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Jessie McKinnon
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20 Mar 2022

Journée de la langue française : Où en est le Projet de loi 96 et quelles seront les conséquences pour les entreprises?

Par Jessie McKinnon, avocate

En 2010, l’Organisation des Nations Unies a introduit les Journées des langues, dont la Journée de la langue française, qui se célèbre le 20 mars.

La langue française occupe une place importante dans la culture québécoise comme nous le rappelle notamment la Charte de la langue française, RLRQ c. C-11 (ci-après la « Charte »). Celle-ci a été introduite en 1977 dans le but de faire du français la langue de l’État québécois, de l’enseignement, du commerce et des affaires ainsi que du travail.

Le 13 mai 2021, le ministre responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette, a déposé le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (ci-après le « PL 96 »), qui vise notamment à modifier la Charte et affirmer que la seule langue officielle du Québec est le français[i].

Le PL 96 est présentement en étude détaillée en commission. Lorsque cette étape sera complétée, la version modifiée du PL 96 qui en résultera retournera devant l’Assemblée nationale, laquelle procédera à la prise en considération du rapport de commission et à l’adoption du projet de loi.

Si le PL 96 est adopté dans son état actuel, voici un survol des principaux changements auxquels les entreprises visées devront se conformer en vertu de la Charte modifiée

1. Obligations en tant qu’employeur

Les amendements considérables introduits à ce titre visent à renforcer le droit des travailleurs d’exercer leurs activités en français et de leur garantir un milieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement lié à l’utilisation du français ou à la revendication d’un droit découlant de la Charte[ii].

Le PL 96 précise notamment une liste de documents devant être rédigés ou disponibles en français.[iii] Les documents devant être rédigés en français sont les offres d’emploi, de mutation ou de promotion, les contrats individuels de travail écrits, les communications écrites au personnel, à un travailleur en particulier ou à une association de travailleurs, la documentation en lien avec l’emploi et les communications suivant la fin du lien d’emploi. Les documents devant être disponibles en français sont les formulaires de demande d’emploi, les documents ayant trait aux conditions de travail, les documents de formation produits à l’intention du personnel et les ententes collectives.

Pour les offres d’emploi qui seront également diffusées dans une autre langue, le PL 96 exige que l’entreprise emploie simultanément, pour la version française et celle dans une autre langue, des moyens de transmission de même nature et qui atteignent un public cible d’une taille proportionnellement comparable.[iv]

Finalement, pour exiger d’une personne la connaissance d’une autre langue que le français, l’employeur aura le fardeau de démontrer (a) qu’il a évalué ses besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir dans le cadre d’un poste en particulier, (b) qu’il s’est assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel sont insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches, et (c) qu’il a restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que le français.[v]

Un nouvel amendement récemment adopté en commission vient nuancer cette obligation en stipulant que cela ne doit pas être interprété de façon à imposer une réorganisation déraisonnable d’une entreprise.[vi]

Un autre récent amendement prévoit que l’employeur exigeant la connaissance d’une autre langue que le français devra indiquer les motifs justifiant cette exigence dans l’offre d’emploi diffusée.[vii]

2. Service aux clients

La Charte prévoit qu’un consommateur a le droit d’être informé et servi en français. Le PL 96 élargi cette portée en incluant désormais les clients qui ne sont pas des consommateurs.[viii] Ceci s’applique aux interactions avec ceux-ci ainsi qu’à la documentation disponible au public[ix].

3. Langue des contrats

Il sera désormais obligatoire de présenter la version française d’un contrat d’adhésion ou de même nature ou d’un contrat de consommation à toutes les parties avant d’accepter de contracter dans une autre langue.[x] La stipulation de volonté expresse des parties ne sera plus suffisante.

Un amendement récent vient cependant exclure de cette règle les contrats dans les relations avec l’extérieur du Québec.[xi]

4. Affichage public et marques de commerce

Le PL 96 vient baliser davantage l’exception qui permet actuellement aux marques de commerce déposées uniquement dans une autre langue que le français d’être utilisées dans l’affichage public d’une entreprise à condition d’avoir une composante en français : cette composante en français devra désormais figurer de façon nettement prédominante dès lors que l’affichage est visible depuis l’extérieur d’un local d’une entreprise.[xii] 

Par un amendement récemment adopté, il sera permis d’inscrire sur un produit une marque de commerce déposée uniquement dans une autre langue que le français. Toutefois, si un générique ou un descriptif du produit est compris dans cette marque, il devra figurer en français sur le produit ou sur son support permanent.[xiii]

5. Francisation

Les obligations applicables aux entreprises ayant 50 employés ou plus au Québec en vertu de l’article 139 de la Charte seront désormais applicables aux entreprises ayant 25 employés ou plus au Québec. Ainsi, ces entreprises devront s’inscrire auprès de l’Office de la langue française et lui transmettre une analyse de la situation du français au sein de son organisation.[xiv] 

6. Amendes

Les amendes pour les personnes morales qui contreviendront à la Charte modifiée seront augmentées.[xv] De plus, le PL 96 prévoit spécifiquement que les administrateurs d’une personne morale pourront engager leur responsabilité personnelle et ajoute une présomption d’infraction à la Charte de leur part, à moins de faire preuve de diligence raisonnable.[xvi]

Le texte intégral du projet de loi est disponible ici.


[i] Art. 1 de la Charte modifiée

[ii] Art. 45 et 45.1 de la Charte modifiée

[iii] Art. 41 et 43 de la Charte modifiée

[iv] Art. 42 de la Charte modifiée

[v] Art. 46 et 46.1 de la Charte modifiée

[vi] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-96-42-1.html (consulté le 6 mars 2022)

[vii] Ibid.

[viii] Art. 50.2 de la Charte modifiée

[ix] Art. 52 de la Charte modifiée

[x] Art. 55 de la Charte modifiée

[xi] Id. note vi

[xii] 58.1 et 68.1 de la Charte modifiée

[xiii] Id. note vi

[xiv] Art. 139 de la Charte modifiée

[xv] Art. 205 et 206 de la Charte modifiée

[xvi] Art. 208.4.2 de la Charte modifiée

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