par
Vincent Ranger
Articles du même auteur
24 Juil 2017

La Cour d’appel modifie les règles d’appel pour une instance comprenant plusieurs causes d’actions

Par Vincent Ranger, Avocat


Vincent
Ranger

Avocat,
Sarrazin Plourde
*Le
cabinet où travaille l’auteur, Sarrazin Plourde, représentait l’appelant dans
ce dossier.

Lorsqu’un
juge rejette au stade préliminaire une de plusieurs causes d’action, l’appel de
cette décision peut-il être formé de plein droit ou doit-il l’être sur
permission?

Dans
Larivière c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal),
2017 QCCA 957, la Cour d’appel revient sur sa jurisprudence antérieure et
conclut qu’une permission d’en appeler est nécessaire. Le tribunal fonde sa
décision sur une controverse jurisprudentielle avant l’entrée en vigueur du
nouveau Code de procédure civile et
sur le texte des nouvelles dispositions.

Faits

Roger
Larivière est un ancien policier au Service de police de la Ville de Montréal
(SPVM).

En
2005, il se sépare de sa conjointe — elle aussi policière — et celle-ci dépose
une plainte à son endroit pour voies de fait et menace de mort.

En
2009, Larivière est acquitté des accusations qui pèsent contre lui et il décide
de porter plainte au SPVM contre son ex-conjointe. Blanchi des accusations, il
décide peu de temps après de postuler à un programme de promotion pour devenir
commandant. Il n’est pas retenu et on lui laisse savoir que la plainte qu’il a
faite contre son ex-conjointe a probablement joué un rôle dans son refus de
promotion.

C’est
dans ce contexte de relations de travail tendues qu’en 2014, Larivière approche
une personne du milieu journalistique afin de pouvoir prendre contact avec
l’émission Enquête. Certains policiers croient alors que Larivière
échange des informations confidentielles avec les journalistes et le SPVM obtient
divers mandats de perquisition pour le mettre sous écoute, perquisitionner dans
son domicile et le faire placer en filature.

En
2015, Larivière intente une action contre la Ville de Montréal. Il allègue
principalement deux fautes à la Ville. D’abord, il croit avoir été injustement
refusé lors de sa demande de promotion au poste de commandant. Ensuite, il juge
que les mesures de perquisition à son endroit ont été faites illégalement.

La
juge Turcotte en première instance accueille une requête en irrecevabilité de
la Ville de Montréal à l’égard de la première cause action et juge qu’un
arbitre devait trancher la question du refus de promotion, et non la Cour
supérieure. La Cour supérieure reste toutefois saisie de la réclamation de
Larivière portant sur les perquisitions illégales.

Décision

Nombre
de questions intéressantes sont soulevées par la Cour d’appel dans le pourvoi,
mais nous nous intéressons ici qu’à l’aspect procédural de l’appel.

Le
juge Mainville, écrivant pour la Cour, détermine qu’une permission d’appeler
était nécessaire pour se pourvoir contre le jugement en irrecevabilité de la
Cour supérieure.

Le
juge constate d’abord une certaine controverse jurisprudentielle sous l’ancien Code
de procédure civile
.

Certaines
formations de la Cour d’appel avaient conclu qu’une décision jugeant
irrecevable une partie d’un litige était un jugement final au sens de l’article
26, al. 1 de l’ancien Code, lorsque les causes d’action étaient
suffisamment distinctes. Le jugement en irrecevabilité pouvait alors faire
l’objet d’un appel de plein droit.

D’autres
formations avaient plutôt déterminé qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul
jugement final par instance et que, conséquemment, le rejet d’une seule cause
d’action était un jugement interlocutoire, donc appelable sur permission en
vertu de l’article 29, al. 1(1) de l’ancien Code.

