Peines minimales obligatoires pour infraction de vol à main armée : un seuil difficile à atteindre pour l’inconstitutionnalité
Par Anne-Geneviève Robert, avocate et Louis-Philippe Provencher, étudiant à l'Université de Montréal
Dans l’arrêt R. c. Hilbach, 2023 CSC 3, la Cour suprême devait se prononcer sur l’inconstitutionnalité au regard de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « Charte ») de certaines peines minimales obligatoires prévues au Code criminel (ci-après « C. cr. ») pour des infractions de vol à main armée. Après que deux affaires semblables instruites séparément en première instance aient été jointes en appel, la majorité applique le cadre d’analyse développé dans l’affaire R. c. Hills, 2023 CSC 2 pour déterminer du caractère juste et proportionné des peines en question. La juge Martin, pour la majorité, annule le jugement de la Cour d’appel de l’Alberta et déclare les peines minimales obligatoires constitutionnelles.
Contexte
Le 9 juin 2017, M. Hilbach, alors âgé de 19 ans, entre dans un dépanneur d’Edmonton avec un complice âgé de 13 ans dans le but de commettre un vol qualifié. M. Hilbach était armé d’une carabine à canon tronqué. Une fois à l’intérieur du commerce, M. Hilbach pointe son arme en direction des deux employés du dépanneur et exige qu’on lui remette la caisse, alors que son complice frappe les deux employés. Arrêté peu de temps après, M. Hilbach était en probation et faisait l’objet d’une interdiction de possession d’armes à feu. Au moment des accusations, M. Hilbach a plaidé coupable pour commission d’un vol qualifié en utilisant une arme à feu prohibée. Au moment de la détermination de la peine, celui-ci a contesté sur la base de l’article 12 de la Charte la peine minimale obligatoire de cinq ans d’emprisonnement prévue au sous-alinéa 344(1)a)(i) C. cr.
Séparément, le 13 septembre 2016, M. Zwozdesky se rend dans un dépanneur en Alberta en compagnie de deux complices masqués dont l’un était en possession d’un fusil de chasse à canon tronqué. Les deux complices de M. Zwozdesky sont entrés dans le dépanneur et l’un d’eux a pointé son arme à feu en direction d’une employée en lui demandant le contenu de la caisse. M. Zwozdesky, alors à l’extérieur du commerce, a conduit le véhicule dans lequel les trois complices sont montés pour se rendre au dépanneur et ensuite prendre la fuite. Plus tard, celui-ci a reconnu sa culpabilité à l’accusation de vol qualifié commis avec une arme à feu pour ensuite présenter une contestation de la peine minimale obligatoire prévue à l’alinéa 344(1)a.1) C.cr. sur le fondement de l’article 12 de la Charte.
Dans ce texte, nous traiterons principalement du cas de M. Hilbach malgré quelques renvois au contenu du jugement dédié à M. Zwozdesky.
Décision
Historique des procédures
Décision de première instance
Le juge chargé de la détermination de la peine a d’abord conclu qu’une peine de deux ans moins un jour était juste et proportionnée pour l’infraction commise par M. Hilbach (par. 22). Le juge estime ensuite qu’une peine de cinq ans d’emprisonnement est disproportionnée en ce qu’elle représente plus que le double de la peine appropriée.
Prenant en compte certaines caractéristiques personnelles de M. Hilbach, le juge conclut qu’il est préférable de miser sur sa réinsertion sociale malgré la gravité élevée de l’infraction et l’attention accordée à la dissuasion et la dénonciation. Le juge de première instance conclut donc au caractère exagérément disproportionné de la peine minimale obligatoire.
Quant au cas de M. Zwozdesky, la juge chargée de la détermination de la peine estime que la peine minimale obligatoire contestée n’était pas exagérément disproportionnée en l’espèce mais l’était dans des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles (par. 25).
Décision de la Cour d’appel de l’Alberta
Les affaires Hilbach et Zwozdesky sont instruites conjointement en appel. Dans le cas de M. Hilbach, les juges majoritaires ont conclu que la peine de deux ans moins un jour jugée raisonnable en première instance était inappropriée. Ceux-ci affirment qu’une peine de trois ans était plutôt juste et proportionnée en ce qu’elle accordait suffisamment d’importance à la dissuasion, à la dénonciation et aux facteurs aggravants de l’infraction.
Les juges estiment toutefois que la peine minimale obligatoire de cinq ans d’emprisonnement prévue au sous-alinéa 344(1)a)(i) C. cr. demeurait exagérément disproportionnée. Ils étayent leur conclusion en expliquant que les objectifs de dissuasion et de dénonciation éclipsaient dans ce cas les objectifs de « réinsertion sociale, l’imposition d’une sanction juste et les considérations particulières qui s’appliquent aux personnes délinquantes autochtones » (par. 27).
Quant au cas de M. Zwozdesky, les juges majoritaires souscrivent à l’opinion de la juge de première instance quant à la proportionnalité de la peine d’emprisonnement de trois ans (par. 28). En effet, cette dernière avait estimé que dû la gravité d’un vol à main armée, une peine de trois à quatre ans était juste et proportionnée. Ils concluent toutefois que la peine prévue à l’alinéa 344(1)a.1) C. cr. était exagérément disproportionné dans cinq situations raisonnablement prévisibles.
Motifs
La juge Martin, au nom de la majorité, commence son analyse en exposant le cadre d’analyse permettant de déterminer s’il y a violation de l’article 12 de la Charte. Elle poursuit en appliquant ce cadre d’analyse aux cas de M. Hilbach et de M. Zwozdesky.
