10 jugements essentiels en matière familiale sur la déchéance de l’autorité parentale
Par Me
Magdalena Sokol
LaSalle
Sokol, avocats
Les parents
ont à l’égard de leur enfant le droit et le devoir de garde, de surveillance et
d’éducation; ils doivent également les nourrir et les entretenir (art. 599
C.c.Q.). Ensemble, les parents exercent
l’autorité parentale, c’est-à-dire qu’ils doivent se consulter et prendre les
décisions ensemble concernant leur enfant.
Or, un parent peut être déchu de son autorité parentale « si des motifs graves et l’intérêt de
l’enfant justifient une telle mesure » (art. 606 C.c.Q.). Voici 10 jugements essentiels en matière
familiale sur la déchéance de l’autorité parentale.
1. Les grands principes de la déchéance de
l’autorité parentale :
C.(G). c. V.F. (T.), [1987] 2 R.C.S. 244
Madame, avant
de décéder, a confié la garde de ses enfants, alors âgés de 13 ans et 12 ans, à
sa sœur et à son beau-frère qui ont demandé la déchéance partielle de
l’autorité parentale de Monsieur en lui retirant le droit de garde au motif
qu’un lien psychologique intense, valable et sain ne s’est pas développé entre
ce dernier et ses enfants.
La Cour
suprême du Canada, sous la plume de l’honorable juge Beetz, a établi les grands
principes de la déchéance de l’autorité parentale : elle doit être
expressément prononcée par le Tribunal qui doit constater un motif grave et
tenir compte de l’intérêt de l’enfant; elle peut être totale ou partielle; elle
entraîne la perte de l’exercice de l’autorité parentale; elle ne libère par le
parent déchu de son obligation alimentaire envers son enfant; elle peut mener à
la rupture du lien de filiation par le mécanisme de l’adoption; selon les
circonstances, elle peut mener au changement de nom de l’enfant. En somme, la
déchéance de l’autorité parentale est une mesure radicale qui constitue un
jugement de valeur :
« [28] La déchéance est une mesure radicale, quoique
nécessaire, de contrôle de l’autorité parentale. Elle dépouille son titulaire
de droits mais ne le libère jamais de ses obligations. Lorsqu’elle est totale,
la déchéance est susceptible de mener à la rupture du lien de filiation par le
mécanisme de l’adoption (voir les art. 611 et 658 C.c.Q. et B. M.
Knoppers, « From Parental Authority to Judicial Interventionism: The New
Family Law in Quebec » dans K. Connell‑Thouez et B. M. Knoppers (éd.),
Contemporary Trends in Family Law: A National Perspective (1984), à la
p. 212). Elle peut aussi, selon les circonstances, conduire au changement de
nom de l’enfant dont le parent a été déchu (art. 56.3 C.c.B.‑C.) La
déchéance de l’autorité parentale constitue un jugement de valeur sur la
conduite de son titulaire. Qu’il soit partiel ou total, le jugement de
déchéance représente une déclaration judiciaire d’inaptitude du titulaire à
détenir une partie ou la totalité de l’autorité parentale. On ne peut donc
déchoir une personne, même partiellement, sans conclure qu’elle a commis, par
action ou abstention, un manquement grave et injustifié à son devoir de parent.
(Droit de la famille‑‑32, [1983] C.S. 79, à la p. 80; Droit de la
famille‑‑130, [1984] C.A. 184; J. Pineau, La famille: droit applicable
au lendemain de la « Loi 89» (1983), aux pp. 287 et 288; E. Deleury et
M. Rivest, « Du concept d’abandon, du placement en famille d’accueil et de
la tutelle du directeur de la protection de la jeunesse: quelques
interrogations à propos du transfert des prérogatives de l’autorité parentale à
une autre personne que les père et mère » (1980), 40 R. du B. 483,
aux pp. 484 et 487; J.‑P. Senécal, « La filiation et la déchéance de
l’autorité parentale » (1982‑83), 78 F.P. du B. 83, à la p. 113; R.
