Revirement important pour les locataires en matière de reprise de logement devant la Cour du Québec
Par David Searle, avocat et Laurence Chartrand-Bertrand, étudiante à l'Université du Québec à Montréal
La crise du logement que nous vivons actuellement trouve sa source dans divers enjeux connus tels que le manque de logements locatifs et la surchauffe du marché immobilier. Les reprises de logement ne sont pas étrangères à cette situation difficile que vivent les locataires partout au Québec. Cette procédure a comme principe de forcer le départ d’un locataire d’un logement afin d’y loger son propriétaire ou un membre de sa famille dont le lien de parenté est défini à même le Code civil du Québec[1]. Dans les trois dernières années, le nombre de demandes de reprises devant le Tribunal administratif du logement (TAL) a augmenté de pas moins de 70%[2].
Dans ce contexte, un jugement de la Cour du Québec, qui vient redéfinir les règles du jeu en matière de reprise de logement, mérite notre pleine attention. Sous la plume du juge Stéphane D. Tremblay, la décision Aly c. Gagnon, 2023 QCCQ 1812, marque une rupture avec la jurisprudence en vigueur au TAL et limite les obstacles à la reprise.
Contexte
Cette affaire oppose Monsieur Richard Gagnon, locataire depuis 2017 dans le logement situé au sous-sol de la propriétaire et appelante, Mme Jolie Aly. Cette dernière souhaite reprendre le logement, loué à 625$ par mois. Elle affirme à l’audience qu’elle planifie y loger son conjoint dont l’horaire atypique l’amène à dormir le jour. M. Gagnon s’oppose à cette reprise qu’il juge comme étant une « tactique pour l’évincer »[3].
La décision en première instance
Lors de son témoignage, la locatrice prétend avec plans d’aménagement et listes d’achats envisagés à l’appui qu’elle souhaite bel et bien reprendre le logement pour elle et non pour le relouer et évincer le locataire[4]. Le juge Stéphane Sénécal rejette toutefois la demande de la locatrice.
En effet, il affirme d’entrée de jeu que le locateur a le fardeau de démontrer la faisabilité et le caractère certain et permanent du projet[5]. Il s’appuie à cette fin sur plusieurs jugements du TAL qui s’est souvent penché sur les critères d’une reprise de logement et a fréquemment reconnu que le projet de reprise doit dénoter un aspect de stabilité[6].
Le tribunal conclut que le projet de la locatrice de reprendre possession du sous-sol ne remplit pas ces critères, la situation pouvant évoluer dans le temps[7]. Sans s’étendre davantage sur le sujet, le juge note aussi que le couple possède une maison à quelques mètres de l’immeuble dont il est ici question. La mère de la locatrice y réside et pourrait déménager au besoin dans un logement vacant de la locatrice, ce qui éviterait l’éviction de M. Gagnon[8].
L’appel
Le Juge Tremblay casse la décision en première instance, détermine qu’elle est marquée par une erreur de droit et que le TAL devait accorder la reprise.
Dans ses motifs, le Juge Tremblay précise que la reprise du logement requiert entre autres la preuve de la bonne foi de la locatrice, ainsi que la preuve de la véracité de ses intentions d’aménager le logement visé. La locatrice ayant convaincu le juge de première instance des motifs de la reprise et de sa bonne foi, ce dernier n’avait d’autre choix que d’autoriser la reprise[9].
En ce qui concerne la permanence et la stabilité du projet de la locatrice, le Juge Tremblay détermine que ce sont tout au plus des éléments à prendre en compte pour déterminer « qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins »[10]. Renversant la jurisprudence du TAL, il conclut que ces éléments ne constituent pas des critères nécessaires pour autoriser la reprise, n’étant pas prévus comme tels dans la loi :
1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du tribunal.Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. [Nous soulignons]
En somme, le TAL doit accorder une reprise de logement qui vise à déloger un locataire pour un projet d’aménagement d’une permanence ou d’une stabilité plus ou moins fixe, pourvu que les demandeurs démontrent leur bonne foi à réaliser ce projet.
Enfin, le juge Tremblay affirme que les préoccupations des décideurs en première instance quant au caractère temporaire d’un projet peuvent être aisément apaisées par la présence de l’article 1970 C.c.Q. Il prévoit qu’en cas de relocation d’un logement après une reprise, la propriétaire devra demander l’autorisation du TAL qui fixera alors le loyer selon les règles de fixation en vigueur.