A. Le critère permettant de déterminer s’il y a violation de l’art. 12
Conformément à l’arrêt R. c. Hills, 2023 CSC 2, la Cour rappelle qu’il faut premièrement déterminer « ce qui constitue une peine juste et proportionnée eu égard aux objectifs et principes de détermination de la peine établis par le Code criminel ». Par la suite, il faut se demander si la peine contestée est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste et proportionnée établie à la première étape (par. 34).
Il sera ensuite nécessaire d’évaluer l’étendue de l’infraction, l’étendue des effets de l’infraction sur la personne délinquante en prenant en considération les caractéristiques personnelles de celle-ci et l’étendue des effets de la peine elle-même pour déterminer du caractère raisonnable de la peine minimale obligatoire.
Avant d’appliquer ce cadre d’analyse, la Cour mentionne que l’alinéa 718.2e) C. cr. exige que la situation particulière des personnes délinquantes autochtones soit prise en compte dans la détermination de la peine conformément aux principes de l’arrêt Gladue.
B. Application
Quant à la première étape, la majorité souscrit à l’opinion de la Cour d’appel de l’Alberta selon laquelle une peine d’emprisonnement de trois ans est juste et proportionnée pour M. Hilbach. Cette peine était le point de départ adopté pour le vol à main armée simple commis dans de petits établissements commerciaux tel que prévu dans l’arrêt Johnas.
La Cour est toutefois en désaccord avec la peine de deux ans moins un jour discutée en première instance. La juge Martin mentionne que plusieurs facteurs aggravants doivent être considérés en l’espèce, notamment le fait que M. Hilbach ait pointé sa carabine vers deux employés du commerce, qu’il était en probation et qu’il faisait l’objet d’une ordonnance d’interdiction au moment de l’infraction (par. 50).
Évaluant maintenant la peine d’emprisonnement de cinq ans prévue au sous-alinéa 344(1)a)(i) C. cr., la Cour estime que celle-ci, bien qu’elle soit élevée, n’est pas exagérément disproportionnée au sens de l’article 12 de la Charte. La Cour cite les arrêts Hills et Lloyd en mentionnant que pour qu’une peine soit déclarée inconstitutionnelle aux termes de l’article 12, celle-ci doit être « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Examinant d’abord la portée de l’infraction, la Cour établit d’entrée de jeu que l’infraction de vol qualifié exige une mens rea élevée : le contrevenant doit avoir eu l’intention d’utiliser une arme à feu en plus de commettre un vol (par. 56). La Cour étaye son raisonnement en mentionnant que le risque d’escalade de violence dans un vol armé est élevé (par. 54). Ces arguments justifient donc l’imposition d’une peine importante.
Quant aux effets de la peine sur la personne délinquante, la juge Martin est d’accord quant au fait qu’une peine d’emprisonnement de cinq ans aurait des répercussions néfastes sur la réinsertion sociale de M. Hilbach. Celle-ci mentionne également que « [l]es personnes délinquantes autochtones sont plus durement touchées par l’incarcération et sont souvent traitées de façon discriminatoire dans les milieux carcéraux » (par. 62). Celle-ci juge que les considérations liées à la peine militent en faveur d’une peine inférieure à la peine minimale obligatoire (par. 63).
Finalement, quant à la peine et ses objectifs, la Cour conclut que le Parlement peut prioriser certains objectifs comme la dénonciation et la dissuasion dans la mesure où il n’exclut pas complètement la réinsertion sociale dans la détermination de la peine. Les tribunaux doivent également prendre en considération la parité dans la détermination de la peine, principe qui exige d’infliger des peines semblables pour des infractions commises dans des circonstances similaires (par. 66).
Dans le cas de M. Hilbach, la Cour conclut que l’importance accordée à la dissuasion et la dénonciation dans la détermination de la peine est justifiable (par. 69). À ce sujet, la juge Martin s’exprime ainsi :
« [80] Même en examinant ses effets sous l’angle de l’al. 718.2e), je suis incapable de conclure que la peine minimale va au-delà de ce qui est nécessaire pour que le Parlement atteigne ses objectifs au point où elle fait totalement abstraction de la réinsertion sociale et porte atteinte à la dignité humaine. Comme je l’ai fait remarquer, le Parlement était justifié de prioriser la dénonciation et la dissuasion plutôt que la réinsertion sociale, vu la nature de cette infraction. Qui plus est, bien que la peine minimale s’écarte des principes de parité et de proportionnalité dans le cas de M. Hilbach, il n’en résulte pas une peine qui est exagérément disproportionnée par rapport aux normes de détermination de la peine pour cette infraction. »
Quant au cas de M. Zwozdesky, la Cour détermine que la peine minimale obligatoire d’emprisonnement prévue à l’alinéa 344(1)a.1) C. cr. est également constitutionnelle. Bien qu’elle soit élevée, celle-ci ne déroge pas totalement aux principes de détermination de la peine (par. 107) et n’atteint pas le seuil d’être « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence ».
Conclusion
La Cour suprême conclut que les peines minimales obligatoires d’emprisonnement prévues au sous-alinéa 344(1)a)(i) C. cr. ainsi qu’à l’alinéa 344(1)a.1) C. cr. ne sont pas exagérément disproportionnées. La Cour accueille donc le pourvoi, annule le jugement de la Cour d’appel de l’Alberta et déclare constitutionnelles les dispositions en question.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Autres références :
R. c. Hills, 2023 CSC 2
R. c. Lloyd, 2016 CSC 13
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688
R. c. Johnas (1982), 41 A.R. 183
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