Joyal, Précis de droit des jeunes (1986), à la p. 85.) »
Cela dit, la
Cour suprême du Canada a rejeté la demande en déchéance de l’autorité parentale :
Monsieur est maladroit en étant incapable de transmettre l’affection à ses
enfants dont ils ont besoin plutôt que « coupable » d’un comportement
répréhensible constituant un motif grave. Cependant, au lieu de déchoir
Monsieur de son autorité parentale, la Cour suprême du Canada a confié la garde
des enfants, alors âgés de 16 ans et 15 ans, à une tierce personne (la sœur et
le beau-frère de leur mère prédécédée) et a accordé des droits d’accès à
Monsieur à raison d’une fin de semaine sur trois.
2. Requête
en déchéance de l’autorité parentale non contestée :
Droit
de la famille-112845, 2011
QCCA 164
Madame
demande la déchéance de l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de leur
fille née en 2005 et âgée de 6 ans. Elle allègue que Monsieur n’a vu sa fille
qu’une seule fois en 2006 alors qu’elle était âgée d’environ 1 an et il n’a
offert aucun soutien affectif ni financier depuis sa naissance. En première
instance, l’honorable juge Benoît Émery, j.c.s., a rejeté la demande de Madame
en concluant que la preuve n’a pas démontré de motifs graves.
La Cour
d’appel, a accueilli la demande de Madame et a prononcé la déchéance de
l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de sa fille : durant toute la
durée de l’instance par laquelle Madame recherchait sa déchéance, Monsieur n’a
pas agi, démontrant un désintérêt à l’égard de sa fille :
« [7]
[…] il n’a pas contesté la requête initiale de l’appelante, ne s’est pas
présenté en première instance, n’a pas produit de mémoire en appel et ne s’est
pas présenté à l’audience devant la Cour.
C’est dire qu’à tout moment pertinent durant le processus judiciaire
recherchant la déchéance de son autorité parentale et le changement de
patronyme de son enfant, l’intimé n’a pas manifesté le moindre intérêt pour son
enfant. »
3. Le non-respect d’une ordonnance
judiciaire accordant des droits d’accès à un enfant : un cas de désintéressement
Droit de la
famille-111924, 2011
QCCA 1236
Monsieur se pourvoit en appel contre
un jugement de la Cour supérieure (honorable juge Roger Banford, j.c.s.)
prononçant sa déchéance de l’autorité parentale à l’égard de son fils né en
1998 et âgé de 13 ans au motif qu’il l’a abandonné depuis au moins 8 ans.
Monsieur prétend que le juge de première instance a erré en retenant l’abandon
comme motif de déchéance vu les nombreux déménagements de Madame; de plus, il
prétend qu’il souffre de maladie mentale (schizophrénie) et qu’il a été
hospitalisé à plusieurs reprises.
La Cour d’appel a rejeté l’appel de
Monsieur : il est vrai que la Cour doit prendre en considération la
condition de Monsieur, c’est-à-dire le fait qu’il souffre d’une maladie
mentale, qui pourrait constituer une excuse lorsqu’il faut déterminer si le
parent a abandonné son enfant. Or, dans
les circonstances, la Cour d’appel a conclu qu’il s’agit d’un pur cas de désintéressement
justifiant le motif grave d’abandon retenu par le juge de première instance. En
effet, malgré qu’un jugement de la Cour supérieure lui accordait des droits
d’accès auprès de son fils qui était alors âgé de 2 ans, Monsieur n’a donné
aucun signe de vie. Malgré l’état psychologique de Monsieur qui s’est détérioré
et ses troubles de comportement qui l’on contraint à des séjours en
institution, il a bénéficié de périodes de liberté plus ou moins longues.
Pourtant, il n’a pas trouvé le temps de s’intéresser à son enfant. Bref,
rien dans la preuve ne permet de conclure que Monsieur a manifesté un intérêt
quelconque :
« [8] En
l’espèce, le motif au soutien de la demande est l’abandon de l’enfant par
l’appelant. Or, le juge conclut qu’il a abandonné l’enfant depuis au moins huit
ans et cette détermination trouve amplement appui dans la preuve. Le juge
s’exprime ainsi :
[27] Il ne fait pas de doute que le défendeur a totalement
abandonné son enfant depuis au moins huit ans, possiblement plus, si l’on
retient l’été 2001 comme moment de la dernière rencontre père-enfant.
[28] De plus, le père n’a donné aucun signe de vie à son
fils. Pas de tentative de prise de contact, pas de téléphone, pas de lettre ou
carte postale, pas de cadeau d’anniversaire ou pour la fête de Noël, rien.