Commentaires
Cet arrêt s’appuie sur une interprétation littérale de la loi et marque une rupture avec une jurisprudence abondante du TAL. Cette nouvelle interprétation diminue le fardeau de preuve des locateurs en cas de reprise.
Alors que la crise du logement bat son plein, le gouvernement ne prévoit aucune mesure pour encadrer davantage la reprise du logement dans le cadre du projet de loi 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation. Ce jugement, qui a déjà été cité à deux reprises par les décideurs du TAL depuis le 20 avril 2023, mine le droit au maintien dans les lieux des locataires appelés à contester un tel recours[11]. Ce dernier arrêt de la Cour du Québec, qui fait déjà jurisprudence, forcera peut-être le gouvernement à redéfinir également les règles du jeu en matière de reprise du logement.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Art. 1957.
[2] 1484 demandes en 2019-2020 et 2540 demandes en 2021-2022. La demande de reprise représentait 30% de toutes les causes civiles introduites par les propriétaires devant le TAL (excluant les causes pour non-paiement et fixation de loyer). Statistiques tirées du Rapport annuel de gestion, 2021-2022 du Tribunal adminsitratif du logement. Consulté le 25 juin 2023 au : https://www.tal.gouv.qc.ca/fr/actualites/rapport-annuel-de-gestion-2021-2022
[3] Aly c. Gagnon, 2021 QCTAL 17296, par. 15
[4] Ibid, par. 10
[5] Supra note 4 au par. 30.
[6] Zheng c. Rebelo (R.D.L., 2014-03-19), 2014 QCRDL 9653, SOQUIJ AZ-51057262; Cliche c. Boivin, [1998] J.L. 185 (R.L.); Barss c. Campeau, [1998] J.L. 257 (R.L.). Suivi : Requête pour permission d’appeler rejetée (C.Q.M. 500-02-069256-985); Cortina c. Raymond, [2003] J.L. 112 (R.L.). Joncas c. Lemelin, [2001] J.L. 136 (R.L.); Mohsen Baccouche c. Hanane Chiab, (R.D.L. 18 décembre 2019) 489381 31 20191031.
[7] Supra note 4 aupar. 34.
[8] Ibid, par. 36.
[9] Ibid, par. 11.
[10] Ibid, par. 12.
[11] Art. 1936 C.c.Q.
La nouvelle loi 31 de Québec ne change en rien « la reprise d’un logement par le propriétaire ». L’éviction quant à elle est modifiée. Alors que, plus de propriétaires reprennent des loyers (liens familiaux) et que les locataires sont contraints de se retrouver dans une situation sans issus. Le dédommagement pour « éviction » ne devrait-il pas s’appliquer aux reprises de logements??? La reprise de logement est une façon polie de se servir de la loi pour contraindre le locataire à partir avec très peu ou pas de frais pour le propriétaire.
Cette loi 31 me laisse perplexe, comme je suis une victime de la reprise de mon logement par le propriétaire et que la chose m’occasionne de nombreuses pertes… Le propriétaire selon la loi n’est pas tenu de dédommager, il est gagnant sur toute la ligne reprenant son logement pour sa famille en mettant à la rue le locataire avec la loi de son côté!
« Évictions vs Reprises de logement » un beau jeu de mots et d’interprétations a l’avantage de qui?
Pourquoi aucun média ne parle de cette réalité?;
-Nombre croissant sans cesse de reprises de logements en comparaison du nombre d’évictions mieux encadrées par la nouvelle loi 31! Résultat: …des sans logements ou orphelins de logements en nombre croissant! La loi 31 est une loi de toute évidence partisane puisqu’elle ne tient pas compte d’une mise a niveau des « reprises de logements » versus » évictions »! Qui peut et veut se battre apres une reprise de logement? Délais, frais, traumatisme, etc.
Après 13ans je vit une reprise par un nouveau proprietaire depuis 2ans.La raison es une séparation et dit habiter chez son père depuis juillet 2023.Comme je sais qu’il ment,je me présente soir et matin a sa demeure où il habite toujours avec sa femme pour prendre en photo les deux voitures du couple.Est ce que je peux faire annuler la reprise qui es prévu pour le 30 juillet??