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Adriana Tannous
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03 Oct 2022

Une absolution conditionnelle est-elle appropriée pour une infraction de voies de fait graves?

Par Adriana Tannous, avocate

La question de la détermination de la peine n’est pas simple et dépend fortement des facteurs atténuants et aggravants propres à chaque situation. La décision R. c. Martinez Abarca, 2022 QCCA 1095, rendue le 11 août 2022, illustre une situation où, bien que l’intimé souhaitait devenir pilote et se voyait empêché d’atteindre ses objectifs avec un casier judiciaire, la nature et l’étendue des blessures causées au plaignant ont été considérées comme des facteurs aggravants militant plutôt vers une peine d’emprisonnement. La Cour d’appel a ainsi eu l’opportunité de clarifier l’état du droit en matière d’absolution conditionnelle, à savoir la peine la plus clémente au Canada assortie de conditions et permettant ainsi à certaines personnes d’éviter un casier judiciaire permanent.

Contexte

Le 29 avril 2017, lors d’un évènement universitaire, l’intimé consommait une bière dans un bar. Ce dernier observe le couple formé de M. H… et Mme C… danser. L’intimé décide de s’approcher de Mme C et de lui pincer les fesses. Outrée de la situation, Mme C… en informe M. H… et ce dernier se dirige vers l’intimé afin de tenir une discussion. Une altercation physique s’ensuit entre M. H… et l’intimé. Ce dernier afflige à M.H… deux coups de poings lui coûtant ainsi une sérieuse fracture à la mâchoire et plusieurs dents cassés. M. H… subit, au cours des jours suivants, une opération sous anesthésie générale de la mâchoire et demeure, pendant une période de 6 semaines, avec une mâchoire complètement vissée. Durant cette période, il était privé de consommer des aliments solides et devait prendre plusieurs antidouleurs[1].

En première instance, l’honorable Joëlle Roy déclare l’intimé coupable d’agression sexuelle et de voies de fait causant des lésions corporelles, soit une infraction incluse dans l’infraction de voies de fait graves, dont il a été acquitté. La juge prononce une absolution conditionnelle, impose 240 heures de travaux communautaires et une probation de 2 ans[2].

Le 17 septembre 2020, en appel de cette décision, la Cour d’appel substitue au verdict de culpabilité de voies de fait causant des lésions corporelles, un verdict de culpabilité pour voies de fait graves, qui constituait le chef d’accusation initialement reproché à l’intimé. Le dossier a ensuite été renvoyé en première instance pour la sentence sur la peine, considérant que l’absolution est illégale en vertu de l’article 730 (1) du Code criminel[3].

Lors de la nouvelle audition sur la peine, la juge de première instance confirme l’absolution conditionnelle et rend inopérante à l’égard de l’intimé l’article 730 (1) C.cr., soit l’impossibilité d’imposer une absolution conditionnelle si l’infraction est punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou plus[4].

Décision

État du droit

La Cour d’appel rappelle, les situations dans lesquelles elle est autorisée à intervenir et modifier une peine :

« Selon une jurisprudence bien établie, les cours d’appel ne peuvent intervenir en matière de peine que si le jugement de première instance comporte une erreur de principe ou, autrement, est manifestement non indiqué. »[5]

Relativement à la peine imposée par le juge de première instance, la Cour d’appel revient sur la détermination et la proportionnalité de la peine et indique :

« En outre, une peine proportionnée doit certes prendre en compte les facteurs propres à l’accusé et l’infraction qu’il a commise, mais elle doit également être considérée d’un point de vue comparatif. C’est-à-dire que « [l]a proportionnalité se détermine [aussi] […] sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »[6]. La détermination de la peine vise donc l’harmonisation des peines entre des délinquants similaires qui commettent une infraction similaire dans des circonstances semblables[7]. Pour ce faire, les juges ont souvent recours à ce qu’on appelle « une fourchette de peines ». Il s’agit d’un outil, non contraignant, qui est en quelque sorte un historique des peines infligées pour une infraction donnée[8]. Sans être applicables dans tous les cas, les fourchettes permettent d’éviter les écarts injustifiés entre les peines[9]. »[10]

Application

La juge de première instance avait imposé une absolution conditionnelle à l’intimé principalement pour lui éviter les conséquences d’un casier judiciaire. En effet, l’intimé compte devenir pilote de l’air dans les Forces armées canadiennes et la présence d’un casier judiciaire empêcherait ce dernier de réaliser ses projets[11].