[29] Le père a ainsi négligé d’exercer envers son enfant tous les
droits et devoirs que lui reconnaissent les articles 647 et 651 C.c.Q., soit
tous les attributs de l’autorité parentale, tels le droit et le devoir de
garde, de surveillance et d’éducation, de nourrir et d’entretenir l’enfant.
[30] Pourtant, le père bénéficiait d’un jugement datant du 6
novembre 2000, lui reconnaissant des droits d’accès à l’enfant. Rien dans la
preuve n’indique qu’il a tenté d’exécuter ce jugement avant l’institution d’une
procédure en fixation de droits d’accès, en décembre 2009.
[…]
[36] Bien sûr, le défendeur n’était pas toujours disponible pendant
toutes ces années. Son régime de vie désorganisé et sa consommation de drogues,
l’ont conduit derrière les barreaux à diverses reprises. Son état psychologique
s’est détérioré et les troubles de comportement qu’il a connus l’ont contraint
à des séjours en institution plus ou moins prolongés. Il était à nouveau
hospitalisé en date de l’audition.
[37] Toutefois, ses passages en maison d’incarcération ou
d’internement ont été entrecoupés de périodes de liberté plus ou moins longues.
Par exemple, en 2005, le défendeur a même pu opérer une entreprise qui comptait
jusqu’à cinq employés, dit-il. Pourtant, pendant cette année-là, il n’a pas
trouvé le temps de s’intéresser à son enfant et encore moins de chercher à
contribuer à ses besoins matériels.
[9] Dans les
circonstances, l’abandon de l’enfant par l’appelant, et ce, pendant une période
d’au moins huit ans, constitue « des motifs graves » au sens de
l’article 606 C.c.Q.
[10] En outre,
la preuve établit qu’il est dans l’intérêt de l’enfant que la déchéance de
l’autorité parentale soit prononcée. X n’a aucun souvenir de son père. Pour
lui, tel que le relate le juge, « sa famille, c’est celle regroupée autour
du mari de la demanderesse… ». C’est ce dernier qui assume le rôle de père
depuis plusieurs années. »
4.
La déchéance de l’autorité parentale
n’est pas une mesure de punition contre un parent, mais une mesure de
protection pour l’enfant :
Droit de la
famille-10194, 2010
QCCA 166
Monsieur
demande la déchéance de l’autorité parentale de Madame à l’égard de leurs
enfants âgés de 10 ans et 9 ans dont il a la garde depuis l’année 2008 :
malgré que les parties vivent séparées depuis quasiment 6 ans, Madame est
incapable de changer son comportement. À
titre d’exemple, elle ne respecte pas les jugements de la Cour et a demandé la
récusation du juge ayant confié la garde des enfants à Monsieur, elle tient des
propos dénigrants envers Monsieur, elle ne reconnaît pas son comportement
aliénant malgré deux expertises psychosociales ayant conclu à l’aliénation
parentale exercée par Madame, elle a fait un signalement auprès de la DPJ
contre Monsieur pour abus sexuels sur les enfants (non retenu), elle s’est plainte
à la police contre Monsieur pour enlèvement d’enfants (non retenue), elle a
déclaré faillite et n’a jamais contribué à l’entretien des enfants depuis
qu’ils sont sous la garde de Monsieur, etc.
En première
instance, l’honorable juge Pierre Béliveau, j.c.s., a conclu que Madame
continue, depuis des années, de faire tout ce qu’elle peut pour aliéner
l’affection des enfants envers Monsieur. Ainsi, il lui a retiré l’exercice de
tous les attributs de l’autorité parentale et lui a interdit tout accès à ses
enfants (physique, téléphonique, informatique, etc.) pour une période
indéterminée.
La Cour
d’appel a rejeté la demande de Monsieur en déchéance de l’autorité parentale à
l’égard de Madame : les conséquences d’une telle déchéance sur les enfants
sont si importantes qu’il faut faire preuve de prudence. La déchéance de
l’autorité parentale n’est pas une mesure de punition contre un parent, mais
une mesure de protection pour l’enfant :
«
[96] Le dossier démontre un conflit important entre le
père et la mère. Il n’y a pas de doute que le premier juge attribue tous
les torts à la mère. Soit, mais l’élément punitif ne doit pas obscurcir
l’intérêt primordial des enfants.
