13 Mar 2018

Le congédiement, une punition trop sévère (même en cas de divulgation fautive)


Par Ariane Jamin
Avocate

Les faits mis en
preuve dans la décision Procureure
générale du Québec
c. St-Arnaud
touchent à un enjeu important en droit du travail : celui de l’interaction
entre le devoir de loyauté du salarié envers son employeur et sa liberté
d’expression de faire des divulgations dans l’exercice de ses fonctions.

S’il est vrai
que le devoir de loyauté demeure souvent prépondérant, la divulgation externe
d’informations sur son employeur demeurant une mesure exceptionnelle, l’employeur
n’est pas toujours justifié de congédier un salarié ayant manqué, même
gravement, à ce devoir.

Faits

En décembre
2015, le salarié est inspecteur au Ministère du Développement durable, de l’Environnement
et de la Lutte contre les changements climatiques (ci-après « Ministère ») où il est responsable
d’assurer l’observance des encadrements juridiques et réglementaires en matière
environnementale. Il compte alors 23 années d’ancienneté.

À cette époque,
la question environnementale alimente de nombreux reportages puisqu’un grand
volume d’eaux usées non traitées venait d’être déversé dans le fleuve
Saint-Laurent, l’épisode du « flushgate ».
Dans ce contexte, à l’initiative du syndicat, une entrevue est organisée avec
un journaliste de Radio-Canada.

Cette entrevue
doit permettre d’aborder des questions qui avaient déjà été portées sur la
place publique, soit celles de la baisse des effectifs assignés aux inspections,
les différences entre les types d’inspections et le travail confié aux
étudiants durant les périodes estivales. Le salarié accepte d’y participer,
mais demande à ce que son visage soit couvert et à ce que sa voix soit modifiée.

Le reportage, qui
sera plus tard diffusé à la télévision, contient de courts extraits où l’inspecteur
reproche au Ministère son manque de diligence. À son avis, face à la diminution
de la présence du Ministère sur le terrain, les entreprises sont désormais
« moins sur leurs gardes ».

Malheureusement
pour cet inspecteur, malgré les précautions prises en vue de cacher son
identité, l’employeur le reconnaît et le convoque alors à une rencontre d’équité
procédurale. Suite au visionnement du reportage, le salarié nie d’abord qu’il est
l’inspecteur interrogé par le journaliste. Il l’admet ensuite, tout en
reconnaissant que, pour son employeur, son comportement soit considéré inacceptable.

Le lendemain, l’employeur
congédie son inspecteur en lui reprochant d’avoir tenu des « propos
erronés, alarmistes et de nature à inquiéter la population » et à porter
atteinte à sa réputation, et ce, sans son autorisation dans une entrevue
journalistique.

Le syndicat dépose
par conséquent un grief afin de contester le congédiement. La sentence arbitrale,
rendue en août 2017, annule le congédiement pour le convertir en une suspension
de deux (2) mois. L’employeur demande ensuite le contrôle judiciaire de cette
sentence et à ce que le congédiement soit maintenu.

Analyse

Ici, ne porte
pas à débat la question de la norme de contrôle applicable. Il s’agit, sans
contredit, de la norme de la décision raisonnable puisque la question que
devait trancher l’arbitre était au cœur de sa compétence exclusive, soit le
caractère approprié ou non du congédiement.

La Cour devait
par conséquent analyser les motifs invoqués par l’employeur à la lumière de
cette norme de « raisonnabilité ».

Ce dernier
invoquait premièrement que l’arbitre n’avait pas appliqué adéquatement le cadre
juridique entourant la divulgation d’informations et l’obligation de loyauté,
d’une part, en omettant de considérer le caractère erroné et faux des
déclarations du salarié et, d’autre part, en analysant le comportement du
salarié en fonction des dispositions du Projet de loi 87 concernant les
sonneurs d’alarme.

Deuxièmement,
l’employeur invoquait que l’arbitre avait déraisonnablement convertit le
congédiement en suspension de deux (2) mois en considérant certains éléments de
preuve comme facteurs atténuants alors qu’il s’agissait plutôt de facteurs
aggravants ou neutres.

La Cour
supérieure, sous la plume du juge Michel Beaupré, répond à ces arguments en
concluant que la sentence arbitrale contre laquelle se pourvoit l’employeur
possède tous les attributs de la « raisonnabilité ».

En ce qui a
trait au motif qui attaque le cadre juridique appliqué par l’arbitre afin
d’évaluer le comportement du salarié ayant divulgué des informations,
l’employeur ne conteste pas, a priori,
que l’arbitre comprenait l’état du droit sur cette question.

