par
Nadim Paul Fares
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et
Sabrina Renaud
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14 Avr 2025

Le statut parental écarté : la Cour d’appel du Québec confirme qu’il ne constitue pas un motif de discrimination

Par Nadim Paul Fares, Avocat et Sabrina Renaud, Étudiante

En 2024, la Cour d’appel du Québec dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil[1] confirme que le statut parental n’est pas un motif de discrimination protégé par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.[2] Cette décision valide l’exclusion des congés de maternité, de paternité et parentaux du calcul du congé d’assiduité, un avantage réservé aux employés ayant un taux d’absentéisme limité.

Contexte

En 2018, le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 (ci-après Syndicat) signe une convention collective avec le Réseau de transport de Longueuil. Celle-ci prévoit un congé d’assiduité, un avantage permettant aux employés ayant peu d’absences sur une année de référence de bénéficier d’un congé supplémentaire. Certaines absences sont exclues du calcul, notamment les accidents de travail et les congés sociaux. En revanche, les congés de maternité, de paternité et parentaux sont comptabilisés comme des absences, ce qui peut empêcher les employés qui en bénéficient d’obtenir le congé d’assiduité. En 2019, le Syndicat conteste cette exclusion, la jugeant discriminatoire.

Le Syndicat soutient que l’exclusion des congés de maternité, paternité et parentaux constitue une discrimination fondée sur l’état civil, interdite par l’article 10 de la Charte québécoise. Selon lui, ces absences devraient être traitées comme les congés sociaux et ne devraient pas affecter l’éligibilité des employés au congé d’assiduité. Plus particulièrement, il affirme que l’exclusion du congé de maternité constitue une discrimination fondée sur la grossesse.

Décision de l’arbitre

L’arbitre rejette le grief du Syndicat en se basant sur l’arrêt Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord[3], qui exclut la situation parentale de la notion d’état civil protégée par la Charte québécoise[4].

Il souligne que le congé d’assiduité est un avantage lié à la présence au travail et non un droit automatique. Tous les salariés doivent remplir les conditions pour y être admissibles. L’arbitre conclut ainsi que permettre à une salariée en congé de maternité d’y avoir accès reviendrait à lui accorder un avantage dont seraient privés les autres employés ayant dépassé les limites d’absence. L’arbitre conclut donc que cette exclusion n’est pas discriminatoire.

Après avoir contesté l’affaire devant la Cour supérieure[5] sans succès, le Syndicat porte ensuite l’affaire devant la Cour d’appel.

Décision de la Cour d’appel

Il est important de rappeler que cette affaire s’inscrit dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale, ce qui limite l’intervention des tribunaux. Conformément aux principes établis en matière de contrôle judiciaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable[6]. Cela signifie que la Cour supérieure ne doit pas substituer sa propre décision à celle de l’arbitre, mais seulement s’assurer que sa décision est raisonnable. Les sentences arbitrales sont donc souvent maintenues, car les tribunaux font preuve de déférence à leur égard.

Appliquant cette norme de contrôle, la Cour d’appel rejette l’appel du Syndicat et confirme le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre.

S’appuyant sur l’arrêt SIISNEQ, la Cour d’appel rappelle que l’état civil, tel que défini par la Charte québécoise, n’inclut ni la situation parentale ni l’état parental.

La Cour rappelle également que contrairement à l’article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés[7], la liste des motifs de discrimination de la Charte québécoise est exhaustive. On ne peut donc pas y ajouter des motifs analogues par une simple interprétation.

De plus, la Cour rappelle qu’« une distinction défavorable n’est pas nécessairement discriminatoire[8] ». En effet, pour qu’une distinction constitue une discrimination, elle doit être rattachée à un motif prohibé par l’article 10 de la Charte québécoise. En l’espèce, l’exclusion des congés parentaux du calcul du congé d’assiduité repose sur un critère neutre : le nombre total de jours d’absence. Ce critère s’applique uniformément à tous les employés, indépendamment du motif de leur absence, et ne crée donc pas de distinction fondée sur un motif prohibé par la Charte québécoise.

Le groupe de comparaison

Cette décision repose sur le choix du groupe de comparaison. Le Syndicat compare les travailleurs en congé parental avec ceux qui bénéficient de congés sociaux, affirmant que leur absence devrait être traitée de la même façon.

Or, la Cour rejette cette comparaison et retient plutôt un groupe plus large : tous les employés qui s’absentent au-dessus de la limite d’absence imposée, peu importe la raison. Ce raisonnement est conforme à l’approche adoptée dans un tribunal d’arbitrage[9], où l’on a conclu que l’exclusion des congés parentaux d’une politique d’assiduité ne constituait pas une discrimination. Le tribunal a souligné que le critère d’assiduité repose sur un principe neutre applicable à tous les employés, indépendamment du motif de leur absence.

Cependant, une analyse plus nuancée aurait pu être envisagée. Dans Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil[10], la Cour d’appel avait reconnu que l’absence d’une travailleuse enceinte ne devait pas être traitée comme une simple indisponibilité, mais comme une conséquence directe d’un motif protégé, soit la grossesse. Or, dans la présente affaire, la Cour n’a pas approfondi cette distinction entre le congé de maternité et les autres types d’absences, alors qu’elle aurait pu influencer le choix du groupe de comparaison.

Ainsi, la Cour d’appel maintient que l’inadmissibilité au congé d’assiduité découle uniquement du nombre total d’absences, et non de leur motif. Les employés en congé parental ne sont donc pas désavantagés en raison de leur statut parental, mais bien en raison d’une absence prolongée, critère objectif applicable à l’ensemble des travailleurs.

Conclusion

L’arrêt confirme que le statut parental n’est pas un motif de discrimination protégé par la Charte québécoise.

Cette décision rassure les employeurs quant à leur capacité à structurer des politiques d’assiduité fondées sur des critères objectifs, tout en rappelant aux syndicats que certaines revendications doivent être négociées dans les conventions collectives plutôt que contestées.


[1] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204.

[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (Charte québécoise).

[3] 2010 QCCA 497 (SIISNEQ).

[4] Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil,

2020 QCTA 295.

[5] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Martin, 2021 QCCS 4894.

[6] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[7] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11

[8] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, préc., note 1, par. 44.

[9] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) c. Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue, 2022 QCSAT 125727.

[10] Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, 1999 QCCA 13226.

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