»
Ainsi, la
Cour d’appel a maintenu la garde des enfants à Monsieur et a accordé un droit
d’accès non supervisé un jour par semaine à Madame en sus de deux accès
téléphoniques par semaine, le tout révisable dans six mois.
5. La discrétion judiciaire de la Cour
saisie d’une demande en déchéance de l’autorité parentale : Droit
de la famille-122676, 2012
QCCS 4802
Madame demande la déchéance de
l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de leur fils né en 2001 et âgé de 10
ans au motif qu’il a abandonné son enfant. En 2003, Monsieur a été déclaré le
père de l’enfant des parties par jugement et des droits d’accès lui ont été accordés
par la suite. Bien qu’il habite à quelques minutes à pied de la résidence de
Madame, Monsieur admet qu’il a eu peu de contacts et de courte durée avec son
fils. Il ne lui téléphone pas, ne lui
envoie aucune carte de souhaits et ne lui offre aucun cadeau (sauf un vélo en
2005). Monsieur témoigne à l’effet qu’il observe occasionnellement son fils
dans la cour d’école, au camp de jour ou à la piscine municipale et parfois,
ils échangent des regards. Bref, il admet savoir peu de choses concernant son
fils.
La Cour supérieure (l’honorable juge
Micheline Perrault) nous enseigne que la Cour bénéficie grande discrétion
judiciaire lorsqu’elle est saisie d’une demande en déchéance de l’autorité
parentale :
« [25] Chaque
cas est un cas d’espèce qui doit s’apprécier à la lumière des réactions et
attitudes de l’enfant face au parent dont la déchéance est demandée et eu égard
à la façon dont l’enfant vit la situation.
[26] Dans
le cas présent, Monsieur tente d’expliquer les circonstances l’ayant privé d’un
contact véritable avec son fils. Ses réponses et ses explications sur
l’exercice de ses droits d’accès sont vagues et imprécises. Il n’a fait aucun
effort particulier pour voir son fils. Il ne le connaît pas et est complètement
étranger aux besoins de ce dernier. Cependant, il n’en assume, ni n’en
reconnaît aucune responsabilité.
[27] À
cela s’ajoute le fait que X ne connaît pas son père et n’a aucun désir de
développer un quelconque lien avec lui ni même porter son nom. L’absence
d’identification de l’enfant avec son père constitue l’une des composantes de
l’abandon.
[…]
[29] La
preuve en l’espèce est que X n’a pas eu de véritables contacts avec son père
depuis 2003, soit près de neuf ans. »
Cela dit, la Cour supérieure a
accueilli la demande de Madame et a prononcé la déchéance de l’autorité
parentale de Monsieur : depuis les 9 dernières années, il admet avoir vu
son fils que de façon sporadique et seulement pour des courtes périodes. Vu son
manque d’intérêt à l’égard de son fils aujourd’hui âgé de 10 ans, Monsieur l’a
volontairement et de façon injustifié abandonné : cet abandon est fautif
et inexcusable.
6. L’intérêt suprême de l’enfant :
art. 32 à 34 C.c.Q. : Droit de la famille-10616, 2010
QCCS 1145
Madame demande la déchéance de
l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de leur fils né en 2003 et âgé de 7
ans au motif qu’il représente une très grande dangerosité pour elle. La relation entre Madame et Monsieur était
souvent difficile et orageuse : Madame consomme plusieurs drogues
différentes et a un caractère difficile, faisant souvent des crises de nerfs;
Monsieur consomme également plusieurs drogues différentes et a eu une vie
délinquante depuis son adolescence, l’amenant à séjourner en prison. Depuis
février 2006, Madame vit avec le fils des parties dans une ville dont le nom
est tenu secret, car elle est sous la protection de la Sûreté du Québec, le but
étant d’assurer sa sécurité de façon permanente et d’éviter que Monsieur ne la
retrouve. En effet, en mars 2006, il a été déclaré coupable d’avoir sciemment
proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Madame et a
été emprisonné : il « avait vu rouge » au Palais de justice lorsque
Madame a refusé d’instaurer une garde partagée de leur fils. En septembre 2009,
Charles Y. Lachance, expert psychologue, a conclu que Monsieur est toujours un
homme très dangereux pour Madame et que « la protection doit l’emporter
sur le risque d’exposition au danger ».
