13 Sep 2016

Rendre jugement sous la forme d’un dialogue avec l’accusé : pas la meilleure idée, surtout lorsque les motifs sont insuffisants

Par Adam Villeneuve
Avocat

Dans Casavant c. R., 2016 QCCA 1340, la Cour d’appel
souligne le caractère inacceptable d’un jugement rendu sous la forme d’un
dialogue avec l’appelant et conclut que les motifs du juge de première instance
sont insuffisants. L’appelant était accusé d’un chef d’incitation à des
contacts sexuels (152 C.cr.) et d’un chef d’agression sexuelle (271 C.cr.).

Les faits et le jugement


L’appelant fréquentait la mère de la plaignante, une enfant. Cette
dernière alléguait avoir eu des contacts sexuels avec l’appelant, mais s’est
rétractée en partie et s’est contredit à plusieurs reprises. Sa mère a témoigné
que la plaignante avait déjà menti et qu’elle était jalouse. Quant à
l’appelant, malgré une déclaration extrajudiciaire à l’effet contraire, il a
nié les allégations de la plaignante.

Le juge a rendu son jugement sous la forme d’un dialogue avec l’appelant,
dans lequel il identifie sommairement des éléments de preuve « sans en
décrire ni en commenter le contenu » (Para. 33). Il conclut que l’appelant
a commis les gestes reprochés, gestes qu’il ne décrit ni ne précise, et déclare
l’appelant coupable du chef d’incitation à des contacts sexuels. En dernier
lieu, il prononce un arrêt conditionnel des procédures sur le chef d’agression
sexuelle.

L’analyse


La Cour d’appel conclut que les motifs du juge sont insuffisants pour en
permettre la révision en appel sans spéculer, notamment parce que :

« (1)
le juge déclare l’appelant coupable d’attouchements, (2) qu’il ne discute
pas de la relation entre la plaignante et l’appelant, notamment de l’insistance
de la première et des refus répétés du second, (3) qu’il prononce un arrêt
conditionnel des procédures quant au chef d’accusation selon
l’article 271(1)a) C.cr. et
(4) qu’il traite « des événements » comme d’un tout, sans nuance
ni distinction, malgré les dédits et les propos nettement contradictoires tenus
par la plaignante et sans tenir compte, dans ce contexte, du témoignage de sa
mère voulant que la plaignante ait déjà menti, qu’elle ait été jalouse et
qu’elle ait un monde imaginaire. » (Para. 50)

Plus
précisément, elle détermine que le juge a traité le dossier comme si l’appelant
était accusé de contacts sexuels (151
C.cr.), alors qu’il était plutôt accusé d’incitation
à des contacts sexuels
(152 C.cr.). Par conséquent, il y a eu déclaration de
culpabilité sans qu’il y ait analyse des éléments essentiels de cette dernière
infraction. En effet, le jugement « ne comporte ni mention ni
analyse » des éléments essentiels de l’infraction reprochée (para. 53).

Vu
l’arrêt conditionnel des procédures sur l’accusation d’agression sexuelle (271 C.cr.), le
jugement laisse croire qu’une décision a été rendue à l’égard d’une accusation
de contacts sexuels (151 C.cr.). Or, contrairement à une accusation de contacts sexuels, il ne peut y avoir
d’arrêt conditionnel des procédures lorsqu’il est question d’une accusation d’incitation à des contacts sexuels (152
C.cr.) et d’une accusation d’agression sexuelle (271 C.cr.), comme c’est le cas en l’espèce.

De
plus, en présence d’éléments de preuve brouillés et contradictoires, les motifs
du juge étaient particulièrement importants. L’omission d’analyser les
contradictions et d’expliquer comme les concilier empêcher « le plein
exercice du droit d’appel » (para. 60).

Finalement,
la Cour d’appel a refusé de sauver le jugement à titre de verdict implicite de culpabilité
à l’égard de l’accusation d’agression sexuelle, selon la jurisprudence et vu
l’absence de motifs sur cette accusation. Dans pareille cas, il n’est pas plus
possible d’exercer pleinement le droit d’appel.

Conclusion


Pour
conclure, la Cour d’appel souligne que la façon dont le jugement a été rendu,
le dialogue entre le juge et l’appelant, où ce dernier peut émettre ses
commentaires et ses réactions au lieu de demeurer silencieux, est peu orthodoxe
et inacceptable.

Considérant l’erreur de droit lié à la suffisance des motifs, la Cour
d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

La décision intégrale se trouve ici.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...