par
Jennifer Assogba
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et
Xavier Boulanger
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31 Jan 2022

Simplification des procédures d’appel en matière de secret professionnel

Par Jennifer Assogba, avocate et Xavier Boulanger, étudiant à l'université du Québec à Montréal

Le 2 septembre 2021, la Cour d’appel du Québec a, dans l’affaire Procureur Général du Québec c. Beaulieu, 2021 QCCA 1305, rendu un arrêt dans lequel elle procède à une analyse interprétative sur les modalités de l’appel de plein droit. Cette analyse vise à simplifier la procédure d’appel de plein droit afin d’éviter la multiplication des procédures, dès lors que parmi tous les moyens invoqués pour une même objection d’un jugement, l’un d’eux concerne le secret professionnel.

Contexte

À la suite d’une vaste enquête policière, les Intimés sont accusés de diverses infractions reliées à une guerre meurtrière entre gangs qui s’est déroulée sur plusieurs années. En raison de la nature des accusations dont font l’objet les Intimés, ces derniers sont incarcérés pendant le déroulement de la poursuite engagée contre chacun d’eux.

Le 9 octobre 2015, un juge de la Cour supérieure prononce un arrêt des procédures pour cause de conduite abusive du ministère public dans l’ensemble du dossier. En effet, le juge de la Cour supérieure reproche au ministère public d’avoir commis « un grave abus de procédure[1] » en raison de ses manquements répétés à l’obligation de divulgation qui lui incombait.

Compte tenu de la tournure des évènements, la directrice des poursuites criminelles et pénales, décide de faire la lumière sur les circonstances ayant mené aux manquements constatés par le juge de la Cour supérieure et lance, à cette fin, une enquête dont il ressort un rapport écrit et public, daté du 13 décembre 2016.

À l’issue de ces évènements, les Intimés intentent les 8 mai et 2 août 2018, une poursuite en responsabilité civile contre l’Appelant en vue d’obtenir réparation des dommages découlant de la poursuite criminelle dont ils ont fait l’objet. Ils invoquent entre autres que cette poursuite a été menée de façon abusive, en violation de l’obligation constitutionnelle du ministère public en matière de divulgation de la preuve.

En septembre 2019, les Intimés demandent à la Cour supérieure d’ordonner à l’Appelant de leur communiquer des documents liés à l’enquête initiée par la directrice des poursuites criminelles et pénales dont il en a résulté un rapport. L’Appelant refuse de communiquer les documents en alléguant notamment que ceux-ci sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.

Le 7 novembre 2019, le juge de la Cour supérieure fait droit à la demande des Intimés tout en soulignant que, selon lui, ni l’enquête ni le rapport n’ont été réalisés à des fins propres à engendrer le secret professionnel mais uniquement à des fins strictement administratives. Insatisfait, l’Appelant se pourvoit au moyen d’une déclaration d’appel ainsi que d’une requête de bene esse pour permission d’appeler. La première fait valoir trois moyens, dont celui du secret professionnel; la seconde ne vise que les moyens autres que le secret professionnel. L’Appelant estime bénéficier d’un appel de plein droit sur l’ensemble de ses moyens puisque l’un d’eux concerne le secret professionnel.

Le 2 septembre 2021, la Cour d’appel confirme le jugement de la Cour supérieure ordonnant au Procureur Général de communiquer certains documents aux intimés, à la demande de ces derniers, dans le cadre d’une divulgation préalable à l’instruction.

Parmi les questions sur lesquelles la Cour d’appel devait se prononcer, nous nous pencherons uniquement, pour les fins de notre analyse, sur les modalités d’exercice du droit d’appel et non sur le fond de l’appel en tant que tel. Autrement dit, le droit d’appeler de plein droit sur le moyen relatif au secret professionnel emporte-t-il l’appel de plein droit sur les autres moyens invoqués?