Selon la Cour d’appel, il s’agit d’une erreur de principe de la part de la juge de première instance étant donné son refus de tenir compte des blessures comme un facteur aggravant. En matière de voies de fait graves, la Cour d’appel est d’avis que la juge de première instance n’aurait pas dû considérer seulement l’existence de blessures, mais également la nature et l’étendue des blessures, qui doivent être pris en compte dans la détermination de la peine proportionnelle[12].

Ainsi, la Cour d’appel conclut que la juge de première instance ne semble pas avoir rencontré adéquatement l’objectif de dissuasion générale en imposant une absolution conditionnelle :

« Les tribunaux ont rappelé fréquemment que les cas de voies de fait graves exigent une réplique suffisante et proportionnelle à la gravité des gestes posés et à la responsabilité morale du contrevenant, quant au principe de la dénonciation[13]. Il en est de même de la dissuasion générale[14]. »[15]

La peine indiquée

La juge de première instance impose une absolution conditionnelle qui est manifestement non indiquée selon la Cour d’appel. En effet, malgré que la peine doit être individualisée et doit tenir compte de la réhabilitation du délinquant, en sous-pesant tous les facteurs, l’absolution conditionnelle est non indiquée contrairement à la peine d’emprisonnement, qui elle « prend en compte la gravité des blessures, l’objectif de dissuasion générale, de même que les facteurs atténuants ainsi que les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise »[16].

La peine en appel

Dans le présent dossier, l’intimé avait déjà complété toutes les conditions assorties à l’absolution conditionnelle, dont les 240 heures de travaux communautaires. La Cour d’appel devait donc déterminer si une peine d’emprisonnement devait néanmoins lui être imposée. Pour ce faire, la Cour devait se demander si la réincarcération serait abusive ou oppressive pour l’intimé[17].

L’arrêt R. c. Davidson[18] établit les éléments qui doivent être considérés par la Cour à savoir « d’une part, la reconnaissance que la peine corrigée en appel est celle qui aurait dû être imposée et qui devrait être purgée par le délinquant et, d’autre part, le risque de créer une injustice pour un délinquant qui a purgé sa peine et repris sa vie en main »[19].

Ensuite, la Cour doit procéder à une analyse en deux étapes. La première étape consiste à déterminer si la réincarcération créerait une injustice et, si la réponse est positive, la deuxième étape vise à déterminer le remède approprié[20].

Dans le présent dossier, il a été déterminé par la Cour d’appel que, considérant qu’il s’agit d’une infraction de violence contre la personne, les trois facteurs qui devaient être pris en compte étaient la gravité de l’infraction, la période entre le moment où l’intimé a été libéré et l’appel ainsi que l’impact de la réincarcération sur la réhabilitation [21].

Étant donné que l’intimé n’a jamais été incarcéré, que la gravité de l’infraction milite pour une incarcération, que la suspension de l’ordonnance omettrait le respect des objectifs de dénonciation et de dissuasion, l’incarcération ne pourrait être considérée d’oppressive ou abusive puisqu’il s’agit d’une peine qui aurait dû être imposé en premier lieu[22].

La Cour d’appel est donc intervenue afin d’imposer une peine de 12 mois d’emprisonnement, tout en tenant compte des heures de travaux communautaires effectués en totalité (par. 38).

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] R. c. Martinez Abarca, 2022 QCCA 1095, par.3

[2] Id., par. 4.

[3] Id.

[4] Id., par. 5.

[5] Id., par. 14.

[6] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 12 citant R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 53.

[7] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 31-32.

[8] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 44; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 17.

[9] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 17.

[10] Préc. note 5, par. 18.

[11] Id., par.19.

[12] Id., par. 20-21.

[13] R. c. Sylvain, 2020 QCCA 1173, par. 23; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 6; R. c. Brais, 2016 QCCA 356, par. 16-23; Jean c. R., 2014 QCCA 2272, par. 39.

[14] R. c. Foster, 2020 QCCA 1172, par. 25.

[15] Préc. note 12, par. 23.

[16] Id., par.29

[17] Id., par. 30-31.

[18] R. c. Davidson, 2021 QCCA 545, par. 56

[19] Préc. note 17, par. 31.

[20] Id., par. 32.

[21] Id., par. 34.

[22] Id., par. 36-37.

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