par
Anne-Geneviève Robert
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et
Emmy Falardeau
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10 Mar 2025

Quand les communications deviennent-elles indécentes en droit criminel ?

Par Anne-Geneviève Robert, avocate et Emmy Falardeau, Étudiante

Le 12 septembre 2024, dans l’affaire R. c. Binet[1], la Cour du Québec a rendu une décision importante quant à la définition d’indécence en lien avec des communications échangées via messages texte. La Cour du Québec s’est appuyée sur l’arrêt Labaye[2]afin de réitérer ce qui relève ou non de l’indécence et de l’obscénité.

Contexte de l’affaire : communications indécentes

Sur une période s’étalant sur près de trois mois, la victime reçoit plusieurs messages textes à connotation sexuelle d’un inconnu. Celui-ci se fait insistant sur le désir de voir sa poitrine ou encore de consommer une relation sexuelle avec cette dernière, et ce, même si la victime exprime à plusieurs reprises être indisposée par les messages.  Elle porte alors plainte à la police, et une enquête permet de découvrir qui est l’auteur des messages textes. Le défendeur est arrêté puis accusé selon les termes de l’art. 372(2) du Code criminel[3] d’avoir transmis des communications indécentes à la plaignante avec l’intention de l’alarmer ou de l’ennuyer.

Communications indécentes

Art. 372(2) Commet une infraction quiconque, avec l’intention d’alarmer ou d’ennuyer quelqu’un, lui fait ou fait à toute autre personne une communication indécente par un moyen de télécommunication.

La Cour du Québec a statué que malgré leur caractère impoli, les communications du cas d’espèce n’étaient pas dégradantes ou déshumanisantes au point d’être qualifiées d’indécentes. Conséquemment, le défendeur a été acquitté[4].

Décision : communications indécentes ou simple nuisance ?

Question en litige : Les communications sont-elles indécentes selon le test élaboré par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Labaye[5]?

Dans le jugement R. c. Binet, la Cour a souligné que bien que certaines dispositions du Code criminel réfèrent à l’indécence, celui-ci ne définit pas officiellement la notion. Conséquemment, c’est la common law qui permet de trancher si une communication doit être qualifiée d’indécente d’un point de vue criminel.

Le Tribunal doit suivre une analyse en deux temps: il faudra, d’abord, démontrer l’existence d’un préjudice pour autrui puis déterminer si ledit préjudice atteint un degré tel qu’il compromettrait le bon fonctionnement de la société[6].

La jurisprudence a dégagé trois types de préjudices susceptibles de mener à une conclusion d’indécence[7] :

  1. Le préjudice causé à ceux dont l’autonomie et la liberté peuvent être restreintes du fait qu’ils sont exposés à une conduite inappropriée;
  2. Le préjudice causé à la société du fait de la prédisposition d’autrui à adopter une conduite antisociale; et
  3. Le préjudice causé aux personnes qui participent à la conduite.

Pour le degré de préjudice, le Tribunal doit déterminer s’il est grave au point d’être incompatible avec le bon fonctionnement de la société. Ce critère est exigeant, puisqu’il sous-tend qu’à titre de société, nous ayons une certaine tolérance à l’égard de comportements que nous désapprouvons certes, mais qui ne sont pas déraisonnables au point de nuire au fonctionnement de la société[8].

Dans le cas d’espèce, le Tribunal est venu à la conclusion que le premier type de préjudice établi dans l’arrêt Labaye est en cause. Il s’agit d’un préjudice où il doit y avoir des risques d’exposition du public à des actes ou du matériel insupportables, ou encore que les individus doivent modifier leurs habitudes afin d’éviter d’y être exposés[9]. En l’occurrence, il s’agirait de l’exposition de la victime puisqu’elle est la seule destinataire des communications. L’objectif de cette mesure est de protéger les victimes contre des actions (ou du matériel) qui offenseraient au point de réduire leur qualité de vie. La simple nuisance ne suffit pas, seule une conduite constituant une atteinte morale grave et profondément offensante nécessite d’être protégée de la vue du public par une sanction criminelle[10].

Dans les circonstances, le Tribunal doit faire l’analyse des propos tenus par le défendeur dans les échanges textes afin d’évaluer si ceux-ci contreviennent aux normes sociétales. Il a été établi que les normes sociétales touchées par le contenu des messages du défendeur étaient les droits à l’autonomie, l’égalité entre les sexes ainsi que la dignité de la personne[11]. La Cour a déterminé que les propos tenus par le défendeur portaient atteinte à l’autonomie décisionnelle de la victime sur le plan sexuel. Il a aussi été retenu que les communications ont eu pour effet d’objectifier la victime, ce qui heurtait les normes sociales nommées ci-haut[12].

Lors de la deuxième étape, le Tribunal devait évaluer si le risque de préjudice était suffisamment grave pour que les communications soient qualifiées de criminellement indécentes[13]. Dans le cas d’espèce, il a été considéré que puisque les communications à caractère sexuel avaient lieu entre deux individus majeurs et que les échanges avaient lieu dans un contexte privé et n’étaient pas susceptibles d’être vus par une autre personne que les parties concernées, le degré de préjudice requis n’était pas atteint et conséquemment, on ne pouvait pas appliquer le concept de l’indécence à la situation[14].

« Enfin, malgré le caractère impoli, irrespectueux et même vulgaire du contenu des messages, de même que le ton directif, voire imposé, qui est employé par le défendeur, les communications sous étude ne sont pas dégradantes ou déshumanisantes au point d’être qualifiées d’indécentes. Le matériel dont il est ici question ne peut être qualifié « d’insupportable », même aux yeux d’une personne si prude et vertueuse soit-elle. »[15]

Bien que les communications aient été inquiétantes pour la victime et auraient pu être qualifiées de communications harcelantes en vertu de l’art. 372(3) du Code criminel, ce n’est pas l’accusation dont le tribunal a été saisi. Par ailleurs, l’art. 372(3) du Code criminel ne constitue pas une infraction moindre et incluse à celle de l’art. 372(2), conséquemment, le défendeur a été acquitté de l’accusation portée contre lui[16].

Commentaire

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Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] 2024 QCCQ 4852

[2] R. c. Labaye, 2005 CSC 80

[3] L.R.C. 1985, c. C-46

[4] R. c. Binet, préc. note 1, par. 52 et 56

[5] R. c. Labaye, préc. note 2

[6] R. c. Binet, préc. note 1, par. 19

[7] R. c. Labaye, préc. note 2, par. 36

[8] R. c. Binet, préc. note 1, par. 24

[9] R. c. Labaye, préc. note 2, par. 42

[10] R. c. Binet, préc. note 1, par. 22

[11] Id., par. 47

[12] Id., par. 48

[13] Id., par. 49

[14] Id., par. 50, 51 et 53

[15] Id, par. 52

[16] Id, par. 53 et 54

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