par
Émilie Gonthier
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24 Août 2015

Maintien d’une objection et permission d’appeler : une évaluation au cas par cas?

Par Émilie Gonthier


par Émilie Gonthier

Afin que soit accordée la permission d’appeler d’un jugement interlocutoire, le juge de la Cour d’appel devant qui le dossier est présenté doit considérer principalement que les provisions des articles 29 et 511 du Code civil de procédures sont rencontrées. Ainsi le premier article énonce, entre autres, trois situations où, si les fins de la justice le requièrent, il serait possible de permettre l’appel : si l’interlocutoire décide en partie du litige, ordonne de faire une chose à laquelle il serait impossible de remédier ou retarde inutilement l’instruction du procès. Ainsi, puisqu’un jugement interlocutoire rejetant une objection dans le cadre d’un interrogatoire préalable ne tombe dans aucune de ces catégories, la jurisprudence explique qu’il n’est pas appelable. La décision de la Cour d’appel du Québec Dubé c. Lesage Inc. (2015 QCCA 1247) pose la question lors de la situation inverse : et lorsqu’un jugement interlocutoire maintient l’objection à la preuve ? 

 
Contexte
Dans le cadre d’un dossier où le requérant allègue que l’intimé, son compétiteur, aurait envoyé un courriel diffamatoire à son égard à plusieurs de ses partenaires d’affaires, fournisseurs et clients dans l’intention manifeste de le discréditer et de lui nuire, un interrogatoire préalable après défense est tenu. Lors de cet interrogatoire plusieurs questions sont posées à l’intimé relativement aux relations qu’il entretient avec ses clients, anciens et actuels, aux contrats obtenus par les entités ayant reçus le courriel, copie du contrat de service d’internet, etc. L’avocat de l’intimé s’objecte à ces questions sur la base de la pertinence. 

Le jugement interlocutoire de première instance maintient ces objections. Pour le requérant, la permission d’appeler devrait être accordée puisque le maintien des objections le prive d’obtenir l’information nécessaire en temps utile. Quant à l’intimé, il affirme que toutes ces questions pourront être reposées au procès, puisque le juge du procès n’est pas lié par le jugement interlocutoire et pourra considérer ces questions pertinentes. 

Analyse
Qu’en est-il ? Tel que mentionné plus haut, ce sont les articles 29 et 511 C.p.c. qui régissent ce type de situation. Dans le passé, la permission d’appeler d’un jugement interlocutoire maintenant une objection dans le cadre d’un interrogatoire préalable, avait été considérée par certains juges comme rencontrant les critères de l’article 29 al.1 (2) C.p.c. Cependant, le paragraphe suivant explique que le maintien de l’objection ne correspond généralement pas aux critères des articles 29 et 511 C.p.c: 

[13] La jurisprudence, cependant, ne cesse d’évoluer. Voici d’ailleurs le commentaire que l’on trouve dans le Guide des requêtes devant le juge unique de la Cour d’appel – Procédure et pratique :

b) Le maintien d’une objection à la preuve à l’occasion d’un interrogatoire au préalable

            Nouveau courant jurisprudentiel – De plus en plus de juges hésitent à affirmer que ce jugement ordonne toujours que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier. D’autres déclarent clairement que ce jugement ne s’inscrit dans aucune des trois situations juridiques prévues au premier alinéa de l’article 29 C.p.c. Deux arguments principaux justifient cette dernière position. D’une part, le juge du fond n’est pas lié par la décision interlocutoire de son collègue; il peut accepter une preuve refusée lors d’un interrogatoire au préalable. D’autre part, l’effet irrémédiable du maintien d’une objection à un stade aussi préliminaire est d’autant plus atténué que le Code de procédure civile met à la disposition du plaideur une multitude d’autres moyens pour obtenir l’information.
            Cet argumentaire emporte notre adhésion. Il s’accorde mieux avec une lecture globale des articles 29, 511 et 4.2 C.p.c. Sauf cas particuliers, cette dernière position devrait prévaloir. Elle s’accorde mieux avec la règle de proportionnalité et le respect dû à la discrétion judiciaire des tribunaux de première instance en la matière. [Renvois omis]

La décision explique que cette position, bien qu’elle s’applique à une grande partie des demandes de permission d’appeler dans un cadre similaire, ne signifie pas qu’il ne sera jamais possible d’obtenir la dite permission dans ce même cadre.  

Dans certaines décisions bien connues, la Cour suprême du Canada a expliqué le caractère large et exploratoire des interrogatoires préalables ainsi que la notion élargie de la pertinence dans ce contexte. En effet, ces interrogatoires visent à permettre l’accélération et la bonne marche du procès en ciblant mieux le débat. Le jugement de la Cour d’appel explique donc, exemples à l’appui, que dans certaines situations de fait, le maintien d’une objection lors d’un interrogatoire préalable pourrait causer un préjudice irrémédiable au bon déroulement de l’action. Le préjudice dont il est question ici serait causé à l’instance elle-même, puisque le maintien de l’objection entraverait son bon déroulement, notamment en ce que certains des droits de l’une ou l’autre des parties seront perdus ou indûment limités. 

Conclusion
Ainsi, bien qu’il semble de plus en plus établi que le maintien d’une objection par un jugement interlocutoire dans le cadre d’un interrogatoire préalable ne rencontre pas les critères du C.p.c. permettant l’octroi d’une permission d’appeler, les faits particuliers de l’affaire pourront justifier la position inverse lorsqu’un préjudice indu sera causé au bon déroulement de l’instance. 

Cependant, dans le cadre de la décision, le caractère hasardeux des questions ayant été posées par le requérant, en regard de la façon dont le débat est défini, ne justifiait en aucun cas l’octroi de cette permission. 

Le lien de la décision se trouve ici

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