Diamond Provencher c. Adam, 2024 QCCA 404
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
LIBÉRALITÉS : Un testament devant témoins — ou un codicille — rédigé par un légataire ne respecte pas les exigences énoncées à l’article 727 C.C.Q.; par contre, l’exigence de désintéressement du tiers rédacteur ne constitue pas une condition essentielle à sa validité.
2024EXP-975**
Intitulé : Diamond Provencher c. Adam, 2024 QCCA 404
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Québec
Décision de : Juges Geneviève Cotnam, Sophie Lavallée et Frédéric Bachand
Date : 5 avril 2024
Références : SOQUIJ AZ-52017576, 2024EXP-975 (13 pages)
–Résumé
LIBÉRALITÉS — testament — formes du testament — testament devant témoins — testament écrit par un tiers — interprétation de «tiers» (art. 727 C.C.Q.) — personne intéressée — légataire à titre particulier — vice de forme — condition essentielle — demande de vérification.
INTERPRÉTATION DES LOIS — principe de l’uniformité d’expression — interprétation contextuelle — interprétation de l’article 727 C.C.Q. — interprétation de «tiers».
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande en vérification d’un testament devant témoins. Rejeté.
Le 4 mars 2021, Adam a préparé un document avec l’aide de sa conjointe, Diamond, indiquant qu’il entendait léguer des biens à celle-ci ainsi qu’à certaines autres personnes. Ce document, qui a été rédigé par Diamond, porte la signature d’Adam et celles de 2 témoins. Adam est décédé le 9 mars suivant. En mai 2021, Diamond a déposé une demande en vérification de testament. À la suite du décès de celle-ci, survenu en juillet 2022, l’instance a été reprise par les appelants. Les intimées ont abandonné leur contestation en cours d’instance.
La juge de première instance a rejeté la demande de vérification au motif que le document ne respectait pas toutes les formalités du testament devant témoins: 1) parce qu’il a été rédigé par une tierce personne qui n’était pas désintéressée; et 2) parce que la preuve ne permettait pas de constater qu’Adam avait déclaré que le document constituait son testament, contrairement à ce qu’exige l’article 727 alinéa 2 du Code civil du Québec (C.C.Q.). La juge a aussi retenu que le testament ne satisfaisait pas non plus aux conditions prévues à l’article 714 C.C.Q. puisque l’exigence de désintéressement de la tierce personne ayant rédigé le testament constituait selon elle une condition essentielle de sa validité.
Les appelants insistent sur le fait qu’aucune disposition du Code civil du Québec n’exige que la tierce personne agissant à titre de rédactrice soit désintéressée. Ils ajoutent que les jugements de la Cour supérieure à l’effet contraire font fausse route, car ils s’appuient sur une lecture erronée de l’arrêt Lemaine (Succession de), (C.A., 2012-07-31), 2012 QCCA 1371, SOQUIJ AZ-50880422, 2012EXP-2934, J.E. 2012-1569. Selon eux, invalider tout testament rédigé par une tierce personne constitue un moyen disproportionné de s’attaquer au risque de fraude ou d’influence indue auquel le testateur est exposé.
Décision
M. le juge Bachand: La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en vérifiant, malgré l’absence de toute contestation, la conformité du document au regard des exigences formelles applicables. C’est aussi à bon droit qu’elle a conclu que le testament rédigé ou signé par une tierce personne y étant désignée comme légataire ne satisfait pas aux formalités applicables aux testaments devant témoins. Dans Lemaine (Succession de), la Cour a jugé que la tierce personne susceptible de signer un testament devant témoins pour le compte du testateur ne saurait inclure le légataire, et ce, en raison de l’avantage que ce dernier est susceptible de tirer du testament et de la nécessité de préserver le testateur de tout risque de fraude ou d’influence indue. Depuis, la jurisprudence de la Cour supérieure est unanime: un testament devant témoins — ou un codicille — rédigé par un légataire ne respecte pas les exigences énoncées à l’article 727 C.C.Q. Ce courant jurisprudentiel n’est pas remis en question par la doctrine.
La notion de «tierce personne» doit être interprétée de manière uniforme pour l’ensemble de l’article 727 C.C.Q. Rien ne justifie d’écarter la présomption d’uniformité de l’expression. Le principe de la protection du testateur qui sous-tend le raisonnement adopté dans Lemaine (Succession de) est tout aussi pertinent lorsqu’un testament a été rédigé par une tierce partie y étant désignée comme légataire; on diminue assurément le risque de fraude ou d’influence indue en exigeant que le testament soit rédigé par le testateur ou par une tierce personne désintéressée. C’est justement pour cette raison que l’article 759 C.C.Q. prive de tout effet le legs fait au notaire qui reçoit le testament.
La juge a cependant eu tort d’affirmer que l’exigence du désintéressement du tiers rédacteur du testament constitue une condition essentielle de sa validité, laissant entendre qu’un testament contrevenant à cette exigence ne pourrait jamais être validé aux termes de l’article 714 C.C.Q. Il est tout à fait possible qu’un tel testament satisfasse à la première exigence énoncée à l’article 714 C.C.Q. Il faut alors se demander si, à la lumière des circonstances, le désintéressement de la tierce personne s’avère essentiel afin d’assurer l’atteinte de l’objectif poursuivi, soit de mettre le testateur à l’abri de tout risque de fraude ou d’influence indue.
Enfin, compte tenu des circonstances de la préparation et de la signature du document, c’est à bon droit que la juge a conclu qu’on ne pouvait affirmer de façon certaine et non équivoque que celui-ci contenait les dernières volontés du défunt.
Instance précédente : Juge France Bergeron, C.S., Trois-Rivières, 400-14-006381-217, 2022-12-02.
Réf. ant : (C.A., 2023-03-13), 2023 QCCA 330, SOQUIJ AZ-51922606, 2023EXP-831.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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