De l’importance des immunités accordées aux organisations internationales
Par Audrey Corsi Caya, Avocate
Dans l’arrêt Groupe de la Banque mondiale c. Wallace, 2016 CSC 15, la Cour suprême
doit déterminer l’étendue de certaines immunités accordées aux organisations
internationales par les traités qui les ont créées. En l’espèce, la Cour se
penche sur les dispositions assurant l’inviolabilité des archives de la Banque
internationale pour la construction et le développement (la « BIRD »)
et l’Association internationale de développement (l’« IDA ») ainsi
que l’inviolabilité du personnel qui y travaille.
Dans ce résumé, nous
nous concentrerons sur le travail d’interprétation de la Cour eu égard aux
traités internationaux.
Contexte
En toile de fond de
l’arrêt se trouvent des accusations portées par la Gendarmerie Royale du Canada
(la « GRC ») contre des individus soupçonnés d’avoir soudoyé des
représentants du gouvernement du Bangladesh où une firme d’ingénierie
canadienne tentait d’obtenir un important contrat de construction
d’infrastructure. La vice-présidence chargée des questions d’intégrité
(l’« INT ») du Groupe de la Banque mondiale (le « Groupe »)
a été alertée de la corruption par des informateurs qui ont pour la plupart
voulu demeurer anonymes. L’information a été transmise à la GRC qui a également
fait enquête et qui a reçu l’autorisation de procéder à de l’écoute
électronique. Cette autorisation d’écoute est contestée par les intimés (en
vertu de l’arrêt R. c. Garofoli, [1992] 2 RCS 1421) qui ont demandé en outre que les enquêteurs
séniors du Groupe comparaissent devant les tribunaux et communiquent des
documents (en vertu de l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 RCS 411), ce qui irait à l’encontre des immunités
accordées généralement aux organisations internationales.
En appliquant des
principes d’interprétation du droit canadien, le juge de la Cour supérieure de
justice de l’Ontario a reconnu que par les actions de son personnel, la BIRD et
l’IDA avaient renoncé implicitement à leurs immunités.
Analyse de la Cour suprême
La Cour débute son
analyse en examinant la source des immunités en litige. Il ressort que le
Groupe ne jouit d’aucune immunité conventionnelle ou coutumière. En revanche,
les organes qui la composent, tels que la BIRD et l’IDA, jouissent des
immunités qui sont inscrites à même les traités qui les constituent. Le Canada
a ratifié l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA qui ont été
incorporés au droit canadien par décret.
La Cour rappelle qu’en
matière de traités internationaux, les principes d’interprétation à appliquer
sont ceux de la Convention de Vienne sur
le droit des traités (la « Convention
de Vienne »). La Cour en retire qu’ :
[47] (…) aux termes de la Convention de Vienne, l’étendue des immunités en litige doit être
interprétée suivant le sens ordinaire des mots du traité et à la lumière de
leurs but et objet.
La Cour détermine que
les documents de l’INT appartiennent aux archives de la BIRD et de l’IDA et que
le personnel de l’INT est protégé par les immunités des mêmes institutions de
sorte qu’il est nécessaire d’interpréter l’étendue de ces immunités pour
résoudre le problème.
En réponse aux
arguments des intimés, la Cour soutient que les immunités dont jouissent la
BIRD et l’IDA ne sont pas fonctionnelles, mais bien absolues. En interprétant
le sens commun des mots du traité, la Cour détermine que la BIRD et l’IDA n’ont
pas à démontrer que les immunités sont nécessaires en l’espèce pour que
celles-ci s’appliquent.
