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Antoine Hammam
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11 Nov 2020

Quoi de neuf en matière de passation de titre?

Par Antoine Hammam, avocat

Le marché immobilier Montréalais en grande efflorescence et le volume important de transactions qui en découle quotidiennement, tant en matière commerciale que résidentielle, rend le terrain fertile à la défaillance de certains co-promettants et, de ce fait, aux actions en passation de titre.

L’action en passation de titre est un recours particulier assujetti à certaines formalités bien ancrées dans la jurisprudence depuis plusieurs décennies. Depuis l’arrêt Houlachi c. Bray, 1997 CanLII 10151, (QC CA)) ce formalisme a subi des assouplissements majeurs, mais fait toujours couler beaucoup d’encre.

Cet article se veut d’abord être une mise à jour sur les fondements de ce recours à travers une revue des décisions saillantes de l’année courante et un rappel de certains principes importants à garder à l’esprit lorsqu’on est appelé à intervenir dans un tel recours.

Quoique les décisions recensées soient exclusivement en matière immobilière, ne serait-ce qu’en raison de leur seule prépondérance dans le corpus jurisprudentiel, les enseignements que l’on en tire sont parfaitement transposables en matière mobilière.

Kenneth Haroon c. Michel Proulx, 2020, QCCS 1625

Cette décision récente de la Cour supérieure rendue en avril 2020 est un bon rappel des principes applicables en matière de passation de titre et, surtout, des graves conséquences qui peuvent découler du refus du co-promettant de clore la transaction.

Il s’agit d’une action entreprise par le vendeur d’un immeuble contre son promettant-acheteur. Non seulement le Tribunal donne-t-il gain de cause au demandeur en ordonnant le défendeur de signer l’acte de vente et de payer le prix de vente, mais il le condamne également à indemniser le vendeur pour les dommages que ce dernier avait subi en raison du retard dans le transfert de titre.

L’honorable juge Marie-Paule Gagnon commence d’abord par résumer les conditions essentielles à satisfaire pour réussir une action en passation de titre, soit :

1. L’existence d’une promesse d’achat-vente valide et exécutoire, dont toutes les conditions, le cas échéant, ont été remplies ou abandonnées;

2. Une lettre de mise en demeure envoyée à l’autre partie, lui enjoignant de signer l’acte de vente;

3. Le demandeur doit présenter un acte de vente signé qui est substantiellement conforme aux conditions de la promesse d’achat;

4. Si le demandeur est l’acheteur, il doit déposer le prix de vente au greffe de la Cour, ou s’engager formellement à effectuer le paiement dans le cadre des procédures;

5. L’action du demandeur doit être prise dans un délai raisonnable, lequel dépend largement des circonstances de la transaction et des faits particuliers du litige.

Après une analyse détaillée des faits et des positions respectives des parties, la juge conclue que toutes les conditions ont été satisfaites et procède à la détermination des dommages et intérêts auxquels aura droit le demandeur. Dans les circonstances de cette affaire, le promettant-acheteur a été tenu des dommages suivants :

1. Les Frais de notaire et de transaction;

2. Les frais bancaires et financiers;

3. Les intérêts de l’hypothèque;

4. Les frais d’entretien et de garde de la propriété, y compris les taxes municipales et scolaires, les primes d’assurance, les frais d’électricité, les frais de la centrale d’alarme et de la ligne téléphonique;

5. Les frais de signification de la mise en demeure de passer titre;

6. Les troubles et inconvénients subis;

Il est à noter que la jurisprudence et la doctrine[1] reconnaissent également le droit du demandeur ayant eu gain de cause de réclamer d’autres types de dommages, tels les frais liés aux démarches de vente, y compris les frais de courtage[2] et de publicité[3], ainsi que les pertes de profit[4], les troubles et inconvénients[5] et les opportunités perdues[6], lorsque celles sont prévisibles et étroitement liées au défaut du défendeur.

Enfin, comme nous le verrons ci-dessous, les honoraires d’avocat peuvent également être réclamés dans les cas d’abus.

Le Groupe Axxco-Angus Inc. c. Coopérative d’Habitation Rose-Main, 2020 QCCA 1244

Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant fait droit à l’action en passation de titres intentée par la promettante-acheteuse d’un immeuble. Cet arrêt, qui confirme le jugement de première instance et appuie en tous points le raisonnement du juge, est un bel exemple de l’assouplissement des conditions de succès d’une action en passation de titre élaborés par la jurisprudence (voir supra).

