Journée internationale des droits des femmes 2025 : retour sur la table ronde et entretien avec la Bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau
Par Camille Rochon, Avocate
Le 6 mars 2025, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Barreau du Québec a tenu une table ronde animée par la Bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau. Au cœur des échanges : l’engagement des avocates envers la justice sociale. Nous vous proposons un retour sur cette discussion enrichissante, agrémenté des conseils inspirants de Me Claveau qui a accepté de nous rencontrer à la suite de la table ronde.
La justice sociale: un milieu majoritairement occupé par les femmes
Cette année, à l’occasion de cette table ronde, Me Claveau a choisi de mettre en lumière l’engagement des avocates envers la justice sociale, une thématique qui lui tient à cœur et qui s’inscrit pleinement dans ses valeurs, en plus d’être en parfaite adéquation avec les priorités stratégiques du Barreau du Québec, notamment le renforcement de sa mission de protection du public, en particulier auprès des populations vulnérables. Souhaitant rendre hommage à des avocates engagées et inspirantes qui choisissent de se dédier aux personnes plus vulnérables, Me Claveau a invité quatre panélistes à se joindre à la discussion :
- Me Marie-Livia Beaugé, fondatrice de la Clinique juridique du Grand Montréal,
- Me Frédérique Forget, avocate chez Justice Pro Bono,
- Me Ariane Somma, avocate et médiatrice au sein de son cabinet AS Avocat,
- Me Elizabeth Sigouin, directrice du service d’accompagnement juridique de l’OBNL La Maison Bleue.
Dès le début de la table ronde, Me Claveau a rappelé que 2/3 des avocats pratiquant en OBNL sont des femmes et que parmi les membres du Barreau du Québec déclarant accepter des mandats pro bono, 2/3 sont également des femmes. Pourquoi une telle prédominance des femmes dans cette pratique? Lors de notre entretien postérieur à la table ronde, Me Claveau souligne que ces chiffres sont à l’image de notre société : les professions et rôles d’aide, comme ceux d’infirmières, d’enseignantes, d’éducatrices spécialisées, voire de proches aidantes, sont largement investis par des femmes.
Qu’est-ce qui a amené ces avocates à orienter leur pratique vers la justice sociale? Les quatre avocates ont des parcours et des pratiques bien différents, mais un élément les rallie : le profond désir de mettre leurs connaissances et leurs compétences au profit des personnes plus vulnérables, d’avoir une pratique empreinte d’humanité et d’être des actrices de changement.
Invitées par Me Claveau à définir leur vision de la justice sociale, les avocates ont partagé des réflexions particulièrement intéressantes. Pour elles, la justice sociale est un levier essentiel pour faire respecter les droits des personnes les plus vulnérables et prévenir les abus. Pour ce faire, il est essentiel de bien saisir les besoins de chaque personne, en prenant en considération les facteurs qui lui sont propres et qui peuvent constituer des facteurs de vulnérabilité, tels que le niveau de littéracie. Afin de réellement venir en aide à ces personnes, la construction d’une relation de confiance est indispensable, donnant ainsi à cette pratique une dimension profondément humaine.
Une pratique stimulante et à leur image
Plus tard dans la discussion, Me Claveau a souligné que plusieurs étudiants en droit choisissent le droit parce qu’ils ont des idéaux de justice et qu’ils veulent aider les gens, mais que beaucoup s’éloignent de ce projet initial, notamment en raison de divers préjugés à propos de la pratique en milieu communautaire ou orientée vers la justice sociale.
Amenées à se prononcer sur la question des revenus, les quatre avocates assurent qu’il y est possible de choisir une telle pratique tout en ayant des revenus suffisants et en vivant bien. Il est évidemment question de priorités personnelles, mais pour elles, la richesse de cette pratique est qu’elle est alignée avec leurs valeurs, mais aussi qu’elle leur offre de la flexibilité et plus de temps pour elles, d’autres projets ou leurs familles, de précieux avantages.
Qu’en est-il de la fausse croyance selon laquelle il s’agirait d’une pratique moins stimulante sur le plan intellectuel? Les avocates défont cette idée préconçue et rappellent que dans leur rôle, elles interviennent souvent en dernier recours pour des personnes confrontées à des problématiques juridiques complexes, rarement traitées par la jurisprudence, ce qui pose des questions juridiques très intéressantes.
En réalité, c’est tout le contraire : loin d’être dénuée de défis intellectuels, cette pratique est aussi largement stimulante du fait qu’elle se situe souvent dans l’urgence, exigeant la mobilisation de multiples ressources pour trouver des solutions adaptées aux besoins des personnes. Les avocates soulignent aussi qu’il faut se questionner sur la notion de réussite et de ce qui est stimulant pour soi. Une chose est certaine, cette pratique sollicite leur créativité et les confronte à des défis humains profondément motivants.
