10 Mar 2016

L’utilisation non autorisée d’un nom sur internet permet au demandeur d’instituer son recours ailleurs que dans le lieu de résidence du défendeur

Par Anushua Nag, Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l.

Par Anushua Nag
Avocate – Gowling WLG (Canada), s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Dans Bergeron c. Écomaris, 2016 QCCS 546, la Cour supérieure conclut que l’utilisation non autorisée d’un nom donne lieu à un préjudice qui se manifeste autant à Montréal (lieu de résidence du défendeur) qu’à Québec (lieu de résidence de la demanderesse). Considérant que le NCPC permet au demandeur d’intenter son recours dans « l’un des lieux où le préjudice a été subi », la Cour supérieure conclut que la demanderesse était autorisée à instituer son recours dans le district de Québec.

Contexte
Dans le cadre de ses études en service social à l’Université Laval, la demanderesse a développé un projet de réinsertion sociale par la voile. Elle intitule le projet le « Sextant » et achète le nom de domaine « lesextant.ca ». Le défendeur Simon Paquin dirige ÉcoMaris, une personne morale à but non lucratif qui se spécialise dans les expéditions de voile et la réinsertion sociale. En novembre 2014, la demanderesse rencontre Paquin pour discuter de son projet et les parties s’entretiennent, par la suite, par courriel et au téléphone. En avril 2015, Paquin contacte la demanderesse pour lui demander de trouver quinze jeunes pour réaliser un projet-pilote « Sextant » au mois de juin 2015. La demanderesse lui indique qu’elle n’est pas disponible au mois de juin et qu’elle ne consent pas à ce que l’expédition ait lieu sans elle. Paquin répond alors qu’il organisait déjà de telles expéditions en version pilote depuis 2012 et que le voyage aurait lieu avec ou sans la participation de la demanderesse. Quelques jours plus tard, ÉcoMaris enregistre le nom « Sextant » au Registre des entreprises.
 
La demanderesse présente alors une requête en injonction interlocutoire pour forcer les défendeurs à cesser d’utiliser le nom « Sextant » et de retirer ce nom du Registre des entreprises. Cette requête est déposée dans le district de Québec, lieu de la première rencontre entre la demanderesse et Paquin. S’appuyant sur les articles 41 et 42 du NCPC, les défendeurs demandent à ce que le dossier soit transféré dans le district de Montréal, puisque les défendeurs y sont domiciliés. La demanderesse soutient, quant à elle, que le district de Québec est là où le préjudice a été subi.
 
Analyse
Après un survol des dispositions applicables en matière de compétence territoriale, la Cour souligne que, contrairement à ce prévoyait le paragraphe 68(2) du CPC, l’article 42 du NCPC ne requiert pas une démonstration à l’effet que chacun des éléments constitutifs de la responsabilité extracontractuelle a pris naissance dans un district donné. Il suffit de démontrer que le fait générateur du préjudice ou le préjudice lui-même est survenu dans une juridiction précise :

« [27] Pour justifier que toute la cause d’action avait pris naissance dans un district, la demanderesse devait établir, en vertu de l’article 68(2) C.p.c., que chacun des éléments constitutifs de la responsabilité civile extracontractuelle (faute, dommage et lien de causalité) y avait pris naissance[14].

[28] L’article 42 n’exige pas la conjonction de tous ces éléments. À partir du moment où la demanderesse établit que le fait générateur du préjudice est survenu dans une juridiction précise, elle peut intenter le recours dans cette juridiction. Il en va de même si elle établit que le préjudice subi se manifeste dans un des lieux d’une juridiction. »

Selon la Cour, considérant, entre autres, que l’utilisation non autorisée du nom « Sextant » a été effectuée sur Internet, le préjudice de la demanderesse a été subi tant à Montréal qu’à Québec :

« [33] À quel endroit le préjudice est-il subi?

[34] Le Tribunal est d’avis que le district de Québec est l’un des lieux où le préjudice invoqué par la demanderesse est subi. L’utilisation non autorisée du nom « Sextant » par les défendeurs est un préjudice qui se manifeste autant à Montréal qu’à Québec, lieu du domicile de la demanderesse. Cette dernière est justifiée de soutenir qu’un préjudice est subi lorsque le nom « Sextant » est utilisé à Québec par les défendeurs. Il en est de même lorsque les défendeurs utilisent à la grandeur du Québec le nom de « Sextant » sur leurs plateformes web, Facebook et publicitaires. Le préjudice que subit alors la demanderesse se manifeste également au lieu de son domicile, Québec. Au même titre, la confusion alléguée par la demanderesse auprès des partenaires, des instances gouvernementales et de la population en général est un préjudice qui prend, entre autres, naissance à Québec. Enfin, le district de Québec est un des lieux où le préjudice allégué (l’appropriation de la reconnaissance sociale du projet « Sextant ») est subi.

[35] Le Tribunal est également d’avis que la facture de l’article 42 commande une interprétation favorisant la victime du préjudice plutôt que les défendeurs. En l’espèce, c’est la demanderesse madame Bergeron qui, en tout état de cause, subit le préjudice allégué découlant de l’utilisation de son projet par ÉcoMaris. »

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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