Honoraires professionnels d’avocats : quelle est la date de prescription du droit d’action de l’avocat ?
Par Rachel Rioux-Risi
Par Rachel Rioux-Risi
Avocate
La présente décision intéressera tous les
avocats ! En effet, elle touche le droit d’action d’un avocat de réclamer
ses honoraires professionnels. Quel est
le délai de prescription dans un tel cas ? Cette question, en apparence
simple, a permis à la Cour suprême de remettre les pendules à l’heure sur le
sujet et sur les divers courants jurisprudentiels en la matière.
Faits
En septembre 2011, M. Guindon a retenu les
services de Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. et une convention d’honoraires a été
conclue. Relativement à la facturation, celle-ci prévoyait que toute facture
était payable dans les trente (30) jours et qu’après ce délai, des intérêts
s’appliqueraient. Dès la conclusion de la convention, une avance de 400 $ a été
remise par M. Guindon.
Le 5 octobre 2011, une première facture a été
transmise. L’avance de 400 $ y a été imputée. Par la suite, quatre (4) autres
factures ont été transmises. La dernière facture était datée du 1er mars 2012
et portait sur des services rendus jusqu’au 22 février 2012. Chaque facture
indiquait qu’elle était payable sur réception. Les deux (2) dernières factures,
quant à elles, offraient un délai de grâce de trente (30) jours. Un paiement
partiel a été effectué le 5 mars 2012. Cependant, M. Guindon a mis fin
au contrat le 21 mars 2012.
Le 12 mars 2015, l’avocat a intenté le présent
recours et ce, pour réclamer ses honoraires professionnels impayés. Depuis le
début du processus judiciaire, M. Guindon affirme que le recours est prescrit. Qu’en
est-il ? À quel moment le délai de prescription a-t-il débuté ?
Analyse
Les principes en matière de prescription : le point
de départ de la prescription
L’article 2880 du Code civil du Québec (R.L.R.Q., c. C-12) prévoit que le point de
départ de la prescription extinctive se situe « au jour où le droit d’action a
pris naissance ».
D’emblée, la Cour suprême a indiqué que l’exercice
de déterminer le point de départ est une question hautement factuelle et « dont
la solution dépend des circonstances propres à chaque cas et à l’égard
desquelles les cours d’appel doivent faire preuve d’une grande déférence ».
En matière contractuelle, comme c’est le cas en
l’espèce, la prescription du droit d’action du créancier débute au moment où
l’obligation du débiteur est née et exigible. Dans un tel cas, il faudra se
référer aux modalités et aux termes du contrat conclu entre les deux parties.
La Cour suprême a noté que ces mêmes principes
s’appliquent en matière de conventions d’honoraires professionnels lesquelles
peuvent prévoir des modalités et termes influençant le point de départ de la
prescription.
La Cour suprême a réitéré que chaque cas est
unique et qu’il faut analyser les circonstances propres à chacun de ces cas.
Le cas en l’espèce
Considérant les termes et modalités de la
convention intervenue entre les parties, la Cour suprême est d’avis que le
délai de prescription débutait à chaque échéance de chaque facture et non, à la
fin du mandat comme le prétend Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l.
En effet, dans le présent cas, le contrat intervenu
entre les parties prévoyait que la facture était payable dans les trente (30)
jours de la réception de ladite facture. Par conséquent, l’obligation de payer de
M. Guidon était née et exigible le 31e jour suivant la date de
chaque facture. C’est à ce même moment que le droit d’action de Pellerin Savitz
s.e.n.c.r.l. naissait.
Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. a soumis que le
délai de prescription ne pouvait débuter qu’au moment où le mandat a pris fin,
soit le 5 mars 2012.
Dans le présent cas, la Cour a rejeté cet
argument. Celui-ci n’est pas conséquent avec la convention qui a été conclue
entre les parties. En outre, accepter un tel argument mènerait à des situations
incongrues.
Abordant la notion de « fin des travaux ou de «
fin de mandat », laquelle est propre au contrat d’entreprise (articles 2098 et
suiv. du Code civil du Québec), la
Cour suprême a mis un terme à un courant jurisprudentiel ou une interprétation
de certaines décisions à l’effet que le délai de prescription de toute réclamation
d’honoraires professionnels débute au moment où le mandat prend fin.
Le contrat entre un avocat et son client n’est
pas un contrat d’entreprise, au sens du Code
civil du Québec, car il n’est pas question d’un « ouvrage » et il ne peut
alors bénéficier de l’article 2116 du Code
civil du Québec qui prévoit que le délai de prescription débute « qu’à
compter de la fin des travaux ».
Celui-ci peut prévoir toute sorte de modalités.
Considérant cela, il faut s’en remettre à celui-ci et aux faits particuliers de
chaque cas pour établir le moment où le droit d’action de l’avocat pour
réclamer des honoraires professionnels a pris naissance.
Il se pourrait que suite à une telle analyse,
la prescription débute à la fin du mandat, mais il ne faut pas en faire un
principe pour l’ensemble des conventions d’honoraires. Cela viderait de sens l’article
2880 du Code civil du Québec lequel
est applicable dans un tel cas. En outre, la bonne gestion de la pratique
professionnelle nécessite une flexibilité dans les modalités et les termes d’une
convention d’honoraires.
Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. a soumis que la
prescription a été suspendue jusqu’à la fin du mandat, car, conformément à
l’article 2904 du Code civil du Québec,
celui-ci était dans l’impossibilité d’agir considérant que ses obligations
déontologiques l’empêchent d’agir contre son client.
Il est vrai de dire qu’un avocat ne peut se
placer en situation de conflit d’intérêt avec son client et par ce fait même,
cela l’empêche généralement de poursuivre son client pour les honoraires
impayés.
Cela étant dit, la Cour suprême est d’avis
qu’il ne s’agit pas d’une impossibilité d’agir au sens de l’article 2904 du Code civil du Québec, lequel est une
disposition d’exception qui ne doit pas être élargie indûment. En effet, l’avocat,
dans une telle circonstance, peut cesser d’agir pour son client, conformément à
l’article 48 du Code de déontologie des
avocats (R.L.R.Q. c. B-1, r. 3.1), et ainsi, intenter une action
pour recouvrer les sommes dues.
La décision est disponible ici.
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