Rappelons que ce
cadre contient cinq éléments à considérer aux fins d’analyser si une
divulgation publique d’un salarié contrevient à son obligation de
loyauté :

  • avoir
    épuisé tous les recours internes;

  • être
    de bonne foi, ne pas être motivé par un esprit de vengeance;

  • divulguer
    seulement ce qui est d’intérêt public;

  • s’assurer
    que l’information rendue publique est véridique;
  • s’assurer
    que l’ampleur de l’intervention publique n’est pas disproportionnée avec
    l’objectif poursuivi.

L’employeur
insistait toutefois sur le fait que les déclarations du salarié étaient fausses
(soit le quatrième élément) et que l’arbitre avait omis de considérer ce fait
dans son application du cadre.

Or, le juge en
révision judiciaire conclut que l’arbitre n’a pas escamoté la question soulevée
par l’employeur. Il y a répondu en rappelant qu’il ne s’agissait que d’un des
éléments à pondérer (parmi les cinq dégagés par la jurisprudence) afin de
déterminer si le salarié avait contrevenu à son obligation de loyauté.

Par ailleurs,
sans qualifier explicitement les propos de l’inspecteur de véridiques,
l’arbitre note cependant que, de l’aveu même du sous-ministre, les visites des
étudiants avaient effectivement été comptabilisées dans le total des
inspections annuelles, ce qui confirmait l’information transmise par l’inspecteur
à Radio-Canada.

En outre, en
appliquant le cadre d’analyse en cette matière, l’arbitre, a conclu que le salarié
avait, par ses gestes, commis une faute grave. Il est donc loin de minimiser
indûment la faute commise par le salarié.

Ensuite, selon
l’employeur, le raisonnement de l’arbitre était vicié par son analyse du
comportement du salarié en fonction de dispositions non en vigueur au moment de
la survenance des faits (ces dispositions font, depuis mai 2017, partie de Loi facilitant la divulgation d’actes
répréhensibles à l’égard des organismes publics
).

Or, le juge constate
que l’arbitre en a plutôt tenu compte comme d’un élément qui renseigne sur
l’évolution du discours social en matière de transparence dans l’administration
des services publics. L’arbitre avait d’ailleurs noté l’admission du syndicat à
l’effet que « même si cette loi avait été en vigueur, elle n’aurait pas
protégé le plaignant ».

En effet, bien
que les actes divulgués par l’inspecteur pourraient constituer des actes
répréhensibles en vertu de la nouvelle loi, cette dernière impose de suivre une
procédure particulière pour ce faire. Cette divulgation doit généralement être
faite au Protecteur du citoyen ou à l’interne et ne peut être faite directement
au public que lorsque la personne a des motifs raisonnables de croire qu’il y a
un risque grave et urgent pour la santé ou la sécurité d’une personne ou pour
l’environnement.

Finalement, en
ce qui a trait à la conversion du congédiement en suspension, le juge conclut
que cette décision était raisonnable compte tenu de l’ensemble des facteurs
considérés par l’arbitre.

Tout d’abord,
l’arbitre a, en vertu du Code du travail,
toute la latitude voulue afin d’annuler une décision de l’employeur et d’y
« substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu
de toutes les circonstances de l’affaire ».

Bien qu’il est
vrai que la règle de la gradation des sanctions peut être écartée en cas de
manquement grave à l’obligation de loyauté, cela ne veut pas dire qu’elle doit
toujours l’être. L’arbitre conclut dès lors que cette gradation des sanctions
n’aurait dû être écartée par l’employeur, le congédiement étant une sanction
trop sévère en l’espèce. Il conclut en ce sens en considérant, avec raison, l’ancienneté
du salarié (23 ans), l’absence d’antécédent disciplinaire sur cette période et
les regrets exprimés par le salarié lors de l’audition du grief en tant que
facteurs atténuants.

De plus, il
était raisonnable pour l’arbitre, dans l’exercice de sa discrétion en matières
disciplinaires, de tenir compte de l’intention législative et de l’évolution
sociale afin de déterminer la sanction appropriée. En effet, l’analyse de
l’ensemble des circonstances, notamment le fait que le salarié n’a pas agi dans
son intérêt personnel, qu’il n’a pas cherché à discréditer qui que se soit
personnellement et le fait que la divulgation survienne dans un contexte de
critique de la gestion du Ministère par le syndicat et les groupes de pression
en environnement, amène l’arbitre à considérer la nouvelle loi.

Commentaire

Cette décision
est intéressante car elle laisse présager que, même là où la Loi facilitant la divulgation d’actes
répréhensibles à l’égard des organismes publics
ne trouve application,
celle-ci pourra teinter l’analyse des décideurs en matière de divulgations
externes, tout particulièrement lorsqu’elles traiteront de sujets qui
intéressent le public. En effet, l’arbitre a accordé une grande importance au
contexte dans lequel les gestes ont été commis, « qui s’inscrivent dans
cette évolution assez récente des demandes de transparence dans
l’administration des services publics ». Cette évolution est désormais
matérialisée dans la nouvelle loi.

La décision se
trouve ici.

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