L’inviolabilité des archives
La section 5 de
l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD et de l’article VIII des Statuts de
l’IDA stipule que les « archives » de ces organisations sont
« inviolables ». La Cour reconnaît que ce vocable est inhabituel et
qu’il est nécessaire d’en chercher le sens en droit international. Ainsi, le
mot « archives » prend un sens large :
[70] Ce sens plus général du mot
« archives », ne faisant aucune distinction entre les documents
récents et historiques, correspond au sens dans lequel ce terme est employé en
droit international. (…)
Selon la Cour, une interprétation étroite du mot irait à l’encontre de
l’objet de la section 5 et ne serait pas conforme au sens habituel qu’on lui
donne en droit international. Le but de telles immunités est de protéger les
organisations internationales de l’ingérence des États sur lesquels elles se
trouvent. La protection de toutes les archives est donc nécessaire au bon
fonctionnement des organisations qui conservent ainsi leur indépendance.
En ce qui concerne la notion d’inviolabilité, la Cour concède que
celle-ci peut paraître surprenante, mais rappelle que la notion tire son
origine du droit de la diplomatie.
[78] (…) Bien que ce terme ait été
appliqué dans divers contextes – à savoir personnes, lieux et archives – ,
l’histoire démontre qu’il traduit couramment l’idée d’une absence générale
d’ingérence unilatérale de la part d’un État.
La Cour constate que cette interprétation est également soutenue en
doctrine et par des tribunaux étrangers. Les organisations internationales sont
donc protégées de l’ingérence étatique et leurs documents sont protégés, entre
autres, des ordonnances de communication.
La Cour ajoute que le fait d’avoir communiqué certains documents volontairement
ne signifie pas que le Groupe ait renoncé à son immunité, car l’inviolabilité
des archives ne peut être levée. Lorsque le Groupe communique un document qui
se trouve dans ses archives, la section 5 cesse de s’appliquer à ce document.
L’immunité du personnel
[86] La section 8 prévoit que « [t]ous les
gouverneurs, administrateurs, suppléants, fonctionnaires et employés de la
[BIRD] i) ne pourront faire l’objet de
poursuites à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions,
sauf lorsque la [BIRD] aura levé cette immunité » (le libellé des Statuts
de l’IDA, sans être identique, est équivalent).
Il ressort de la
section 8 que le personnel de la BIRD et l’IDA est immunisé contre les
poursuites à moins que l’organisation y ait renoncé. Selon les intimés, il y
aurait eu une renonciation implicite, car il y a déjà eu une importance
collaboration volontaire. La Cour est en désaccord avec l’interprétation.
Les organisations
internationales ont besoin des immunités afin de bien fonctionner. En fait,
[91] (…) les immunités internationales ont pour fonction
d’« éviter aux représentants des organisations internationales les
conséquences découlant de l’absence d’une espèce d’organe fédéral à qui elles
pourraient en appeler pour obtenir protection et soutien contre les tentatives
d’obstacle à l’exercice efficace de leurs fonctions officielles.
[Références omises]
En ayant ce but en
tête, la Cour conclut qu’une renonciation à l’immunité doit être expresse, car
une renonciation implicite rendrait les organisations internationales
tributaires des interprétations variables qu’en feraient les différents États
ce qui serait nuisible à leur fonctionnement. La Cour rappelle que le Canada a
adhéré à l’Accord relatif à la BIRD et aux Statuts de l’IDA et a donc acquiescé
à ses conditions. De plus, la Cour est préoccupée par la possibilité qu’une
autre interprétation décourage les organisations internationales à collaborer
avec les forces de l’ordre de peur de voir leurs immunités levées
implicitement.
La Cour rejette donc l’interprétation
du juge d’instance qui avait appliqué une doctrine de common law à l’interprétation d’un traité international et rappelle
du même souffle qu’une telle démarche
est inappropriée à ce type d’interprétation.
Conclusion
En rendant son
jugement, la Cour est demeurée très sensible au contexte dans lequel les
organisations internationales opèrent et à la nécessité de leur accorder
l’indépendance nécessaire à leur bon fonctionnement. En suivant les principes
d’interprétation de la Convention de
Vienne, la Cour s’est guidée dans son analyse par les but et objet des
traités en question. Ainsi, l’indépendance des organisations internationales a
été préservée.
Le texte intégral de la
décision est disponible ici.
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