La Cour d’appel se prononce: Alexandre Bissonnette sera éligible à une demande de libération conditionnelle après 25 ans plutôt que 40 ans
Par Marie-Michèle Paquin, avocate et Ana-Maria Morosanu, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Le cas d’Alexandre Bissonnette est bien connu ; l’auteur de la tuerie à la mosquée de Québec a été déclaré coupable de plusieurs meurtres et s’est vu octroyer une peine d’emprisonnement à perpétuité avec une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 40 ans[1]. C’est en vertu de l’article 745.51(1) du Code criminel (ci-après cité : C.cr.)[2] que le juge de première instance a ordonné que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de l’accusé soient purgées consécutivement[3].
Cette décision a été portée en appel par la défense (Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585), amenant ainsi la plus grande cour de notre province à se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition de la loi[4].
Résumé de la décision
Le paragraphe 745.51(1) C.cr. permet au juge chargé de la peine d’« […] ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement »[5] dans une affaire de meurtres multiples. En l’espèce, la Cour d’appel devait donc trancher si :
« […] une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant une période de 50, 75, 100, 125 ans, voire plus, constitue, par sa nature ou parce qu’exagérément disproportionnée, un traitement dégradant et déshumanisant qui est intrinsèquement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte ou qui va à l’encontre du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, au sens de l’article 7 de la Charte »[6].
La Cour débute son analyse de la constitutionnalité sous l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés[7] (ci-après citée : Charte) et arrive à la conclusion que le cumul des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle constitue un traitement cruel et inusité[8]. En effet, l’article 745.51 C.cr. a une portée excessive et permet le prononcé de peines nettement disproportionnées[9]. La Cour d’appel souligne d’ailleurs les situations absurdes pouvant résulter de l’application de cette disposition, notamment le prononcé d’ordonnances irréalisables. Par exemple, en vertu de cet article, une ordonnance pourrait permettre de reporter l’admissibilité à la libération conditionnelle d’un accusé à 100 ans, ce qui surviendrait clairement après son décès.
La Cour poursuit son analyse en se penchant sur l’article 7 de la Charte et affirme que la disposition étudiée contrevient au droit à la liberté et à la sécurité et porte atteinte à plus d’un principe de justice fondamentale[10]. La portée de l’article 745.51 C.cr. est démesurée eu égard aux objectifs recherchés par son adoption puisqu’il vise tous les auteurs de meurtres multiples, peu importe le cas de figure. En effet, par cette disposition, le législateur cherchait à « 1) protéger la société des tueurs les plus incorrigibles et 2) rétablir un équilibre entre les droits des victimes et ceux des auteurs de meurtres multiples de même que reconnaître la valeur de chaque vie perdue »[11]. Or, la Cour soumet qu’il n’existe pas de lien rationnel entre certains effets de cette disposition et les objectifs précédemment énumérés[12].
Pour ces raisons, l’article 745.51 C.cr. contrevient aux articles 7 et 12 de la Charte[13] et ne peut être sauvegardé par l’article 1 de cette même loi[14]. La Cour est d’avis que cette disposition doit être annulée immédiatement et que sa réécriture s’avère impossible, que ce soit par interprétation large ou atténuée[15].
Ultimement, la disposition est déclarée inconstitutionnelle et la sentence de l’accusé est modifiée de manière à lui permettre de faire une demande de libération conditionnelle après 25 ans d’emprisonnement[16].
« [189] À ce sujet, il est utile de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une peine de 25 ans d’emprisonnement, mais bien d’un emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de demander la libération conditionnelle avant 25 ans. En d’autres termes, rien ne permet d’affirmer que la libération conditionnelle sera accordée par la Commission des libérations conditionnelles dans 25 ans. Tout dépendra des circonstances à ce moment, notamment du niveau de dangerosité de l’appelant, de son potentiel de réinsertion sociale et de l’évolution de sa personnalité. De plus, comme toute libération conditionnelle, si elle est accordée, elle prévoira les conditions nécessaires pour assurer adéquatement la sécurité du public, sans quoi elle ne le sera pas »[17].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] R. c. Bissonnette, 2019 QCCS 354, par. 1227.
[2] Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 745.51(1).
[3] R. c. Bissonnette, préc., note 1, par. 1210.
[4] Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585, par. 53.
[5] Art. 745.51(1) C.cr.
[6] Bissonnette c. R., préc., note 4, par. 53.
[7] Charte canadienne des droits et libertés, S.C. 1982 c. 11, art. 12.
[8] Bissonnette c. R., préc., note 4, par. 114 et 115.
[9] Id., par. 93.
[10] Id., par. 142-144.
[11] Id., par. 135.
[12] Id., par. 142.
[13] Id., par. 152.
[14] Id., par. 153.
[15] Id., par. 171, 185 à 186.
[16] Id., par. 188.
[17] Bissonnette c. R., préc., note 4, par. 189.
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