Les défis de la pratique
Malgré qu’elles soient passionnées par leur travail, les avocates reconnaissent que cette pratique implique aussi quelques défis. Questionnées sur les principales difficultés qu’elles rencontrent, elles évoquent le manque de ressources, le sentiment d’impuissance face aux limites de leurs services et des recours judiciaires et la charge émotive qui peut devenir difficile.
Le sujet de la conciliation travail-famille a été brièvement abordé lors de l’échange, certaines des avocates étant mères. Bien que les choses évoluent, cet enjeu demeure d’actualité. Questionnée à ce sujet lors de notre échange postérieur, Me Claveau a mentionné vouloir encourager les parents à tirer pleinement parti des congés parentaux auxquels ils ont accès et à les partager de façon équilibrée et adaptée à la réalité des partenaires dans le couple. Les personnes qui font le choix de la solo-parentalité, de plus en plus nombreuses, doivent aussi se permettre de vivre leur congé parental et de pleinement profiter de ces moments. Évoquant l’idée que certaines personnes peuvent être inquiètes de ralentir leur parcours professionnel en raison de la parentalité, Me Claveau se veut rassurante et invite les avocates et avocats à profiter de l’expérience de la parentalité sans craindre pour l’avenir. Elle rappelle qu’une carrière est un long parcours et qu’il est tout à fait possible de faire des pauses ou même de se tromper en cours de route.
Les conseils des panélistes
Pour conclure la table ronde, les avocates ont partagé des conseils inspirants. Elles insistent sur l’importance de ne pas avoir peur de se tromper et de comprendre qu’il n’est pas nécessaire de faire un choix de carrière définitif dès le départ et qu’il est possible de réorienter son parcours vers quelque chose qui nous stimule. Elles encouragent également les avocates à s’écouter et à rester fidèle à leurs aspirations profondes. Elles mentionnent qu’il ne faut pas hésiter à s’engager dans des projets qui nous passionnent, même de manière ponctuelle, et saisir les opportunités qui se présentent. Enfin, elles rappellent que l’implication envers la justice sociale doit être authentique et qu’il faut faire ce choix de carrière pour les bonnes raisons.
Le mot de la fin : l’expérience et les conseils de Me Claveau
Bâtonnière du Québec depuis 2021, Me Claveau a un parcours d’exception et se démarque par son implication de longue date au sein de la communauté juridique, incluant le Barreau du Québec. Son leadership inspire plusieurs avocates à s’impliquer et à prendre leur place dans la profession.
Lorsque nous lui avons demandé ce qui l’avait amenée à s’impliquer au sein du Jeune Barreau de Québec et dans la communauté juridique si tôt, Me Claveau indique qu’elle a toujours eu l’envie de l’implication, et ce, dès le secondaire. L’engagement occupe depuis toujours une place essentielle dans sa vie et pour elle, il s’agit d’une opportunité en or de sortir de son quotidien, de découvrir de nouvelles réalités et de faire des rencontres inspirantes, tout en ayant énormément de plaisir.
D’ailleurs, Me Claveau a observé que depuis la pandémie, les jeunes avocats et avocates sont moins impliqués qu’ils ne l’étaient auparavant. Me Claveau a à cœur l’implication et le bien-être des jeunes avocates et avocats et pour cette raison, elle les invite à s’impliquer dans leurs communautés, que ce soit en soutenant une cause qui leur tient à cœur ou en rejoignant le conseil d’administration d’une organisation qui les intéresse.
Finalement, en cette Journée internationale du droit des femmes, Me Claveau se dit très inquiète pour les droits des femmes en général, surtout à la lumière des événements actuels chez nos voisins du Sud. Elle souligne qu’il sera très crucial pour les avocates de demeurer particulièrement vigilantes dans les années à venir. Selon Me Claveau, il est également essentiel que les femmes occupent davantage les postes de pouvoir. Elle invite donc les avocates à s’engager dans leur communauté, à saisir et même créer toutes les opportunités professionnelles qui les motivent. Finalement, elle conclut avec un conseil essentiel : face aux reculs des droits des femmes qui se profilent, il sera impératif de défendre avec vigueur les acquis des luttes passées, sans hésiter à se faire entendre et à jouer du coude.
Nous remercions chaleureusement Me Claveau pour sa disponibilité, sa générosité et ses précieux conseils.
*Note : Le terme « femme » utilisé dans cet article désigne toutes les personnes qui s’identifient en tant que femmes, qu’elles soient cisgenres ou transgenres, ainsi que celles qui s’identifient en dehors des catégories de genre traditionnelles. Il est employé dans un souci d’inclusivité et d’égalité, sans exclure aucune personne selon son identité de genre.
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