30 Mar 2016

Concurrence déloyale : responsabilité personnelle des administrateurs et dommages punitifs

Dans l’affaire Diesel, s.p.a. c. Benisti Import-Export inc., 2016 QCCS 1085, la Cour supérieure a tenu Maurice Benisti (« M. Benisti »), seul et unique administrateur et actionnaire de Benisti Import-Export Inc. (faisant affaires sous le nom « Point Zero »), responsable de concurrence déloyale et de commercialisation trompeuse des jeans POINT ZERO CO. DENIM DIVISION. De plus, la Cour a condamné M. Benisti à payer un montant de 20,000$ à titre de dommages punitifs pour des fautes illicites et intentionnelles qu’il avait commises.

Contexte
Dans les années 1980, Diesel, S.p.A. (« Diesel ») développe une griffe pour ses jeans, la marque DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN, tel qu’il appert de l’image à gauche ci-dessous. En 2004, Point Zero dépose une demande d’enregistrement pour une nouvelle marque POINT ZERO CO. DENIM DIVISION, tel qu’il appert de l’image à droit ci-dessous.
  
DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN

 

POINT ZERO CO. DENIM DIVISION
    
 

La demande d’enregistrement de la marque POINT ZERO CO. DENIM DIVISION est approuvée le 14 décembre 2006. Or, le 14 mars 2007, Diesel s’oppose à la demande de Point Zero au motif que la marque convoitée crée de la confusion avec la marque DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN. Point Zero décide de ne pas produire de contre-déclaration et de preuve dans le délai prescrit. Par conséquent, le 7 avril 2009, la demande d’enregistrement de la marque POINT ZERO CO. DENIM DIVISION est réputée abandonnée. Toutefois, la fabrication et la commercialisation des jeans portant l’étiquette POINT ZERO CO. DENIM DIVISION se poursuit. 
Par conséquent, Diesel considère que l’utilisation de l’étiquette POINT ZERO CO. DENIM DIVISION constitue un acte de concurrence déloyale et demande à Point Zero de cesser de fabriquer, distribuer et vendre tout vêtement contrefaisant les marques de Diesel tout en réclamant des dommages-intérêts.
 
Analyse et Décision
 
La Cour constate d’abord qu’il existe une forte ressemblance entre l’étiquette POINT ZERO CO. DENIM DIVISION et la marque DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN. Certes, les différences existent, mais elles ne deviennent perceptibles qu’après une analyse minutieuse et/ou comparative et elles échappent nécessairement au consommateur ordinaire plutôt pressé. En conséquence, le consommateur risque de confondre les jeans de Diesel avec ceux de Point Zero et penser qu’ils émanent d’une seule et même source. La Cour conclut donc que l’étiquette POINT ZERO CO. DENIM DIVISION est susceptible de créer de confusion et viole le droit exclusif de Diesel à l’emploi de la marque de commerce DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN.
 
En ce qui concerne la concurrence déloyale et la commercialisation trompeuse, la Cour fait une analyse détaillée de trois critères, soit l’existence d’un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles. Compte tenu du fait que la marque DIESEL INDUSTRY DENIM DIVISION & DESIGN a un caractère original et distinctif, est suffisamment bien connue, et que Point Zero ne pouvait ignorer l’existence de la marque de Diesel, la Cour conclut qu’il y a lieu de protéger l’achalandage rattaché à la marque de commerce de Diesel et d’empêcher l’emploi de l’étiquette POINT ZERO CO. DENIM DIVISION qui sème la confusion chez les consommateurs.
 
La Cour se penche aussi sur la responsabilité de M. Benisti, et sur les circonstances dans lesquelles la responsabilité personnelle d’un individu, actionnaire majoritaire et administrateur d’une compagnie, peut être retenue. En l’espèce, la Cour conclut qu’il n’est pas nécessaire d’entrer dans le débat du « soulèvement du voile corporatif » aux termes de l’article 317 du Code civil du Québec, et qu’un administrateur peut engager directement sa responsabilité pour avoir commis personnellement une faute extracontractuelle lorsque l’on démontre la prise de décisions en soi fautives.
 
Plus particulièrement concernant la responsabilité de M. Benisti, la Cour décide ainsi :

« [121] Le Tribunal estime que cette décision du président et seul administrateur de Point Zero ne peut s’apparenter à celle de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Sachant que la commercialisation des jeans POINT ZERO CO. DENIM DIVISION risquait de contrevenir à une marque déposée et d’engager la responsabilité de son entreprise, Benisti devait faire preuve de prudence et s’assurer de la légalité de sa propre marque et de son emploi. S’il désirait continuer à l’utiliser, dans les circonstances, il devait aller au bout de la procédure d’opposition.  

[122] En prenant la décision contraire, Benisti contourne les règles prévues par la L.m.c. et ses règlements. 

[123] Se faisant, le Tribunal conclut qu’en poursuivant la commercialisation de ses produits litigieux, Benisti a pris une décision en soi fautive, et par conséquent, il commet lui-même une faute entraînant sa responsabilité extracontractuelle »

En outre, la Cour est d’avis que la violation d’une marque de commerce constitue une violation «au droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens » prévu à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne, ce qui donne ouverture à l’octroi de dommages punitifs en cas d’atteinte illicite et intentionnelle. En l’espèce, la Cour conclut que la conduite de Point Zero est fortement répréhensible. En effet, la Cour souligne :

« [139] En 2005, Point Zero reçoit une opposition à sa marque de commerce et décide de ne pas y donner suite, pour des raisons qui lui sont propres, ce sur quoi le Tribunal ne peut rien conclure. Cependant, sa décision de poursuivre la commercialisation de ses jeans avec la marque qui fait l’objet de l’opposition, sans se soumettre au processus afférent, est empreinte de mauvaise foi. Point Zero démontre non seulement un mépris cynique pour les droits de Diesel, mais également pour toute la procédure d’enregistrement de marques de commerce prévue par la L.m.c. et le processus d’opposition auquel elle refuse de se soumettre. »

La Cour conclut donc, que les agissements de Point Zero, dans ce contexte, constituent des fautes illicites et intentionnelles qui donnent droit à l’octroi de dommages punitifs. Étant donné que les agissements de Point Zero relèvent de décisions prises par Benisti, la Cour condamne également M. Benisti personnellement à payer des dommages punitifs au montant de 20,000$.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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