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21 Mar 2025

R. c. Pichette, 2025 QCCQ 15

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

PÉNAL (DROIT) : Après avoir relevé différentes contraventions à la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre alors en vigueur, le tribunal conclut qu’un doute raisonnable subsiste quant au fait que l’agent ayant manipulé l’éthylomètre approuvé était bien un technicien qualifié en éthylomètre au moment des faits et, en conséquence, quant à la fiabilité des résultats obtenus à la suite de ses manipulations.

2025EXP-673Trois étoiles 

Intitulé : R. c. Pichette, 2025 QCCQ 15 *

Juridiction : Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale (C.Q.), Longueuil

Décision de : Juge Jean-Philippe Marcoux

Date : 13 janvier 2025

Références : SOQUIJ AZ-52087155, 2025EXP-673 (34 pages)

Résumé

PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions routières — alcoolémie — alcoolémie supérieure à la limite permise — échantillon d’haleine — présomption d’exactitude — article 320.31 (1) C.Cr. — conditions d’application — manipulation de l’éthylomètre approuvé par un technicien qualifié — modification législative — validité de la désignation du technicien qualifié — maintien des compétences — point de départ du calcul du délai — interprétation des articles 21 et 25 de la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre — interprétation de «dans les derniers 90 jours» et «dans les douze (12) derniers mois» — délais récurrents — perte de la qualification — articles 18, 19, 21 et 24 à 27 de la politique — controverse jurisprudentielle — interprétation de «exercice» (art. 21 a) ii) de la politique) — absence d’acte de désignation — supervision par le directeur du poste de police, l’École nationale de police et le ministre — fiabilité des résultats — doute raisonnable — acquittement.

INTERPRÉTATION DES LOIS — interprétation contextuelle — cohérence — interprétation téléologique — interprétation des articles 21 et 25 de la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre — interprétation de «dans les derniers 90 jours» et «dans les douze (12) derniers mois» — définition de «règlement» (art. 2 (1) a) de la Loi d’interprétation) .

PÉNAL (DROIT) — preuve pénale — présomption d’exactitude — article 320.31 (1) C.Cr. — conditions d’application — manipulation de l’éthylomètre approuvé par un technicien qualifié — modification législative — validité de la désignation du technicien qualifié — maintien des compétences — Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre — perte de la qualification — fiabilité des résultats — doute raisonnable — conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise.

ADMINISTRATIF (DROIT) — actes de l’Administration — divers — Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre — définition de «règlement» (art. 2 (1) a) de la Loi d’interprétation) — politique prise «dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale» (art. 2 (1) a) de la Loi d’interprétation) — politique gouvernementale de nature législative — infraction criminelle — conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise.

Accusation de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise. Acquittement.

Il est reproché à l’accusé d’avoir eu une alcoolémie égale ou supérieure à la limite permise dans les 2 heures ayant suivi le moment où il avait cessé de conduire. Le coeur du débat dans la présente affaire repose sur la qualification, la désignation et le maintien des compétences du policier qui agissait alors à titre de technicien qualifié en éthylomètre (TQE) et qui a prélevé les échantillons d’haleine de l’accusé. Les tribunaux québécois sont actuellement divisés sur la façon d’interpréter plusieurs dispositions de la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre, en vigueur du 9 février 2020 au 7 mars 2024. Selon l’accusé, le policier aurait contrevenu à la politique à 2 reprises. Lors de ces 2 occasions, le policier aurait omis durant une période supérieure à 90 jours de manipuler un éthylomètre approuvé dans le cadre d’un dossier opérationnel ou dans le cadre d’un exercice, contrairement à ce que prévoit l’article 21 a) de la politique. Puisque rien n’a été fait malgré l’écoulement de ces délais, c’est-à-dire qu’aucun responsable n’a été mis au courant, que la carte de qualification n’a pas été remise à l’École nationale de police du Québec (l’ENPQ) et que le ministre n’en a pas non plus été avisé pour modifier la désignation en conséquence ainsi que le prévoit la politique, l’accusé allègue que cela soulève un doute raisonnable sur la qualification du policier à titre de TQE. Premièrement, la poursuite soutient que, pour bénéficier de la présomption d’exactitude prévue à l’article 320.31 (1) du Code criminel (C.Cr.), elle n’a pas à démontrer que le policier ayant manipulé l’éthylomètre approuvé au moment des faits était bien un TQE. Deuxièmement, selon la poursuite, la preuve démontre que le policier était bien désigné à titre de TQE au sens du Code criminel. Une contravention à la politique n’aurait que des conséquences administratives. Troisièmement, la poursuite souligne qu’une interprétation appropriée de la politique fait en sorte que, au moment des événements, le policier respectait de nouveau les 3 critères de maintien de ses compétences conformément aux articles 21 et 25 de la politique, et rien ne permet de soulever un doute raisonnable au sujet de sa qualification ni au sujet de la fiabilité des résultats obtenus à l’aide de l’éthylomètre approuvé qu’il a manipulé.