Le premier alinéa de l’article 31 du C.p.c prévoit les moyens auxquels l’appel emporte de plein droit et se lit comme suit :

31. Le jugement de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec rendu en cours d’instance, y compris pendant l’instruction, peut faire l’objet d’un appel de plein droit s’il rejette une objection à la preuve fondée sur le devoir de discrétion du fonctionnaire de l’État, sur le respect du secret professionnel ou sur la protection de la confidentialité d’une source journalistique.

(nos soulignements)

Décision

En acceptant d’entendre l’appel de plein droit, la Cour d’appel accueille l’argument de l’Appelant en vertu duquel le premier alinéa de l’article 31 du C.p.c., rend appelable de plein droit le jugement dans son entièreté dans la mesure où il écarte le secret professionnel, peu importe qu’il rejette les autres moyens plaidés au soutien de la même objection.

Ainsi la Cour d’appel nous enseigne que lorsqu’un jugement statue sur une même objection sous divers angles, dont le premier concerne le secret professionnel, l’appel de plein droit sur ce moyen emporte sur les autres moyens invoqués. Au soutien de sa décision, la Cour d’appel écrit ce qui suit :

[50] Outre qu’elle préserve l’unicité du jugement, cette façon d’appliquer l’art. 31 C.p.c. me paraît de plus conforme au principe d’économie et de simplicité que promeut le Code de procédure civile. Dans un souci de proportionnalité et de saine gestion des ressources judiciaires, ce Code tente en effet d’éviter la multiplication des procédures, ainsi que l’indique notamment le second alinéa de son préambule (…)

Par ailleurs, la Cour d’appel justifie sa position dans un souci d’assurer la simplicité des procédures et en vue d’éviter d’encombrer inutilement le système judiciaire. Pour ce faire, la Cour d’appel s’exprime comme suit :

[65] Cela étant, pour les raisons que j’ai expliquées précédemment, dans une perspective téléologique tenant compte à la fois du texte et du contexte, ainsi que des principes énoncés dans le préambule du Code de procédure civile, que confirment les art. 9, 18 et 19 de celui-ci, il me paraît préférable de clarifier la situation de la manière suivante : le jugement rejetant une objection à la preuve fondée sur le secret professionnel (ou celui du fonctionnaire ou de la source journalistique) et sur d’autres moyens parallèles est appelable de plein droit dès lors que l’appel remet en cause la détermination relative au secret professionnel (art. 31 al. 1 C.p.c.), emportant appel de plein droit sur les autres moyens. Il n’y a pas lieu de soumettre ces derniers au régime de la permission (art. 31 al. 2 C.p.c.). L’usage de la requête en rejet pourra obvier à la plupart des situations dans lesquelles une partie alléguerait indûment le secret professionnel et autres moyens. En définitive, devant les arguments que l’on peut faire valoir de part et d’autre et tout en reconnaissant qu’aucune solution n’est d’une cohérence parfaite ou sans inconvénient, la balance interprétative penche en faveur de cette conclusion, qui s’accorde mieux aux objectifs de simplification de la procédure civile et d’économie des ressources.

(nos soulignements)

Notons que cette interprétation du premier alinéa de l’article 31 du C.p.c. ne s’applique que dans le cas où les motifs font tous partie de la même objection.

Commentaire

Selon les conclusions de la Cour d’appel, il y a lieu d’interpréter le premier alinéa de l’article 31 du C.p.c comme permettant d’inclure dans une même demande d’appel relative au secret professionnel des moyens connexes qui, en d’autres circonstances, auraient nécessité une permission pour être accueillis en appel. Toutefois, cette interprétation ne peut pas être utilisée à mauvais escient. En effet, la Cour d’appel précise que pour éviter toute problématique liée à l’utilisation de son interprétation du premier alinéa de l’article 31 du C.p.c afin de contourner le deuxième alinéa de ce même article, une partie pourra toujours se prévaloir de la demande en rejet d’appel prévue à l’article 365 du C.p.c. lorsqu’elle considère que l’appel est abusif ou a peu de chance d’aboutir.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici


[1] Berger c. R., 2015 QCCS 4666, par. 38

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