La position du Conseil du Trésor d’adopter un cadre financier inflexible dès le début de la négociation des conventions collectives du secteur public et de le maintenir tout au long de celle-ci démontre que sa véritable intention était de ne pas négocier le volet salarial; à titre d’employeur, le gouvernement ne pouvait se soustraire à son obligation de négocier de bonne foi (art. 53 C.tr.).
2012EXPT-315
Intitulé : Association des juristes de l’État et Québec (Gouvernement du) (Direction des relations professionnelles, Conseil du Trésor), 2012 QCCRT 0043
Juridiction : Commission des relations du travail, Division des relations du travail (C.R.T.), CQ-2006-0986 et autres
Décision de : M. Louis Garant, juge administratif
Date : 30 janvier 2012
Références : SOQUIJ AZ-50825079, 2012EXPT-315, D.T.E. 2012T-103 (24 pages). Retenu pour publication dans le recueil [2012] R.J.D.T.
TRAVAIL — convention collective — obligation de négocier — dernières offres patronales — secteur public — applicabilité de l’article 53 C.tr. — cadre financier — gouvernement (Conseil du Trésor) — absence de recherche honnête d’un compromis — position inflexible — conditions de travail — règlement de l’équité salariale — Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public — négociation de mauvaise foi — plainte accueillie — demande reconventionnelle.
Plaintes pour manquement à l’obligation de négocier avec diligence et bonne foi. Accueillies en partie. Requêtes reconventionnelles. L’une des requêtes est accueillie.
Il s’agit de plusieurs plaintes portées à l’encontre du gouvernement du Québec, de Mme Monique Jérôme-Forget (en qualité de présidente du Conseil du Trésor) et du président de l’Assemblée nationale alléguant que ces derniers n’ont pas négocié de bonne foi pendant la période de négociation qui s’est terminée par l’adoption, le 15 décembre 2005, de la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public. Les plaignants, des syndicats du secteur public, reprochent aux défendeurs d’avoir négocié de mauvaise foi le règlement du dossier portant sur l’équité salariale en incluant cette matière dans la négociation conclue en 2005. De plus, ils auraient adopté une position inflexible en ce qui a trait à la négociation des salaires. L’employeur soutient qu’il n’a pas négocié de mauvaise foi puisque la proposition faite aux syndicats — soit un redressement de la rémunération globale de 12,6 % étalé sur six ans — tenait compte de l’état des finances publiques. Il affirme que l’équité salariale constitue une augmentation de salaire, soit un débours d’argent provenant des coffres de l’État. Par conséquent, celui-ci devait être inclus dans la proposition faite en ce qui a trait aux augmentations salariales. L’employeur a déposé des «requêtes reconventionnelles», alléguant que les plaignants ont manqué à leur obligation de négocier de bonne foi. Ces derniers ne recherchent aucune conclusion visant l’Assemblée nationale. D’autre part, les parties ont demandé à la Commission de ne pas se prononcer sur les mesures de redressement.
Décision
Afin de s’acquitter de leur obligation de négocier de bonne foi, les parties doivent établir un véritable dialogue et être disposées à échanger et à expliquer leurs positions. Elles ont l’obligation de faire un effort raisonnable afin d’en arriver à la conclusion d’un contrat acceptable (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique (C.S. Can., 2007-06-08), 2007 CSC 27, SOQUIJ AZ-50436503, J.E. 2007-1185, D.T.E. 2007T-507, [2007] 2 R.C.S. 391). Chaque partie doit s’engager à chercher honnêtement un compromis et à se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions. Or, l’adoption, dès le départ, d’une position inflexible ainsi que le maintien de celle-ci tout au long du processus ne constituent pas une négociation de bonne foi. Il ne s’agit pas d’un comportement où l’on s’engage à chercher honnêtement un compromis ni une attitude démontrant un effort véritable et réel de s’entendre. On ne parle pas alors d’une négociation ferme, mais fermée. La façon de faire du gouvernement ne pouvait mener qu’à deux avenues: la partie syndicale acceptait la proposition ou celle-ci lui était imposée. Le gouvernement ne pouvait se soustraire à l’obligation que lui impose le Code du travail de négocier de bonne foi (art. 53), à moins de modifier le code. Bien que les porte-parole gouvernementaux, y compris la présidente du Conseil du Trésor, aient exprimé publiquement leur désir de conclure une convention collective, cet objectif était inatteignable en raison des contraintes imposées par le cadre financier de 12,6 %. Au cours de la période de négociation, l’employeur n’a jamais suggéré de modifications à sa proposition de départ. En outre, il a rejeté toutes les contre-offres syndicales. Quant au volet des offres salariales, il a donc négocié de mauvaise foi. D’autre part, un employeur a une obligation de résultat dans l’atteinte de l’équité salariale (Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec (Procureur général), (C.S., 2004-01-09 (jugement rectifié le 2004-02-04)), SOQUIJ AZ-50213589, J.E. 2004-463, D.T.E. 2004T-197, [2004] R.J.Q. 524). Dans son rapport de 2006 portant sur la mise en application de la Loi sur l’équité salariale, le ministre du Travail indiquait que l’équité salariale ne doit pas constituer un enjeu de négociation (Québec (prov.). Commission de l’équité salariale. La Loi sur l’équité salariale: un acquis à maintenir. Rapport du ministre du Travail sur la mise en oeuvre de la Loi sur l’équité salariale. Québec: la Commission, 2006. 119 p. [en ligne]). Or, le Conseil du Trésor a agi tout autrement. Selon les associations syndicales, trop recevoir en matière d’équité salariale était synonyme d’une réduction des augmentations salariales pour l’ensemble des salariés. En incluant l’équité salariale dans le cadre budgétaire de 12,6 %, le Conseil du Trésor a négocié de mauvaise foi. Sa vision a plombé la négociation collective, l’empêchant de progresser à son propre rythme. Par ailleurs, les requêtes reconventionnelles sont rejetées à l’exception de celle dirigée contre la Fraternité des constables du réseau routier du Québec, qui a systématiquement refusé de négocier avant de connaître le résultat de l’exercice de réévaluation de ses emplois. Enfin, l’employeur ne peut prétendre que les plaintes sont devenues sans objet à la suite de l’adoption de la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public. Celle-ci est muette à ce chapitre. De plus, les parties n’ont jamais renoncé à faire valoir leurs droits. Le fait que le dossier de l’équité salariale ait été réglé en 2006 ne change rien à la donne puisque son inclusion dans le 12,6 % constituait de la négociation de mauvaise foi.
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