L’appelante Groupe Axxco-Angus Inc. (« Axxco ») ayant été condamnée à vendre l’immeuble en litige à la Coopérative d’Habitation Rose-Main, se pourvoit en appel au motif que les conditions essentielles pour obtenir la passation forcée n’ont pas été remplies, notamment l’obligation de consigner le prix de vente et l’existence d’une promesse valide et exécutoire.

Selon le juge de première instance, le prix de vente et ses accessoires, notamment les taxes, étaient disponibles en temps opportun, nonobstant l’absence de consignation. Il prend en compte les assouplissements de cette condition par la jurisprudence et conclut que la condition de consignation du prix de vente a été satisfaite par la seule confirmation, lors du procès, que l’argent pourra être transféré rapidement. Il assujetti, toutefois, son ordonnance de passation au dépôt du prix de vente au compte en fidéicommis du notaire instrumentant.

Sur la question de la validité de la promesse, il importe de pointer que celle-ci avait fait l’objet d’une cession en faveur de la demanderesse. Le document de cession comportait toutefois une erreur, en ce qu’il référait à une offre antérieure à celle qui fait l’objet de la cession. Le juge de première instance refuse d’invalider la promesse et accepte que la référence erronée soit une erreur qui a été valablement corrigée après l’institution des procédures.

Enfin, bien que ce moyen n’ait pas été soulevé en appel, il est intéressant de noter qu’en première instance la défenderesse Axxco contestait la conformité de l’acte de vente, au motif qu’il comportait une quittance totale et finale pour le prix de vente, alors que celui-ci n’avait pas encore été reçu. Le juge d’instance rejette l’argument de la défense en précisant qu’il s’agit d’un « détail pratique dont les parties s’occuperont, mais qui ne justifie pas la résolution de l’entente de vendre la propriété ». Il s’agit là d’un autre exemple de la souplesse avec laquelle les tribunaux appliquent les conditions à satisfaire pour obtenir la passation de titre.

Mamdouh Mansour et al. c. Abdul Fatihi et al., 2020 QCCA 965

Cet arrêt revêt une importance particulière puisqu’il traite d’un cas de dol de la part du promettant-vendeur, et s’attarde sur la possibilité de donner droit à une action en passation de titre lorsque l’immeuble a déjà été vendu à un tiers. La Cour d’appel fait le point sur l’interrelation des articles 1397, 1631 et 2968 C.c.Q.

La Cour, confirme un précédent jurisprudentiel selon lequel l’article 1397 C.c.Q, qui rend opposable l’acte fait en violation d’une promesse au bénéficiaire de celle-ci, doit primer sur l’action en inopposabilité prévue à l’article 1631 C.c.Q. Elle tempère toutefois ce principe en mettant en application un obiter dictum qu’elle avait antérieurement énoncé, selon lequel l’article 1631 C.c.Q. peut parfois emporter sur l’article 1397 C.c.Q., lorsqu’on est en présence de « dissimulation », « manœuvre mensongère, dolosive ou autrement frauduleuse ».

Quoique la Cour conclue à l’existence de « machination frauduleuse » rendant la vente de l’immeuble en violation de la promesse inopposable aux intimés (promettant-acheteurs), elle n’applique pas l’article 1631 C.c.Q., puisque les intimés avaient préinscrit leur droit avant la vente dolosive. Les intimés bénéficiaient donc de l’application de l’article 2097 C.c.Q., selon lequel leur titre est réputé publié avant ladite vente, rendant celle-ci inopposable à leur égard et ce, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’article 1631 C.c.Q.

Cet arrêt rappel l’importance de la préinscription de l’action en passation de titre en temps opportun, tout en confirmant la possibilité de pouvoir procéder par la voie d’une action en inopposabilité en cas de fraude, et ce, même en l’absence de préinscription.

Nous invitons le lecteur à consulter le résumé plus détaillé de cet arrêt préparé par Me Elsa Rizkallah et Me Johannie Mongeau dans « Aux civilistes avertis : les décisions essentielles des derniers mois (mai-août 2020) » publié sur le blogue du CRL le 1er octobre 2020.

Entreprise Nowlan Inc. c. Mehrzad Peyrow et al., 2020 QCCS 3171

Dans cette affaire, l’honorable juge Michel A. Pinsonneault de la Cour supérieure est saisi d’une demande des défendeurs en rejet de l’action de la demanderesse en passation de titre.