Enfin, le procès s’est tenu sous haute surveillance policière avec des
mesures de sécurité exceptionnelles.
La
Cour supérieure (honorable juge Jean-Pierre Chrétien, j.c.s.) a accueilli la
demande de Madame en déchéance de l’autorité parentale de Monsieur : la dangerosité
de Monsieur à l’égard de Madame constitue un motif grave au sens de l’article
606 C.c.Q. et, compte tenu des articles 32 à 34 C.c.Q., il est dans le meilleur
intérêt de l’enfant de prononcer la déchéance de l’autorité parentale :
« [99]
X subirait une pression constante de ne jamais se tromper, générant ainsi un
stress insupportable puisqu’il saurait que, si son père trouvait sa mère, le
pire pourrait arriver. Et si jamais un
événement malheureux arrivait justement, X s’en attribuerait toute la
responsabilité. Ce serait sa faute,
penserait-il.
[100]
En conclusion quant à cet aspect des choses, si la mère de X en venait à subir
des blessures de la part de son père, ou pis encore, cela aurait un impact
incommensurable sur X, sur son développement, sur son état mental, enfin sur
toute sa structure interne, et cela, pendant toute sa vie ».
7. Tout abandon de l’enfant n’entraîne pas
automatiquement la déchéance de l’autorité parentale : Droit
de la famille-092146, 2009
QCCS 4035
Monsieur demande
la déchéance de l’autorité parentale de Madame à l’égard de leur fils âgé de 16
ans au motif qu’elle l’aurait abandonné depuis quasiment 10 ans et qu’elle est
totalement indigne. Madame conteste ladite demande de Monsieur par affidavit
circonstancié : elle souffre depuis des années de schizophrénie et a fait
une tentative de suicide; ainsi, son médecin traitant est d’avis que son état
de santé ne lui permet pas de comparaître devant la Cour. En 2008, Madame a
fait signifier à Monsieur une requête dans laquelle elle demandait des droits
d’accès auprès de leur fils suivant son désir et suivant entente entre les
parties; or, vu ses problèmes de santé mentale et suivant les conseils de son
médecin traitant, elle s’est désistée. Bref, Monsieur reproche à Madame de
n’avoir eu pratiquement aucun contact avec leur fils.
La Cour
supérieure (honorable juge Gilles Mercure, j.c.s.) a rejeté la demande de
Monsieur en déchéance de l’autorité parentale de Madame : bien qu’elle
n’ait pas eu de contact depuis environ 10 ans, Madame n’a pas volontairement et
de manière inexcusable abandonné son fils. Dans les circonstances, la maladie
mentale de Madame (schizophrénie) n’est pas un motif grave au sens de l’article
606 C.c.Q. :
«
[39] Pour constituer un motif grave au sens de l’article 606,
l’abandon qui se déduit de l’absence et du silence du parent doit se continuer
sur une période suffisamment longue, le temps constituant un élément important
dont le Tribunal doit tenir compte.
[40] Ici, à n’en pas douter, la
période de temps est significative puisque la preuve révèle que madame n’a eu à
peu près aucun contact avec X depuis 2001, soit depuis au moins 8 ans.
[41] Cependant, pour constituer
un motif grave justifiant la déchéance de l’autorité parentale, l’abandon doit
être volontaire et inexcusable.
[…]
[43] Qu’en est-il ici?
[44] La preuve révèle
clairement que madame souffre de maladie mentale depuis de nombreuses
années. Monsieur affirme lui-même qu’au moment du divorce, madame
demeurait dans une résidence pour personnes ayant des problèmes de santé
mentale. […]
[…]
[46] La maladie ne saurait être
considérée en soi comme un motif grave au sens de l’article 606.
[47] Monsieur n’a pas prouvé
que madame aurait abandonné volontairement X pendant toutes ces années ni que
sa conduite aurait été dictée par autre chose que sa maladie. »
De plus, la
Cour note le comportement de Monsieur qui n’a pas aidé Madame à rétablir des
accès auprès de son fils : il a bien pris la peine de préciser à leur fils
qu’il n’est pas obligé de voir sa mère, il n’a pas informé Madame de ses
nouvelles coordonnées à la suite de son déménagement et il a conseillé à leur
fils d’appuyer par écrit sa demande en déchéance de l’autorité parentale de sa
mère. Comme le fils des parties sera bientôt majeur, il souhaitera peut-être
mieux comprendre la maladie mentale de sa mère et renouer une relation avec elle.
