10 Août 2016

R.I.P. Morin : bird’s eye view de l’arrêt Jordan

Par Adam Villeneuve
Avocat

L’arrêt Morin n’est plus. Mais, de ses
cendres est né l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, qui est désormais maître en
matière de délai déraisonnable.

La collaboration entre la défense et la
poursuite est maintenant de mise pour réduire les délais. De plus, celles-ci
ont désormais l’avantage de connaître à l’avance le délai à respecter et de le
prévenir.

Bird’s eye view du nouveau cadre d’analyse :
a priori, plus simple



D’abord, il faut calculer le DÉLAI TOTAL
entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès. Ensuite, du délai
total, il faut SOUSTRAIRE la période à laquelle la défense a renoncée et le
retard occasionné par sa conduite. Par exemple : demande frivole ou son
indisponibilité.

Toutefois, n’est pas imputable à la défense
le délai causé par les mesures légitimes prises pour répondre aux accusations.
Par exemple : le temps de préparation.

Présomption de délai déraisonnable : réfutée par la poursuite

Pour une cause instruite devant une cour
provinciale, si le délai total dépasse 18 MOIS, alors celui-ci est présumé
déraisonnable. Pour une cause instruite devant une cour supérieure ou devant
une cour provinciale à la suite d’une enquête préliminaire, si le délai total
dépasse 30 MOIS, alors celui-ci est également présumé déraisonnable.

Une PRÉSOMPTION DE DÉLAI DÉRAISONNABLE entraine
un arrêt des procédures, sauf si la poursuite la réfute en démontrant que le
délai est raisonnable compte tenu de circonstances exceptionnelles,
c’est-à-dire qui sont indépendantes de sa volonté.

Du délai total, il faut donc AUSSI
SOUSTRAIRE le délai résultat d’un évènement dit distinct. Par exemple : urgence
médicale ou familiale d’un acteur important, processus d’extradition, plaignant
se rétracte de son témoignage, procès plus long qu’anticipé.

Il faut également soustraire un délai causé
par la complexité de la cause en raison de la nature de la preuve ou des
questions soulevées qui exigent une préparation ou un procès d’une durée
exceptionnelle. Par exemple : preuve volumineuse, nombreux témoins,
nombreuses questions à la fois litigieuses et importantes, poursuite conjointe
de plusieurs coaccusés, questions de droit inédites ou complexes.

Par ailleurs, afin de réfuter la
présomption du délai déraisonnable, la poursuite doit établir sa proactivité :
« [elle] doit démontrer qu’[elle] a pris les mesures raisonnables qui étaient à
sa portée pour éviter et régler le problème avant que le délai maximal
applicable – le plafond – ne soit dépassé » (paragraphe 70).

Présomption de délai raisonnable : réfutée par la défense

Si le délai ne dépasse pas 18 MOIS, pour une cause instruite devant une cour provinciale, et 30 MOIS, pour une cause instruite devant une cour supérieure ou devant une cour provinciale à la suite d’une enquête préliminaire, alors celui-ci est présumé raisonnable. 

Néanmoins, une PRÉSOMPTION DE DÉLAI RAISONNABLE peut
être réfutée par la défense. 

Pour ce faire, elle doit d’abord démontrer qu’elle
a pris les mesures utiles pour accélérer l’instance : « le juge du procès
devrait se demander ce que la défense aurait pu faire, et ce qu’elle a
effectivement fait, pour que la cause soit entendue le plus rapidement possible
» (paragraphe 84).

Par exemple : la défense peut tenter
d’obtenir les dates les plus rapprochées, collaborer avec la poursuite et le
tribunal, répondre aux efforts de ces derniers, informer la poursuite que le délai
commence à poser problème et mener toutes les demandes de manière raisonnable
et expéditive. Par la suite, la défense doit démontrer que le procès a été plus
long que ce qu’il aurait dû être relativement à la complexité du dossier, aux
considérations locales et aux mesures raisonnables prises par la poursuite pour
accélérer le dénouement.

Une présomption de délai raisonnable ne
sera réfutée que dans les cas manifestes.

Transition : applicabilité du nouveau cadre d’analyse aux affaires en cours

Le nouveau cadre d’analyse s’applique aux CAUSES
PENDANTES, à deux exceptions.

S’il y a une présomption de délai
déraisonnable, alors la poursuite doit démontrer que le délai total est
justifié du fait que les parties se sont conformées au droit tel qu’il existait
avant l’arrêt Jordan.

S’il y a une présomption de délai
raisonnable, alors la défense doit démontrer qu’elle a fait preuve d’initiative
pour accélérer le cours de l’instance et que le temps requis pour entendre la
cause excède ce qui était anticipé.

Il s’agit d’une approche contextuelle et
souple. Donc, la gravité de l’infraction, le préjudice subi, les délais
institutionnels chroniques de certaines juridictions peuvent être pertinents à
l’évaluation du caractère raisonnable du délai total, s’il s’agit d’une cause
pendante. Si le délai total ne dépasse pas les limites établies, alors un arrêt
des procédures sera encore plus difficile à obtenir.

Conclusion : ne pas se réjouir trop
vite

Pour les causes pendantes, le nouveau cadre
ne devrait pas mener à des arrêts de procédure en masse, contrairement aux répercussions de l’arrêt Morin. En dernier lieu, quoique la Cour suprême exige des parties la
prise de mesures pour accélérer le déroulement du processus criminel, elles ne
sont pas tenues à la perfection.

Le texte de la décision intégrale se trouve
ici.

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