12 Nov 2010
Résumé SOQUIJ de la semaine : L’article 585 du Code civil du Québec qui exclut les conjoints de fait de l’obligation alimentaire est déclaré inconstitutionnel par la Cour d’appel
L’omission du législateur québécois d’inclure les conjoints de fait à l’article 585 C.C.Q., qui traite de l’obligation alimentaire, crée une distinction discriminatoire entre ces derniers et les conjoints mariés ou unis civilement qui n’est pas justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés; la réparation appropriée est une déclaration d’invalidité de l’article 585 C.C.Q., laquelle sera toutefois suspendue pour une période de 12 mois.
• 2010EXP-3609
Intitulé : Droit de la famille — 102866, 2010 QCCA 1978
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-019939-099
Décision de : Juges Julie Dutil, Lorne Giroux et Marc Beauregard (diss.)
Date : 3 novembre 2010
Références : SOQUIJ AZ-50685017, 2010EXP-3609, J.E. 2010-1970 (51 pages). Retenu pour publication dans les recueils [2010] R.D.F. et [2010] R.J.Q.
FAMILLE — obligation alimentaire — conjoint — union de fait — constitutionnalité — article 585 C.C.Q. — discrimination.
FAMILLE — union de fait — obligation alimentaire — constitutionnalité — article 585 C.C.Q. — discrimination entre les conjoints de fait et les conjoints mariés.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — divers — Code civil du Québec — conjoints de fait — obligation alimentaire — résidence familiale — patrimoine familial — prestation compensatoire — société d’acquêts.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — état civil (et situation de famille) — conjoint de fait — obligation alimentaire — discrimination entre les conjoints de fait et les conjoints mariés.
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté des demandes constitutionnelles dans le contexte d’une requête pour garde d’enfants, pension alimentaire, somme globale, usage de la résidence familiale, provision pour frais et ordonnance intérimaire. Accueilli en partie, avec dissidence partielle.
Les parties se sont rencontrées en 1992 dans le pays natal de l’appelante alors que cette dernière était étudiante au secondaire et que l’intimé dirigeait une entreprise prospère. En 1995, l’appelante a quitté son pays et les parties ont commencé à faire vie commune. Dans les années qui ont suivi, elle n’a pas occupé d’emploi, bien qu’elle ait tenté à quelques reprises d’entreprendre une carrière de mannequin, et elle a régulièrement accompagné l’intimé lors de ses voyages à travers le monde. Celui-ci pourvoyait d’ailleurs à tous ses besoins ainsi qu’à ceux de leurs enfants. En 2002, après la fin de la vie commune, l’appelante a entamé des procédures. En juillet 2009, la juge de première instance s’est prononcée sur des questions portant sur deux volets: le partage des compétences en matière de mariage et le droit à l’égalité pour les conjoints de fait en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Eu égard à ce deuxième volet, la juge a cherché à établir si les articles du Code civil du Québec portant sur la résidence familiale, le patrimoine familial, la prestation compensatoire, la société d’acquêts et la pension alimentaire pour les conjoints mariés et unis civilement étaient discriminatoires envers les conjoints de fait. Dans un premier temps, elle a conclu que l’appelante n’avait pas démontré les effets concrets de la distinction entre les conjoints de fait et les conjoints mariés et que son recours devait échouer. Poursuivant toutefois son analyse, elle s’est dite d’avis que l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh (C.S. Can., 2002-12-19), 2002 CSC 83, SOQUIJ AZ-50155894, J.E. 2003-102, [2002] 4 R.C.S. 325, qui s’est prononcé sur la question de la discrimination entre conjoints de fait et conjoints mariés, réglait le sort du dossier, la Cour suprême y ayant établi qu’il ne relevait pas de l’article 15 de la charte d’instaurer un régime de protection uniforme et universel sans égard au régime matrimonial choisi et qu’il fallait respecter la liberté de choix de se marier ou non. Enfin, elle a mentionné que, bien que le Québec soit en tête des provinces canadiennes quant au nombre de couples vivant en union de fait et d’enfants qui naissent hors mariage, il ne revient pas au tribunal de légiférer, et ce, même si toutes les autres provinces ont adopté des lois relativement à l’obligation alimentaire entre conjoints de fait. L’appelante invoque quatre moyens d’appel, dont deux relatifs à des oppositions à la preuve et un quant à son droit aux honoraires extrajudiciaires, y compris les frais d’expertise. Son principal moyen concerne la constitutionnalité de plusieurs dispositions du code qui s’appliquent uniquement aux conjoints mariés ou unis civilement.
