Une opération d’infiltration sur le pas de la porte d’une résidence privée déclarée légale par la Cour d’appel
Par Marie-Michèle Paquin, avocate
Toute personne a une attente raisonnable en matière de vie privée dans sa résidence. Cependant, le plus haut tribunal du pays reconnaît qu’il existe une invitation implicite permettant aux policiers d’entrer sur le terrain d’une propriété privée afin de communiquer avec ses occupants. Mais qu’en est-il lorsque de tels gestes sont posés par un agent infiltration? La Cour d’appel du Québec (ci-après : « Cour d’appel ») conclut dans l’arrêt Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131 que dans le cadre d’une enquête légitime, un agent d’infiltration peut cogner à la porte d’une résidence privée afin de susciter une conversation avec l’occupant et collecter de l’information permettant de faire progresser une enquête légitime.
Contexte
La police a des soupçons raisonnables de croire que des activités liées aux stupéfiants prennent place à l’intérieur d’une résidence privée. Afin d’obtenir un mandat de perquisition pour fouiller ce domicile, le corps d’enquête a besoin d’informations additionnelles. Pour ce faire, les policiers demandent à un agent civil d’infiltration de se présenter à la maison en question dans le but d’entrer en communication avec son occupant et de récolter des informations permettant l’acquisition de motifs raisonnables. C’est grâce à une conversation se déroulant sur le pas de la porte de cette résidence que les renseignements requis sont amassés, menant aux perquisitions ayant permis la découverte de stupéfiants[1].
La Cour du Québec a rejeté la requête en exclusion de la preuve présentée par la défense pour le motif que cette méthode d’enquête ne viole pas l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés[2]. Ainsi, la Cour d’appel doit se positionner à savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les gestes posés par l’agent ne constituent pas une fouille et que les principes établis dans l’arrêt Evans[3] de la Cour suprême du Canada ont été respectés[4].
Décision
La Cour d’appel rappelle d’abord que l’arrêt Evans[5] permet aux policiers de se présenter à la porte d’une résidence privée afin de discuter et questionner ses occupants en vue de faire avancer une enquête en cours. Toutefois, encore faut-il que cette enquête soit légitime et ne constitue pas une simple expédition de pêche; l’État doit « […] être en possession d’information permettant de faire un lien entre les occupants de la résidence et une conduite criminelle réelle ou soupçonnée »[6]. Le but d’une telle méthode ne peut être de recueillir des éléments de preuve, mais doit simplement viser à entrer en contact avec le résident dans le but de collecter de l’information[7].
Le fait qu’une telle opération soit menée par un agent civil d’infiltration plutôt que par un policier ne change rien dans l’application de ces principes[8], tant que l’information est révélée de consentement par l’occupant[9].
En l’espèce, l’agent a cogné au domicile et n’y est jamais entré, il a simplement discuté avec son occupant sur le pas de la porte[10]. Une telle communication ne peut être assimilée à une fouille aux termes de l’article 8 de la Charte[11] :
« […] Lorsqu’un agent de l’État se présente au domicile d’un justiciable vêtu en civil et qu’il omet de révéler son statut de policier, l’occupant de la résidence peut difficilement prétendre que les éléments incriminants qu’il révèle de son plein gré lors d’une discussion consentante ont été obtenus par une fouille ou encore, qu’il s’est senti « obligé » de répondre à son interlocuteur. Dans ces circonstances bien particulières, les déclarations faites par l’occupant ne risquent pas d’être obtenues sous contrainte. Leur caractère libre et volontaire est nécessairement moins préoccupant. La Cour suprême souligne d’ailleurs qu’il n’existe aucune expectative raisonnable de vie privée lors d’un entretien en personne avec un agent d’infiltration. »[12] [Nous soulignons.]
De plus, les agissements de l’agent avaient pour but de susciter une discussion alors que le corps d’enquête détenait déjà des renseignements rattachant potentiellement les occupants de la résidence à des activités liées aux stupéfiants[13].
Pour ces motifs, la Cour d’appel rejette le pourvoi.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1] Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131, par. 7, 8.
[2] Charte canadienne des droits et des libertés, L.R.C. (1985), App. II, n° 44, art. 12 (ci-après cité : « Charte »).
[3] R. c. Evans, [1996] 1 RCS 8.
[4] Tremblay c. R., préc., note 1, par. 6.
[5] R. c. Evans, préc., note 3.
[6] Tremblay c. R., préc., note 1, par. 28.
[7] Id.
[8] Id., par. 29.
[9] Id., par. 31.
[10] Id., par. 7.
[11] Id., par. 32, 34.
[12] Id., par. 35.
[13] Id., par. 33, 37.
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