par
Malika Rougaibi
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24 Mar 2025

Des directives de type Vetrovec inexactes ou imparfaites commandent-elles la tenue d’un nouveau procès?

Par Malika Rougaibi, Avocate

Dans l’arrêt Giroux c. R., 2025 QCCA 72, la Cour d’appel réitère le principe de déférence envers le juge de première instance lorsque des directives sont communiquées au jury. En ce sens, la Cour d’appel souligne que le silence des avocats, tant en poursuite qu’en défense, peut s’avérer fatal lorsqu’un projet de directives leur est communiqué[1], insistant ainsi sur leur responsabilité d’intervenir lorsque les circonstances l’exigent.

Contexte

L’appelant Daniel Giroux est accusé de meurtre au premier degré et de complot en vue de commettre un meurtre. À la suite d’un procès devant jury, il est reconnu coupable des deux chefs d’accusation et se pourvoit contre les verdicts de culpabilité. Essentiellement, l’appelant reproche au juge d’avoir prononcé diverses directives, notamment des directives de type Vetrovec inadéquates et fait valoir que le jury a rendu un verdict déraisonnable.

Les directives de type Vetrovec visent des témoins « tarés[2] » ou « indignes de foi[3] » dont on ne peut présumer qu’ils disent la vérité. Ces directives constituent une « mise en garde claire et précise pour attirer l’attention du jury sur les dangers de se fier à la déposition [de ce type de] témoin sans plus de précautions[4]». Malgré leur importance, la décision de formuler de telles directives relève, la majorité du temps, d’un large pouvoir discrétionnaire[5] du juge. En l’espèce, la poursuite fait témoigner deux individus présents le soir du meurtre (Valade-Williams et Blanchard). Le premier attend son procès tandis que le second a été retrouvé coupable des mêmes chefs d’accusation que l’appelant Giroux. Les témoignages sont qualifiés par la Cour d’appel de « défense traîtresse » (ou « cut-throat defence »)[6] puisque chacun des témoins et l’accusé imputent la participation au meurtre à un autre complice.

L’appelant reproche donc au juge de première instance de ne pas avoir formulé des directives adéquates à l’égard des témoignages de Valade-Williams et Blanchard.

Décision

Les directives communiquées à un jury n’ont pas à être disséquées dans les moindres détails, car « c’est l’analyse de la substance de la directive qui importe[7] ». Bien que la forme des directives de type Vetrovec soit à la discrétion du juge, celles-ci doivent minimalement :

« (1) attirer l’attention du jury sur le témoignage qui nécessite un examen

particulièrement rigoureux; (2) expliquer pourquoi ce témoignage doit être examiné de façon particulièrement rigoureuse; (3) prévenir le jury du danger de prononcer une condamnation sur la foi d’un témoignage non confirmé de ce genre, le jury étant toutefois en droit de le faire s’il est convaincu de la véracité du témoignage en cause; (4) indiquer au jury que, pour déterminer si le récit suspect est véridique, il doit chercher, à partir d’autres sources, des preuves tendant à établir que le témoin douteux dit la vérité quant à la culpabilité de l’accusé[8] »

Dans le cas présent, la Cour souligne que certaines directives présentaient des failles et que différents facteurs auraient pu être mentionnés dans une directive (par exemple, pourquoi le témoignage de Blanchard devait être analysé avec attention, quels facteurs minent sa crédibilité, quelle preuve confirmative était disponible, etc.). Toutefois, le jury était suffisamment outillé pour rendre un verdict raisonnable, car les directives prises dans leur ensemble remplissaient l’objectif derrière une directive de type Vetrovec, soit celui d’informer le jury que le témoin n’est pas digne de foi[9].

Enfin, la Cour d’appel rappelle les principes développés par la Cour suprême dans l’arrêt Abdullahi, notamment le fait que l’exposé au jury est une responsabilité incombant au juge du procès. Toutefois, lorsque le juge transmet ses directives aux avocat.e.s lors d’une conférence préparatoire, ceux-ci doivent, ni plus ni moins, dévoiler leur jeu. Le silence tant par les avocat.e.s en poursuite qu’en défense peut être interprété différemment selon le contexte, le silence peut indiquer :

  • que les directives sont suffisantes;
  • qu’il s’agit d’une décision stratégique afin d’obtenir un avantage en appel;
  • que l’avocat est inexpérimenté en matière de procès devant jury.

Dans le cas de l’appelant, la Cour estime que celui-ci n’a jamais demandé au juge de préciser ses directives puisque des directives plus complètes ou robustes auraient « cibler avec une intensité accrue la force persuasive de la preuve du poursuivant[10] ». En d’autres termes, l’appelant est resté silencieux, car demander des directives plus costaudes aurait eu pour effet d’attirer « l’attention du jury sur des éléments de preuve confirmant un témoignage qui incrimine [l’appelant][11] ».

Conclusion

En somme, bien que les directives puissent présenter des failles comme ce fut le cas en l’espèce, si elles parviennent à informer le jury que le témoin n’est pas digne de foi et à transmettre l’idée que son témoignage doit être abordé avec prudence, l’objectif est accompli.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Art. 650.1 Code criminel.

[2] R. c. Khela, 2009 CSC 4, par. 3.

[3] Id.

[4] Vetrovec c. R., [1982] 1 RCS 811, p.832

[5] R. c. Khela, préc. note 2, par. 5 et 14.

[6] Giroux c. R., 2025 QCCA 72, par. 7.

[7] Giroux c. R., préc. note 6, par.92.

[8] R. c. Khela, préc. note 2, par. 37.

[9] Giroux c. R., préc. note 6, par.92.

[10] Giroux c. R., préc. note 6, par. 46.

[11] Giroux c. R., préc. note 6, par. 73.

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