8. Le seul paiement d’une pension
alimentaire n’est pas un obstacle au prononcé de la déchéance de l’autorité
parentale : Droit de la famille-132658, (2013
QCCA 1696)
Madame se pourvoit en appel contre un jugement de la Cour
supérieure (honorable juge Marie Gaudreau, j.c.s) qui a rejeté sa demande en
déchéance de l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de leur fils alors âgé
d’environ 12 ans. La preuve a révélé que cet enfant, de santé fragile, n’a pu
bénéficier de la présence de son père dans sa vie depuis 10 ans et qu’il ne
s’identifie pas à lui, éprouvant « une gêne, voire même un
inconfort » à porter son nom, de sorte qu’il s’identifie au nom de jeune
fille de sa mère. La preuve a également révélé qu’à la demande de Madame,
Monsieur verse une pension alimentaire au bénéfice de son fils depuis l’année
2011. Ainsi, la Cour supérieure, bien qu’elle ait rejeté la demande en
déchéance de l’autorité parentale, a autorisé Madame à exercer seule l’autorité
parentale et a autorisé le changement du nom de l’enfant :
« [16] CONSIDÉRANT que bien que l’abandon soit
reconnu comme un motif grave, le père exécute actuellement et depuis l’automne
2011 ses obligations alimentaires envers son fils sur une base consensuelle, et
ce, il est vrai, à la demande de la mère.
[17] CONSIDÉRANT que l’enfant sait qu’il a un père
même si ce dernier a été absent de sa vie dans les faits.
[18] CONSIDÉRANT par ailleurs qu’il n’est pas dans
l’intérêt de l’enfant d’accorder la présente demande de déchéance, mais qu’il
est dans son intérêt de ne plus porter le nom de son père, auquel il ne s’identifie
pas, et de permettre à la mère de prendre seule les décisions concernant
l’éducation, la santé, etc. dans la vie de l’enfant. »
La Cour
d’appel, à l’unanimité, a accueilli la demande de Madame en déchéance de
l’autorité parentale de Monsieur (qui ne s’est pas présenté à l’audience),
puisque le seul motif retenu par la Cour supérieure pour rejeter une telle
demande était la contribution financière de Monsieur aux besoins de son enfant
par le versement d’une pension alimentaire à Madame depuis l’année 2011; ce
seul motif est insuffisant en droit, de sorte que la Cour d’appel a conclu que Monsieur
a abandonné son enfant, constituant alors un motif grave:
« [3] Bien que le paiement d’aliments à
l’enfant puisse constituer un élément pertinent pour déterminer s’il y a eu
abandon, le seul versement d’une pension ne fait pas pour autant obstacle au
prononcé de la déchéance de l’autorité parentale.
[4] En l’espèce, l’intérêt de l’enfant
commandait de prononcer la déchéance. »
9. Les « motifs graves » ne sont
pas définis dans la Loi, mais plutôt dans la jurisprudence : Droit
de la famille-07967, 2007
QCCS 1996
Madame demande la déchéance de
l’autorité parentale de Monsieur à l’égard de leurs enfants âgés de 9 ans et 7
ans. En 1998, Madame donne naissance à l’enfant X : il est handicapé
(trisomie 21). Un an après sa naissance,
Monsieur met en cause sa paternité, de sorte que Madame lui demande de quitter
la résidence familiale. Or, peu après, elle apprend qu’elle est à nouveau
enceinte. Ainsi, en 2000, Madame donne naissance à l’enfant Y; Monsieur assiste
à l’accouchement malgré la rupture des parties et, selon lui, se rend
disponible par la suite pour aider Madame avec les enfants et les tâches
domestiques. En 2004, alors que les enfants sont âgés de 6 ans et 4 ans,
Monsieur requiert un test d’ADN, ce que Madame refuse. Madame prétend que
Monsieur n’a jamais accepté le handicap de l’enfant X et a remis en cause la
paternité des enfants, de sorte qu’il les a abandonnés. Monsieur prétend que
Madame a voulu restreindre ses contacts auprès des enfants.