La demanderesse, ayant fait défaut de satisfaire les conditions d’une offre de vente conditionnelle, ne bénéficiait pas, malgré ses prétentions, d’une promesse d’achat valide et exécutoire. La demanderesse avait également fait défaut de mettre en demeure le vendeur de passer titre, de consigner le prix de vente et de lui présenter un acte de vente conforme à la promesse. En effet, la demanderesse ne remplissait qu’une seule des cinq conditions essentielles à l’action en passation, soit celle d’avoir déposé son action dans un délai que le juge qualifie de « soi-disant » raisonnable. La demanderesse n’a pas pu démontrer que son droit à la passation était « né et actuel au moment de l’introduction du recours ».

Le jugement étoffé du juge Pinsonneault reprend en détail les principes établis par la jurisprudence, et reconnaît l’assouplissement des formalités du recours qui étaient autrefois appliquées de façon stricte. Toutefois, au grand désarroi de la demanderesse, qui espérait pouvoir bénéficier de ces assouplissements pour faire pardonner les lacunes de son action, le juge, se justifiant du contexte particulier de l’affaire, se montre assez stricte à son égard.

Selon le Tribunal, « lorsque toutes les conditions sont absentes sauf l’institution du recours en passation de titre dans un délai raisonnable, la flexibilité doit céder le pas à l’interprétation stricte, mais encore là, tout dépend évidemment du contexte ». Le Tribunal fait également siens les propos du juge André Pévost dans l’affaire Lammam c. Succession de Preston, 2019 QCCS 1311 selon lesquels « le ‘TEST‘ pour savoir si les mêmes conditions ont été rencontrées est beaucoup plus stricte, formel et sans flexibilité » lorsque la demande est précédée d’une préinscription au registre foncier, laquelle « est assimilée à une saisie avant jugement ».

Sans surprise, le juge accueille la demande des défendeurs, rejette l’action en passation de titre de la demanderesse, et la déclare abusive. Il réserve alors le droit du défendeur Peyrow (le vendeur) de demander subséquemment l’adjudication des honoraires et débours extrajudiciaires qu’il a engagés.

Le Tribunal ordonne conséquemment la radiation de l’avis de préinscription publié par la demanderesse dont « le but réellement recherché est de bloquer et ainsi faire échec à la vente de l’Immeuble ».

L’intérêt de cette décision est double. D’abord, elle nous rappelle que le formalisme auquel sont assujettis les actions en passation de titre les rendent particulièrement vulnérables à être rejetées au stade préliminaire des procédures, lorsque la satisfaction de l’une des cinq conditions préalables fait défaut. Ensuite, ce jugement sert de mise en garde aux adeptes de la pratique abusive dénoncée par le juge, qui vise à bloquer la vente de l’immeuble objet du litige à un tiers, par l’institution d’un recours en passation de titre et la publication immédiate d’un avis de préinscription au registre foncier.

Maryam Kamali Nezhad et al. c. Jacqueline Larose-Josepovic, 2020 QCCA 1071

La Cour d’appel rejette la permission d’appeler d’un jugement de première instance qui accueille une demande en rejet de l’action en passation de titre intentée par la requérante et condamne cette dernière à payer les frais juridiques engagés par l’intimée.

À l’instar de la décision Nowlan (supra), la demande en passation de titre de la requérante était « vouée à l’échec en raison du non-respect du délai prévu à la condition liée au financement du prix d’achat ».

Le juge de première instance conclu également à l’existence d’un « stratagème » ayant « amené les requérants à inciter un notaire à enregistrer un acte hypothécaire sur la propriété quelques jours avant la date prévue pour la vente ». Les requérants avaient également enregistré un avis de préinscription de leur action en passation de titre. Il s’agit encore là d’un rappel et d’une mise en garde contre les pratiques abusives pouvant être adoptées par certains, tant avant qu’après l’institution du recours en passation de titre, et qui donnent ouverture à une condamnation au remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires de la partie adverse.

[1] Anne-Marie Williams, « Action en passation de titre », dans S.F.C.B.Q., vol. 253, Développements récents en droit immobilier et commercial (2006), Cowansville, Éditions Yvon-Blais, p-73 à 77

[2] Lesage c. St-Laurent, 2002 CanLII 21496 (QC CS)

[3] Gingras c. Tremblay, 2000 CanLII 18789 (QC CS)

[4] André Théberge et al. c. Micheline Durette et al. 2007 QCCA 42

[5] Montreuil c. Aubé, 2004 CanLII 11512 (QC CS)

[6] Ohayon c. Caisse Populaire Desjardins Saint-Donat de Montcalm, 2004 CanLII 8773 (QC CQ)

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