Le
juge Mainville, constatant la controverse, analyse les nouvelles dispositions
du Code de procédure civile et tente de mettre fin au débat. Selon lui,
le nouveau Code clarifie que le droit de porter un jugement en appel sans
permission est fondé uniquement sur la notion de fin de l’instance :

[36]
[…] En effet, la distinction entre « jugement final » et « jugement
interlocutoire » aux fins d’un appel est désuète. L’article 30 C.p.c. énonce plutôt que ce sont les
jugements « qui mettent fin à une instance » qui sont susceptibles d’appel de
plein droit
. Même si l’idée qu’une même instance puisse comporter plusieurs
« jugements finals » pourrait toujours se défendre, seul le jugement « final »
qui « met fin à l’instance » est susceptible d’appel de plein droit
sous le
nouveau C.p.c.

Conséquemment,
s’il ne peut exister qu’un seul jugement qui met fin à l’instance, les autres
jugements définitifs (comme celui qui décline compétence partiellement) ne
peuvent être que des jugements rendus en cours d’instance et appelables sur
permission en vertu de l’art. 31, al. 2 C.p.c.

Le
juge se fonde notamment sur la réapparition de l’irrecevabilité partielle
(art. 168, al. 2 C.p.c.) pour justifier sa conclusion. Si, pour des
questions d’efficacité, une partie peut maintenant demander le rejet partiel
d’une action, il convient d’éviter qu’un appel de plein droit puisse se former
automatiquement à l’encontre de cette décision préliminaire. Le juge énonce
néanmoins une exception dans le cas où une partie est mise complètement hors de
cause à la suite d’une décision préliminaire : le jugement met bel et bien
fin à l’instance pour cette partie.

Bref,
le jugement déclinant compétence à l’égard d’une portion de l’action de
Larivière était un jugement ne mettant pas fin à l’instance et nécessitait une
permission pour se pourvoir en appel. La Cour accorde la permission dans les
circonstances.

Commentaires

Le
jugement de la Cour d’appel nous semble instaurer une politique claire et
raisonnée du droit d’appel lorsqu’un jugement préliminaire met fin à une seule
cause d’action d’un litige. Si le juge Mainville amplifie un peu l’ampleur de
la controverse sous l’ancien Code, on lui pardonnera facilement cet écart par
la justesse de la règle qu’il énonce.

La
règle prévalant avant cet arrêt obligeait l’avocat à établir le caractère divisible
de ses causes d’action aux fins de déterminer son droit d’appel. Dans certains
cas, comme celui de Larivière en l’espèce, la divisibilité des causes d’action
faisait peu de doute. Dans d’autres toutefois, la notion de cause d’action
distincte pouvait être plus difficile à cerner (on peut penser aux cas où sont
commises diverses inexécutions d’un même contrat). Par prudence, la règle
ancienne obligeait alors la partie appelante à inscrire en appel et à
présenter une requête de bene esse pour permission d’appeler. La règle
nouvelle énoncée dans Larivière a
l’avantage de rendre plus prévisible la procédure et d’être dissuasive à
l’égard de l’appel des jugements préliminaires.

La
règle nécessitera toutefois une certaine souplesse lors des demandes de
permission d’en appeler d’un jugement mettant fin partiellement au litige.
Certains jugements préliminaires portant sur une seule d’action peuvent, dans
les faits, rejeter une partie importante, voire principale, de l’action du
demandeur. Or, par le fait que ce rejet se déroule au stade préliminaire, le
demandeur perdra un droit d’appel de plein droit à l’égard de cette cause
d’action et devra passer par le filtre d’une demande de permission d’en appeler.
Il aura lieu pour les juges autorisateurs en appel de ne pas appliquer des
critères trop stricts sur la demande de permission d’en appeler simplement
parce que le demandeur a été l’objet d’une demande préliminaire en
irrecevabilité.

Pour
cette seule raison, il faudra peut-être attendre des décisions d’autres
formations de la Cour d’appel pour voir si la règle de l’arrêt Larivière recueille réellement l’assentiment du plus
haut tribunal québécois. Le plaideur devra peut-être attendre avant de ranger
définitivement ses requêtes de bene esse pour permission d’en appeler…

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...