La Cour supérieure (honorable juge
Rita Bédard, j.c.s.) rappelle que les « motifs graves » ne sont pas
définis dans la Loi, mais plutôt dans la jurisprudence :
« [11] Les parents ont, en vertu
de l’article 599 C.c.Q., des droits et devoirs à l’égard de leur enfant. Ainsi, ils doivent assurer la garde, la
surveillance et l’éducation de leurs enfants.
À ce titre, ils sont nécessairement responsables de les nourrir et de
les entretenir. C’est donc en regard des
devoirs reliés à la relation de filiation que doit s’apprécier la notion de
motifs graves […].
[12] Le manquement doit être
injustifié, puisqu’il ne faut pas perdre de vue que la conséquence de la
déchéance de l’autorité parentale est de déclarer un parent inapte à l’exercice
de ses droits parentaux, ce qui confère un caractère infamant. L’aspect fautif, donc injustifié, du
manquement constitue d’ailleurs le critère prioritaire pour déterminer si les
motifs sont graves ».
Cela dit, la
Cour supérieure a rejeté la demande de Madame en déchéance de l’autorité
parentale de Monsieur : ce dernier n’a pas abandonné ses enfants, car il a
maintenu un lien avec eux malgré qu’il ait mal assumé le handicap de l’enfant
X. Cependant, la Cour retient la conclusion du Dr. Serge Gauthier,
pédopsychiatre, à l’effet qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants d’avoir
des accès auprès de Monsieur à moins qu’il prouve que « son déni de
réalité est disparu et que son implication auprès de ses enfants est
réelle ». Ainsi, la Cour retire à Monsieur son attribut du droit et devoir
de garde en lui interdisant tout accès à ses enfants.
10. La déchéance de l’autorité parentale est
prononcée dans l’intérêt de l’enfant et non dans l’intérêt du parent : C.H. c. J.-F.L., [2004] R.D.F. 369 (C.S.)
Monsieur
demande à être déchu de sa propre autorité parentale à l’égard de sa fille âgée
de 12 ½ ans et ce, malgré qu’elle manifeste le désir de le voir et de
développer une relation avec lui. En effet, à la suite d’un jugement de la Cour
supérieure en 2002 ordonnant à Monsieur de payer une pension alimentaire à
Madame au bénéfice de sa fille, il a immédiatement cessé d’exercer tout accès
auprès de celle-ci et n’a plus donné aucun signe de vie.
La Cour
supérieure (honorable juge Jean-Pierre Sénécal) a rejeté ladite demande de
Monsieur. Malgré l’article 606 C.c.Q. qui mentionne que la déchéance de
l’autorité parentale peut être prononcée par la Cour à la demande de
« tout intéressé », Monsieur n’a pas l’intérêt juridique
requis : il ne peut plaider sa propre turpitude. En effet, la déchéance de
l’autorité parentale est prononcée dans l’intérêt de l’enfant et non dans
l’intérêt du parent. Par ailleurs, la Cour supérieure nous rappelle dans ce
jugement que même si Monsieur était déchu de son autorité parentale, il ne
serait pas libéré de ses obligations alimentaires envers sa fille.
En
somme, comme nous enseigne la Cour suprême du Canada, la déchéance de
l’autorité parentale est une mesure radicale, car elle constitue un jugement de
valeur sur la conduite d’un parent à l’égard de son enfant et ses conséquences
sont lourdes. Ainsi, la Cour a une très grande discrétion judiciaire et fait
preuve de prudence avant de déchoir un parent de son autorité parentale.
La
déchéance de l’autorité parentale est prononcée dans l’intérêt de l’enfant et
non dans celui du parent. Elle constitue un jugement de valeur sur la
« conduite de son titulaire »; elle est le fruit de la discrétion de
la Cour exercée de façon judiciaire. Quoiqu’elle puisse être décrétée
partiellement, elle est une mesure radicale lorsqu’elle est décrétée totalement,
car ses conséquences sont lourdes, telles rupture du lien de filiation par le
mécanisme de l’adoption, changement de nom. Ainsi, la Cour fait preuve d’une
très grande prudence avant de déchoir un parent de son autorité parentale;
seuls des motifs graves la justifient : le comportement doit être empreint
d’abandon fautif et inexcusable ou dangereux pour l’autre parent, de sorte
qu’il produit un impact négatif sur l’équilibre et le développement de l’enfant
à long terme.
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.