17 Juin 2011
Résumé SOQUIJ de la semaine: Les lignes directrices du Québec relatives aux pensions alimentaires pour enfants, bien qu’elles soient discriminatoires envers les mères monoparentales, ne sont pas invalidées puisque l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés trouve application
Cette semaine, le Résumé SOQUIJ discute de l’affaire Droit de la famille — 111526 (2011 QCCS 2662), laquelle traite de la validité constitutionnelle des lignes directrices du Québec relatives aux pensions alimentaires pour enfants.
2011EXP-1817
Intitulé : Droit de la famille — 111526, 2011 QCCS 2662
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-12-265489-025 et autres
Décision de : Juge Diane Marcelin
Date : 26 mai 2011
Références : SOQUIJ AZ-50757362, 2011EXP-1817, J.E. 2011-1006 (43 pages). Retenu pour publication dans le recueil [2011] R.J.Q.
FAMILLE — pension alimentaire — fixation — enfant — application du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants — discrimination — lieu de résidence — jugement déclaratoire.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — divers — Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants — pension alimentaire pour enfants — lignes directrices applicables — lieu de résidence des parents — différence de traitement — violation justifiable en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — divers — motif analogue — lieu de résidence — pension alimentaire — application du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants — différence de traitement fondée sur le lieu de résidence des parents — violation justifiable en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Requête en jugement déclaratoire. Rejetée.
Les requérantes, qui sont toutes divorcées ou en voie de l’être, ont constaté que l’application des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, dans leur situation, leur permettrait de recevoir une pension pour leurs enfants qui serait de beaucoup supérieure à celle qu’elles reçoivent en vertu du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants. Ainsi, leur sort et celui des enfants dont elles ont la garde seraient améliorés. Par conséquent, elles demandent à être soumises aux lignes directrices fédérales, donc d’annuler le décret déléguant au Québec le pouvoir d’établir ses propres lignes directrices dans les cas de divorce. Elles font valoir que l’adoption du décret établit une distinction officielle entre les enfants dont les deux parents résident au Québec et les autres enfants canadiens. Cette distinction, qui est fondée sur le lieu de résidence des parents et qui constituerait un motif analogue de discrimination, porterait atteinte à un droit prioritaire des enfants au soutien alimentaire de leurs parents en faisant fi de leurs besoins selon les ressources des parents et elle porterait aussi atteinte à leur dignité en propageant l’opinion selon laquelle les enfants québécois ne méritent pas des pensions alimentaires aussi élevées que les autres enfants canadiens.
Décision
Les femmes, surtout celles qui vivent en situation de monoparentalité, se trouvent dans une situation de faiblesse économique qui est confirmée d’année en année par les statistiques et qui emporte des conséquences pour leurs enfants: ces derniers sont touchés non seulement par la perte de leur cellule familiale, mais aussi par celle du train de vie auquel ils étaient habitués. Elles se retrouvent victimes d’un préjudice historique basé sur une caractéristique immuable, soit celle d’être femme. Les mères qui résident au Québec en situation de monoparentalité à la suite de procédures de divorce constituent en l’espèce le groupe de comparaison et il faut conclure que la loi crée une distinction entre elles et les mères dans la même situation résidant ailleurs au Canada et que le lieu de résidence constitue pour elles un motif analogue en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La distinction ainsi créée revêt un caractère discriminatoire, les facteurs contextuels énoncés dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (C.S. Can., 1999-03-25), SOQUIJ AZ-50060907, J.E. 99-700, [1999] 1 R.C.S. 497, étant présents. Ainsi, leur analyse démontre que le groupe de comparaison, qui constitue un groupe historiquement désavantagé avec ses caractéristiques immuables, ne mérite pas d’être traité différemment des femmes dans la même situation partout ailleurs au Canada. Toute prétention à l’effet contraire constituerait une atteinte à leur dignité et elle serait discriminatoire. Le principe du fédéralisme coopératif, invoqué par les défendeurs pour justifier les disparités observées, ne peut servir de motif d’immunisation contre une attaque constitutionnelle fondée sur l’article 15 paragraphe 1 de la charte. La conclusion qui s’impose est que le décret est discriminatoire. Il n’y a toutefois pas lieu de l’invalider, puisque l’article 1 de la charte le protège, la violation constatée étant raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique. D’une part, l’adoption de barèmes pour les pensions alimentaires pour enfants correspond à un objectif urgent et réel qui permet d’éviter une grande disparité de jugements, une incertitude ainsi que la survenance de litiges. D’autre part, le critère de proportionnalité établi dans R. c. Oakes (C.S. Can., 1986-02-28), SOQUIJ AZ-86111022, J.E. 86-272, [1986] 1 R.C.S. 103, [1986] D.L.Q. 270 (rés.), est rempli. Premièrement, il y a un lien rationnel entre l’objectif de pallier l’incertitude qui entourait les pensions alimentaires pour enfants et la souplesse dont a fait preuve le gouvernement fédéral au nom du fédéralisme coopératif. Deuxièmement, l’atteinte est minimale puisque le barème québécois ne touche pas toutes les femmes de façon similaire et qu’il permet des dérogations, notamment lorsque les revenus en jeu sont très élevés. Troisièmement, en se remettant dans le contexte de l’époque de l’adoption des barèmes, il faut constater que l’objectif de rationaliser les pensions alimentaires a quand même été atteint. Par conséquent, bien qu’une analyse des effets de ce barème, qui est en application depuis 15 ans, semble importante, surtout en ce qui concerne les notions de temps de garde, de la complexité dudit barème et des contraintes économiques qu’il entraîne pour les mères monoparentales, il demeure que, dans le contexte d’une société juste et démocratique, le fédéralisme coopératif doit avoir ses effets.
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