par
Sophie Lecomte
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04 Avr 2017

Retour sur la notion de prescription acquisitive

Par Sophie Lecomte, avocate


Par Sophie Lecomte
Avocate

Dans son arrêt Crête
c. Vallée Indienne Développement Inc. 2017 QCCS 1016,
la Cour revient sur
les règles applicables en matière de prescription acquisitive.

Faits

En l’espèce, la demanderesse demande à être
déclarée propriétaire, par prescription acquisitive, d’une partie d’une
parcelle pour laquelle la défenderesse détient un titre de propriété dûment
publié.

La défenderesse, quant à elle, soutient que la
demanderesse ne détenait qu’une tolérance et, qu’en tant que bénéficiaire d’une
servitude d’égouttement sur la parcelle en litige, la demanderesse ne peut prétendre à la prescription de cette parcelle sans apporter la
preuve d’une interversion de titre.

Décision et
analyse

Les articles 2875 à 2933 du Code civil du Québec
(ci-après : «C.c.Q.») énoncent les règles applicables à la prescription
acquisitive.

La prescription acquisitive repose fondamentalement
sur la possession et sur un facteur temporel. C’est ainsi que les règles de la
prescription et de la possession s’étudient de concert.

Elle est un
moyen d’acquérir le droit de propriété par l’effet de la possession. Le délai
de la prescription acquisitive est de 10 ans, s’il n’est autrement fixé par la
loi. Considérant qu’au Québec, ce qui n’est pas déclaré
imprescriptible peut être par principe prescrit.

Les
conditions de l’exercice de la prescription acquisitive sont les
suivantes :

  • La prescription acquisitive requiert
    une possession, soit l’exercice de fait d’un droit réel dont on se veut
    titulaire.
  • Pour produire ses effets, la possession doit se faire
    de façon paisible, continue, publique et non équivoque.
  • Ainsi, le possesseur qui, pendant dix ans,
    possède un immeuble à titre de propriétaire peut en acquérir la propriété.
  • Pour en bénéficier, le possesseur devra faire une
    demande en justice.
  • Il faudra que la possession soit toujours
    actuelle lors de la demande en acquisition judiciaire du droit de propriété par
    prescription décennale.
  • Précisant que le législateur n’exige pas de
    faire la preuve expresse de dix années de possession continue : il suffit
    de démontrer que la possession a débuté il y a plus de dix ans et qu’elle est
    toujours actuelle.

En l’espèce, la Cour vient préciser que, bien
que cela ne soit pas nécessaire aux fins de la prescription acquisitive d’un
immeuble, la demanderesse a toujours pensé être propriétaire de la
parcelle en cause à compter du moment où elle a acquis la propriété en 1983.

La demanderesse avait l’animus nécessaire à l’exercice d’une possession utile, c’est-à-dire l’intention de
posséder pour elle-même, à titre de propriétaire. Et, elle a présenté une
preuve positive et crédible de sa possession continue, publique et paisible
pendant plus de dix ans.

[38]  La preuve présentée par Vallée Indienne, à l’effet que son représentant Michel Pronovost n’a eu
connaissance que tardivement de certains actes de possession posés par la
demanderesse, est insuffisante pour repousser la preuve positive et crédible
présentée par Crête de sa  possession continue, publique et paisible depuis plus
de dix ans
.

[39]  D’autre part, et ceci dit avec égard, le Tribunal
estime mal fondé l’argument présenté par Vallée Indienne suivant lequel Crête ne pouvait commencer à prescrire sans au préalable
procéder à une intervention de titre
.

[40] 
Il est utile de reproduire les dispositions
suivantes du Code civil du Québec :

«  921. La possession est l’exercice de fait, par soi-même ou
par l’intermédiaire d’une autre personne qui détient le bien, d’un droit réel
dont on se veut titulaire.
Cette volonté est présumée. Si elle fait défaut, il y
a détention.

922. Pour produire des effets, la possession doit être
paisible, continue, publique et non équivoque.

923. Celui qui a commencé à détenir pour le compte d’autrui
ou avec reconnaissance d’un domaine supérieur est toujours présumé détenir en
la même qualité, sauf s’il y a preuve d’interversion de titre résultant de
faits non équivoques.

924. Les actes de pure faculté ou de simple tolérance ne
peuvent fonder la possession.

925. Le possesseur actuel est présumé avoir une possession
continue depuis le jour de son entrée en possession; il peut joindre sa
possession et celle de ses auteurs.
La possession demeure continue même si l’exercice en
est empêché ou interrompu temporairement. […]

2914. Un titre précaire peut être interverti au moyen d’un
titre émanant d’un tiers ou d’un acte du détenteur inconciliable avec la
précarité.
L’interversion rend la possession utile à la
prescription, à compter du moment où le propriétaire a connaissance du nouveau
titre ou de l’acte du détenteur. »

[41]  En l’espèce Crête, comme nous l’avons déjà dit, n’a jamais su que la
servitude d’égouttement stipulée dans le titre de son auteur avait pour
assiette une partie de la parcelle litigieuse dont elle se croyait erronément
propriétaire. Crête n’a jamais
pu reconnaître l’existence d’un « domaine supérieur » dont elle
ignorait l’existence eu égard à la parcelle litigieuse. Sa possession était non
équivoque. Cela suffit, à mon avis, à écarter l’application de l’article 923 C.c.Q et la nécessité de la preuve d’une interversion de
titre.

[42] Soulignons en outre tout ce que la servitude autorise
est la mise en place de tuyaux souterrains (sans doute un champ d’épuration) et
l’exercice d’un droit de passage à la seule fin de réparer et au besoin de
remplacer ces tuyaux. L’usage qu’a fait Crête de la parcelle litigieuse est tout autre, celle-ci
utilisant la parcelle à tous égards comme si elle en était propriétaire.

[43]   La demanderesse a fait la preuve que sa possession de
la parcelle de terrain visée par sa demande est non équivoque, paisible,
continue, publique et plus que décennale. Elle a établi son droit d’en être
déclarée propriétaire
.

La décision intégrale se trouve ici.

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