Décision
Mme la juge Dutil, à l’opinion de laquelle souscrit le juge Giroux: La juge n’a pas commis d’erreur révisable lorsqu’elle a rejeté l’opposition de l’appelante à la recevabilité d’une expertise portant sur l’évolution de la politique législative de l’union de fait au Québec. Le rapport ne se prononçait pas sur l’intention du législateur québécois mais visait à démontrer l’objectif poursuivi par celui-ci et le contexte de l’adoption des mesures contestées. Elle n’a d’ailleurs pas erré en retenant l’opposition au dépôt d’un sondage réalisé par la Chambre des notaires du Québec, ce document n’ayant pas été annoncé et son auteur ne pouvant être interrogé même s’il y interprétait des données. La question principale, portant sur le caractère discriminatoire de certaines dispositions du Code civil du Québec, doit être examinée en deux temps. Eu égard à celles portant sur le partage du patrimoine familial, la protection de la résidence familiale, la société d’acquêts et la prestation compensatoire, ainsi qu’il a été déterminé par la juge, on ne peut mettre de côté Walsh. En l’espèce, les dispositions contestées règlent les rapports patrimoniaux entre des conjoints mariés, et la Cour suprême a clairement exprimé que la liberté de choix quant au mariage est primordiale. Par ailleurs, le législateur québécois a abordé la question des statuts conjugaux et de l’union de fait à plusieurs reprises et il a délibérément décidé de laisser le libre choix aux conjoints quant à la forme d’engagement à laquelle ils souhaitaient souscrire. Cette décision ne contrevient pas à l’article 15 de la charte. Eu égard à l’obligation alimentaire entre conjoints de fait, il faut toutefois conclure que Walsh n’a pas l’autorité de précédent. Non seulement le contexte législatif applicable était différent — les conjoints de fait ayant le droit de demander une ordonnance alimentaire au tribunal —, mais la Cour a également clairement établi la distinction existant entre le partage des biens patrimoniaux et la pension alimentaire. Ainsi, tandis que l’un vise le partage des biens selon un régime contractuel ou légal, l’autre vise plutôt l’atteinte d’un objectif social, qui est de répondre aux besoins des époux et de leurs enfants. En l’espèce, il est nécessaire de déterminer si l’article 585 C.C.Q. viole l’article 15 paragraphe 1 de la charte. À la lumière des facteurs contextuels établis dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (C.S. Can., 1999-03-25), SOQUIJ AZ-50060907, J.E. 99-700, [1999] 1 R.C.S. 497, l’omission du législateur québécois d’inclure les conjoints de fait à l’article 585 C.C.Q. crée une distinction discriminatoire entre eux et les conjoints mariés ou unis civilement, distinction qui est contraire à la charte et qui perpétue l’idée ou le stéréotype voulant que les conjoints de fait soient moins dignes de bénéficier de l’article 585 C.C.Q., qui protège le droit fondamental de satisfaire à des besoins financiers de base à la suite d’une rupture. Cette distinction discriminatoire n’est pas justifiée en vertu de l’article 1 de la charte. D’une part, l’objectif de donner aux couples le choix de la structure de leur relation, invoqué par l’intimé et le procureur général du Québec, ne peut être qualifié d’urgent et réel à l’égard de l’obligation alimentaire, dont l’objectif est social, les dispositions portant sur l’obligation alimentaire ayant dans leur ensemble comme objectif de répondre aux situations de dépendance financière qui existent dans les familles. Par ailleurs, il est possible de s’interroger sur le libre choix exercé par les conjoints qui décident de vivre en union de fait. Dans de nombreuses lois, le législateur envoie un message qui peut laisser croire que, après un certain nombre d’années, les droits et obligations de ces couples seraient semblables à ceux des conjoints mariés. De plus, il faut également considérer que le choix de ne pas se marier peut reposer sur une seule des parties, comme c’est le cas en l’espèce. D’autre part, l’omission d’inclure les conjoints de fait dans l’article 585 C.C.Q. n’est pas raisonnable et sa justification ne peut être démontrée. Il n’y a pas de lien rationnel entre la mesure adoptée et l’objectif du législateur. Par ailleurs, l’atteinte que cette mesure porte au droit à l’égalité n’est pas minimale puisqu’elle vient imposer aux conjoints de fait le fardeau de contracter pour bénéficier de la protection fondamentale offerte par l’article 585 C.C.Q., et ses effets préjudiciables pour le conjoint plus vulnérable et les enfants sous sa garde sont importants. Finalement, il n’y a pas de proportionnalité entre les effets préjudiciables et bénéfiques des mesures en cause. La réparation appropriée dans les circonstances est une déclaration d’invalidité de l’article 585 C.C.Q., celle-ci devant toutefois être suspendue pour une période de 12 mois afin de laisser au législateur le temps de mettre en place une solution constitutionnelle et d’empêcher que des personnes perdent des droits. L’appelante ne bénéficiera pas d’une exemption de la suspension afin de pouvoir entreprendre un recours alimentaire pendant la période de suspension, car cela équivaudrait à donner un effet rétroactif à la déclaration d’invalidité. L’appelante n’a pas droit au remboursement des honoraires extrajudiciaires, mais il y a lieu de lui accorder 25 000 $ à titre de frais d’experts, vu l’utilité de certains rapports.
M. le juge Beauregard, dissident en partie: Il y aurait lieu de déclarer illégaux les articles 585 et 511 C.C.Q. tels qu’ils sont rédigés et d’ordonner que, jusqu’à ce que le législateur intervienne, ceux-ci soient interprétés différemment. Ainsi, en vertu de l’article 585 C.C.Q., les conjoints de même que les parents en ligne directe au premier degré se devraient des aliments et, en vertu de l’article 511 C.C.Q., le tribunal pourrait ordonner à l’un des époux ou à l’un des conjoints de fait de verser des aliments à l’autre au moment où il prononcerait la séparation de corps ou constaterait la rupture d’une union de fait, ou encore postérieurement. Une telle mesure serait à l’avantage des conjoints de fait, qui pourraient en bénéficier pendant les 12 prochains mois, elle ne coûterait rien au Trésor public, elle ne causerait pas de préjudice aux conjoints mariés ou unis civilement et elle correspondrait à la mesure de réparation, qui ne peut être autre. Le présent dossier devrait par ailleurs être renvoyé à la Cour supérieure afin qu’elle continue d’étudier la requête de l’appelante et qu’elle statue sur les honoraires judiciaires.
Instance précédente :
Juge Carole Hallé, C.S., Montréal, 500-04-028504-026, 2009-07-16.
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