Décision
Les contraventions à la politique invoquées doivent être évaluées au cas par cas afin de pouvoir déterminer si, au moment des faits, un doute raisonnable subsiste quant à la qualification de l’agent ayant agi à titre de TQE. La poursuite doit quand même démontrer hors de tout doute raisonnable que l’agent ayant manipulé l’éthylomètre approuvé au moment des faits était bien un TQE. Cela est nécessaire puisqu’il s’agit de l’une des conditions d’application de la présomption d’exactitude prévue à l’article 320.31 (1) C.Cr. et, à défaut d’engager cette dernière, cela demeure nécessaire afin de garantir la fiabilité du résultat des analyses de l’éthylomètre approuvé. La manipulation d’un tel appareil par un agent qui n’est pas ou n’est plus un TQE suffit à elle seule pour susciter un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats obtenus.

Bien que la politique soit un document gouvernemental qui ne corresponde pas à la définition traditionnelle de «loi» ou de «règlement», elle répond néanmoins à la définition de «règlement» prévue à la Loi d’interprétation puisqu’elle est prise dans l’exercice du pouvoir conféré par l’article 320.4 C.Cr. Subsidiairement, la politique n’est pas, de toute façon, de nature administrative, mais bien de nature législative. En effet, elle est autorisée par le Code criminel, elle établit des normes générales se voulant obligatoires et elle est suffisamment accessible et précise. Elle a donc un effet juridique semblable à celui d’un règlement municipal ou d’une règle d’un barreau provincial.

Une lecture combinée des articles 18, 21 et 24 de la politique indique 4 conséquences lorsque le TQE qui ne satisfait pas aux 3 critères de maintien des compétences: 1) il ne peut plus manipuler un éthylomètre approuvé dans un cas précis, soit «afin de procéder à une analyse d’échantillons d’haleine faisant suite à un ordre donné en vertu du sous-alinéa 320.28 (1) a) i) du Code criminel» (art. 24 de la politique); 2) il perd sa qualification; 3) le directeur du corps de police doit retourner à l’ENPQ la carte de qualification; et 4) l’ENPQ avise le ministre pour que les actes de désignation soient modifiés en conséquence. Il est nécessaire d’interpréter l’article 25 de façon cohérente avec les articles 18, 21 et 24. Ainsi, même si le TQE peut de nouveau manipuler un éthylomètre approuvé pour toute analyse d’échantillon d’haleine, s’il veut le faire dans le cadre d’un dossier opérationnel faisant suite à un ordre donné en vertu de l’article 320.28 (1) C.Cr. — par opposition à un exercice, par exemple —, encore faut-il qu’il ait retrouvé sa qualification, y compris sa carte, et que sa désignation à titre de TQE soit de nouveau effective. Cette interprétation est également conforme avec l’objet de la politique. Conclure simplement que le TQE peut recommencer à manipuler un éthylomètre approuvé dans toute circonstance et sans autre formalité dès qu’il satisfait de nouveau aux 3 critères de maintien des compétences équivaut à interpréter isolément l’article 25 de la politique malgré ce que les articles 18, 21, 24 et 26 révèlent quant aux responsabilités du directeur du corps de police, de l’ENPQ et du ministre. La qualification du TQE, sa désignation et le maintien de ses compétences ne sont pas uniquement commodes à des fins administratives; ils sont nécessaires afin de s’assurer de la fiabilité des analyses d’échantillons d’haleine prélevés à l’aide d’un éthylomètre approuvé. De plus, l’économie de la politique fait en sorte que la qualification, la désignation et le maintien des compétences du TQE demeurent contrôlés par le directeur du corps de police, l’ENPQ et le ministre. Pour que les normes établies par la politique aient un effet concret permettant ultimement de garantir la fiabilité du processus, il est normal que des sanctions existent pour les TQE qui y contreviennent. Cette interprétation permet aussi d’assurer l’uniformité de la qualification et de la compétence des TQE à l’échelle de la province.

