui, militait pour une peine plus clémente.
Conformément à l’article 723 du C.cr., le juge de première instance a alors avancé la possibilité de faire entendre un expert en pharmacologie ayant récemment témoigné devant lui dans le cadre d’un autre procès, afin que celui-ci exprime son opinion sur la quantité de cannabis requise pour subvenir à des besoins thérapeutiques. Le juge de première instance a également évoqué la possibilité de faire témoigner un second expert, un lieutenant-détective, pour témoigner sur la capacité de production d’une serre comme celle de l’appelant,
Malgré l’opposition de l’appelant et une demande en récusation – qui fut rejetée – les deux experts ont témoigné à l’initiative du juge. Sur la question de savoir si l’appelant cultivait du cannabis uniquement à des fins thérapeutiques, le juge de première instance retient du témoignage de son expert que seulement quatre plants de cannabis auraient suffi. Sur la base de cette affirmation et au regard du nombre de plants retrouvés sur les lieux, le juge de première instance a déterminé que l’accusé ne cultivait pas du cannabis qu’à ses fins thérapeutiques et a imposé une peine de dix mois d’incarcération à l’appelant.
Décision
Questions en litige
1. Le juge a-t-il fait preuve de partialité dans son application de l’article 723 C.cr.?
2. La peine est-elle manifestement non indiquée?
Analyse
1. Le juge a-t-il fait preuve de partialité dans son application de l’article 723 C.cr.?
Le juge Kalichman rappelle d’abord la forte présomption d’impartialité dont bénéficie les juges et que le fardeau pour établir une crainte raisonnable de partialité est onéreux. Puis, le magistrat aborde les pouvoirs des juges en vertu de l’article 732 du C.cr. ainsi que les limites à ces pouvoirs. Quant aux limites, le juge écrit :
[26] […] L’article 723 n’est pas une invitation faite au juge d’usurper le rôle de l’avocat. Ainsi, avant d’exiger la présentation d’une preuve, le juge devrait consulter les parties par rapport aux éléments recherchés et leur pertinence, tout en leur offrant la possibilité de la présente elle-même. (références omises)
Relativement aux faits en l’espèce, le juge Kalichman retient que l’examen des circonstances dans lesquelles le juge a exigé une preuve additionnelle suivant l’article 723 du C.cr. soulève une crainte raisonnable :
[33] On ne peut reprocher au juge d’avoir été confronté à une situation similaire dans le passé et de connaitre un expert particulier sur le sujet de l’utilisation thérapeutique de la marijuana. Cependant, il y a une différence importante entre identifier la nécessité d’une preuve supplémentaire sur une question tranchée et mener le processus afin de parvenir à un résultat particulier. Plutôt que de rester au-dessus de la mêlée, la conduite du juge laisse penser qu’il a adopté une position contraire aux intérêts de l’appelant. (Nous avons souligné)
Quant à la manière dont la preuve additionnelle a été administrée, le juge Kalichman qualifie celle-ci de problématique. En effet, le juge de première instance a non seulement pris en charge l’administration de la preuve en procédant lui-même à l’interrogatoire en chef des témoins, mais il a abordé des sujets qui n’avaient pas été discutés au préalable avec les parties et qui n’avaient, au mieux, qu’un rapport indirect avec les questions en litige.
Dans ses motifs concordants, la juge Marcotte, avec l’accord du juge Sansfaçon, , a désiré ajouter quelques précisions :
[54] En exigeant d’entendre d’abord un expert sur la consommation de cannabis à des fins médicales, puis un autre sur les capacités de production de la serre ainsi que sur sa sophistication, l’objectif du juge, bien qu’il ait pu sembler être celui d’obtenir un éclairage sur le poids et la valeur des arguments avancés en défense pour expliquer la commission de l’infraction, visait plutôt, à mon avis, à renforcer les arguments menant au rejet de la thèse de la consommation à des fins médicales.Ces deux témoignages [des experts] ne revêtaient aucune autre utilité que de confirmer que quatre plants de cannabis suffisent pour une consommation à des fins médicales (en ce qui concerne M. Ben Amar), tandis que le témoignage du policier Sébastien Ouimette était carrément inutile puisque les photographies et la description de la culture déjà en preuve suffisaient à en apprécier la sophistication et que les propos du policier sur les capacités de production par année ainsi que sur la valeur de la serre étaient sans pertinence, dans la mesure où l’appelant n’a pas été accusé de production en vue d’en faire le trafic, tel que souligné précédemment.
[55] Par conséquent, il m’est impossible de considérer le recours à l’article 723 C.cr. en l’espèce comme une tentative d’assurer l’imposition d’une peine proportionnée au sens de l’arrêt Hamilton, puisqu’à mon avis, une telle preuve n’avait pour but que d’ébranler un facteur atténuant avancé en défense, en usurpant, ce faisant, le rôle de la poursuite, qui avait fait le choix de ne pas produire de preuve contraire à ce sujet. […] (référence omise) (nous avons souligné)
2. La peine est-elle manifestement non indiquée?
Considérant les erreurs de droit du juge de première instance qui ont eu une incidence sur la détermination de la peine, tant le juge Kalichman que la juge Marcotte sont d’avis que la Cour d’appel peut procéder à sa propre analyse pour déterminer la peine appropriée.
Le juge Kalichman, après avoir rappelé que l’ancienne version de l’article 742.1 du C.cr. ne permettait pas l’emprisonnement avec sursis lors du prononcé de la peine par le juge de première instance, est d’avis qu’une peine d’emprisonnement avec sursis de dix mois ne mettrait pas en danger la sécurité de la collectivité et serait conforme aux principes de détermination de la peine.
La juge Marcotte, quant à elle, rappelle que l’alinéa 718.2d) du C.cr. impose au Tribunal l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Sans banaliser la culture du cannabis, puisque l’appelant était un délinquant primaire, sans antécédent judiciaire, père de famille détenant un emploi stable et qui présente un rapport sentenciel somme toute favorable, l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis de dix mois lui apparaissait la peine appropriée.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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