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Samuel Bachand
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29 Jan 2014

Toge et verdeur de langage ne font pas bombe, mais nage

Par Samuel Bachand

Par Samuel Bachand

La décision Hamel c. Webster, 2014 QCCQ 100, dispose d’une affaire de diffamation en contexte judiciaire.
Le demandeur Hamel est un homme au passé assombri par un séjour en pénitencier. Le défendeur Webster est avocat. Entre 2009 et 2010, Webster a représenté une personne qui cherchait à faire déclarer Hamel plaideur vexatoire, procédure qui s’est soldée par un échec. 
En 2011, dans une instance à laquelle Hamel n’est pas partie, Webster évoque Hamel en des termes peu flatteurs:

«[13] […]

Me Webster:     Le jugement en désaveu, vous étiez là, il vous désavouait puis je l’ai             interrogé puis…

Me Delisle:     Moi, j’ai pas vu ça.

Me Webster:     … il a admis qu’il avait posé des bombes, tout, vous étiez là.

Me Delisle:     Il a témoigné, j’ai sacré mon camp, moi j’ai pas resté là.

Me Webster:     Ça se peut que vous soyez – non, vous êtes resté.

Me Delisle:     Jamais dans 100 ans. »

Hamel en est informé par un témoin de la scène. Il s’estime diffamé par l’emploi de l’expression « poseur de bombes ». Il réclame une indemnité de 25 000$ sous ce chef et deux autres qui seront rejetés par la Cour à leur face même (dont je ne traiterai pas ici).  

Webster, en défense, prétend avoir simplement voulu évoquer le passé criminel de l’individu en question. Il s’en est déjà expliqué dans une lettre au syndic adjoint du Barreau du Québec :

« [18] […]

Je ne sais pas de façon si précise si M. Hamel a posé des bombes ou s’il a aidé des poseurs de bombes après leur fait, mais c’est ce que j’ai mentionné pour référer mon confrère aux antécédents de M. Hamel.

[…]

Je ne crois pas qu’avoir mentionné la vraie condamnation exacte, soit complot, dans ce contexte aurait été beaucoup plus bénéfique pour son honneur. Si ces propos ont pu blesser M. Hamel, j’en suis désolé s’ils sont inexacts. »

Analyse

La défense de Webster ne convainc pas le juge Brochet :

« [20]        Dans un tel contexte, le Tribunal ne doute pas que Me Webster a prononcé ces paroles envers M. Hamel dans le but de dégrader davantage sa personne, de lui imputer un crime qu’il ignorait s’il l’avait commis et de lui retirer toute vraisemblance de dignité que tente de reconquérir M. Hamel. Les événements reliés aux groupes de motards datent quand même de plusieurs dizaines d’années, alors que les paroles prononcées par Me Webster l’ont été en 2011. »

L’honorable Brochet conclut au caractère fautif, au sens de l’article 1457 du Code civil du Québec, des paroles de Webster. De l’avis du tribunal, la faute de Webster est d’autant plus grave qu’elle associe Hamel à des événements de triste mémoire :

« [22]    Comme le dit M. Hamel, cette expression a maintenant une signification particulière avec les événements qui se sont produits dans quelques villes américaines au cours des récentes années.

[…]

[37]        M. Hamel a raison de dire que ce qualificatif de « poseur de bombes » est une association à des groupes de terroristes qui ont existé et qui ont fait l’objet de couvertures médiatiques importantes lorsqu’ils ont agi dans diverses villes américaines notamment. »

Au chapitre des dommages compensatoires, le tribunal juge que Hamel ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve : on n’a entendu aucun tiers sur l’effet des mots de Webster; les propos en cause n’ont pas été diffusés; il y a absence de preuve de perte de revenus ou d’une quelconque humiliation subie par Hamel. 

Le juge Brochet estime toutefois que Hamel a droit à des dommages-intérêts punitifs, qui peuvent « exister de façon autonome à cause de leur fonction ». Il cite l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui garantit la sauvegarde de la dignité, de l’honneur et de la réputation de Hamel, et l’article 49 du même texte quant au caractère illicite et intentionnel de l’atteinte. 

Des 2 500$ réclamés à titre de dommages-intérêts punitifs, l’honorable Brochet en accorde le cinquième. Tenant compte des « circonstances appropriées » tel que le prescrit l’article 1621 du Code civil du Québec, le tribunal juge que cette condamnation modeste suffit :

« [43]        Comme c’est pour l’avenir qu’il faut décider de ces dommages, le Tribunal est convaincu que même une modeste somme de 500 $ aura son effet parce qu’elle constitue un avertissement sévère de ne pas récidiver.

[44]        La profession d’avocat de Me Webster le rend plus vulnérable à ce genre d’impair. Il s’agit là toutefois d’une responsabilité professionnelle, qui vient avec le titre de “Maître”. »

L’honorable Brochet a parlé. Si nous, avocats, lui savons gré de sa clémence, nous retiendrons néanmoins qu’en certaines eaux, il vaut mieux ne pas nager. 

 
Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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