Quant à l’interprétation de l’article 21 de la politique, les expressions «dans les derniers 90 jours» et «dans les douze (12) derniers mois» ont pour point de référence le dernier moment où un TQE a utilisé un éthylomètre approuvé au sens de la politique, que ce soit à la suite d’un ordre formulé en vertu de l’article 320.28 (1) C.Cr. dans le cadre d’un dossier opérationnel ou encore lors d’un exercice. Il s’agit nécessairement de délais récurrents. La tâche des TQE est complexe et, selon une interprétation harmonieuse de la politique, il est nécessaire que ces derniers effectuent au minimum un test dans le cadre d’un dossier opérationnel ou encore un exercice comprenant 2 séquences d’opérations, et ce, tous les 90 jours. Il en va de même quant à l’exigence de formation dans les 12 derniers mois. De plus, le directeur du poste de police, l’ENPQ et le ministre, qui conservent un rôle de supervision important auprès des TQE, doivent être mis au courant lorsqu’une exigence de la politique n’est pas respectée. Une façon simple de s’en assurer est d’interpréter les exigences quant aux délais de façon récurrente. Autrement, il devient difficile de voir comment les autorités supérieures seraient véritablement en mesure de s’acquitter de leurs responsabilités.

En l’espèce, un doute raisonnable subsiste quant au fait que le policier était bien un TQE au moment des faits et, en conséquence, quant à la fiabilité des résultats générés à la suite de ses manipulations. Ce doute émerge de l’effet cumulatif des circonstances suivantes: 1) l’acte de désignation permettant au policier d’agir à titre de TQE n’a pas été produit et ce dernier ne l’a même jamais vu, alors que, selon l’article 16 de la politique, il s’agit du seul document qui permet à un technicien d’agir à titre de TQE; 2) le policier n’a jamais pris connaissance de la politique, ce qui cadre mal avec ce que sa carte de qualification prévoit, mais qui est cohérent avec sa compréhension erronée qu’aucune conséquence ne découle du fait de ne pas s’y conformer; 3) à 2 reprises et durant des périodes importantes dans l’année ayant précédé le présent dossier, le policier a contrevenu à l’article 21 a) de la politique; 4) pour remédier à ces contraventions, il a effectué des exercices qui cadrent avec la partie supérieure de son registre d’actions, mais la preuve ne démontre pas que les exercices effectués correspondent à la définition d’«exercice» qui figure à l’article 21 a) ii) de la politique; 5) ainsi, il a contrevenu à la politique — la conséquence étant importante puisqu’il a procédé à l’analyse des échantillons d’haleine de l’accusé à l’aide d’un éthylomètre approuvé alors qu’il n’était plus un TQE — et il a été laissé à lui-même afin d’interpréter ses obligations à titre de TQE, n’ayant pas fait l’objet de la supervision requise; 6) le directeur, l’ENPQ et le ministre n’ont pas été informés de la situation ou sont demeurés passifs, et ce, malgré leurs responsabilités à cet égard; et, enfin, 7) la preuve tend à démontrer une forme de laxisme de la part des intervenants désignés par la politique. L’une des conditions d’application de la présomption d’exactitude étant la démonstration hors de tout doute raisonnable que l’agent ayant manipulé l’éthylomètre approuvé est un TQE, le tribunal conclut que la poursuite échoue à faire cette démonstration. Même sans le bénéfice de la présomption d’exactitude, la poursuite devait démontrer que le policier était bien un TQE au moment des faits.

Suivi : Appel d’un acquittement, 2025-02-14 (C.S.), 505-36-002521-252.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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