Liberté d’association: la Cour suprême clarifie le cadre d’analyse pour l’application de l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés
Par Marilyn Ménard, avocate
Dans Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, la Cour suprême clarifie le cadre juridique approprié pour analyser une prétendue violation de la liberté d’association garantie par l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). La majorité confirme l’applicabilité exclusive du test en deux volets de l’arrêt Dunmore1 et du seuil de preuve de l’entrave substantielle. Cette décision divisée fait écho à la discussion jurisprudentielle sur la distinction entre les revendications de nature positive et négative. Il y a toutefois consensus sur le fond : la liberté d’association garantie aux membres de l’Association par l’al. 2d) de la Charte n’est pas violée par l’art. 1I) du Code du travail2.
Contexte
L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (l’Association) représente des cadres de premier niveau qui travaillent dans quatre casinos exploités par le gouvernement du Québec via la Société des casinos du Québec inc. (Société). Elle a présenté à la Commission des relations de travail (maintenant le Tribunal administratif du travail (TAT)) une requête en accréditation en vertu du Code du travail.
La Société a opposé l’exclusion prévue à l’art. 1l)1 du Code du travail qui définit de façon large le mot « salarié » comme étant « une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération », mais exclut expressément une personne qui est employée « à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».
L’Association a contesté la constitutionnalité de l’art. 1I) du Code du travail et a sollicité une décision portant que cette exclusion des cadres du régime législatif des relations de travail viole de manière injustifiée la liberté d’association garantie à ses membres par l’al. 2d) de la Charte et l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne3 du Québec.
Le TAT a conclu que l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » viole de manière injustifiée la liberté d’association des cadres de premier niveau.
La Cour supérieure a cassé la décision du TAT en contrôle judiciaire.
La Cour d’appel du Québec a infirmé le jugement de la Cour supérieure et rétabli la décision du TAT, sous réserve d’une suspension de 12 mois de la déclaration d’inopérabilité de l’art. 1l) du Code du travail.
Décision
Le juge Jamal, pour la majorité4, clarifie le cadre juridique approprié pour analyser une prétendue violation de la liberté d’association au terme de l’al. 2d) de la Charte.
Cadre d’analyse pour l’application de l’al. 2d) de la Charte
Le cadre juridique a été établi dans l’arrêt Dunmore et consiste en un test à deux volets :
1) Les activités considérées font partie de celles protégées par l’al. 2d) de la Charte
2) Les dispositions contestées, par leur objet ou leur effet, compromettent ces activités
Essentiellement, il s’agit de se demander si les activités en cause sont protégées par l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités.
Quant aux revendications de nature positive, trois facteurs supplémentaires sont énoncés dans Dunmore :
1) La revendication doit invoquer « de manière plausible » une liberté fondamentale garantie par la Charte, plutôt que l’accès à un régime légal précis
2) La preuve doit démontrer que l’exclusion « permet une entrave substantielle » à l’exercice d’une liberté fondamentale (souligné dans l’original).
3) L’État doit être responsable de l’incapacité du demandeur d’exercer une liberté fondamentale dans la mesure où il « orchestre, encourage ou tolère d’une manière substantielle la violation de libertés fondamentales ».
L’étude de la jurisprudence subséquente5 révèle que ces trois facteurs ne constituent pas un test distinct pour les revendications de nature positive :
[33] En résumé, la jurisprudence de la Cour sur l’al. 2d) révèle que la Cour a invariablement appliqué un cadre d’analyse à deux volets qui consiste à déterminer si les activités en cause relèvent du champ d’application de l’al. 2d), et si l’action gouvernementale a, par son objet ou son effet, substantiellement entravé ces activités. La Cour a en outre souligné que sa jurisprudence sur l’al. 2d) depuis l’arrêt Dunmore devrait être considérée comme un corpus cohérent de décisions.
[34] L’arrêt Dunmore n’a pas été infirmé par les arrêts de notre Cour Police montée ou Fraser. La jurisprudence de la Cour ne crée pas non plus deux tests, l’un pour les revendications sollicitant une intervention positive de l’État, l’autre pour les revendications sollicitant une protection négative contre l’ingérence de l’État. Même si les facteurs de l’arrêt Dunmore n’ont pas été mentionnés et analysés chaque fois que la Cour a été appelée à déterminer si une loi ou une action gouvernementale violait l’al. 2d) de la Charte, les principes sous-jacents ont invariablement été réaffirmés. Ces principes — ou les facteurs de Dunmore — délimitent la possibilité de contester avec succès une loi non inclusive, mais ils ne constituent pas un test distinct. Ils fournissent plutôt des indications visant à faire en sorte que l’analyse s’attache à déterminer si la loi ou l’action gouvernementale en cause entrave substantiellement, par son objet ou son effet, la capacité du demandeur à se livrer à des activités qui relèvent du champ d’application de l’al. 2d).
Quant au seuil requis pour prouver une violation de l’al. 2d), il n’y en a qu’un, soit l’entrave substantielle.
La distinction entre les libertés positives et les droits négatifs confirmée récemment dans l’affaire Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général)6 , une affaire de liberté d’expression dans le contexte de l’al. 2b), n’est pas pertinente pour déterminer le cadre applicable aux revendications fondées sur l’al. 2d). Cela s’explique par l’évolution différente des cadres d’analyse des al. 2b) et 2d) de la Charte.
En somme, l’arrêt Dunmore demeure valable en droit.
Application aux faits
La norme de la décision correcte est appliquée aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit en litige compte tenu du contexte constitutionnel.
Quant au premier volet du test, la revendication de l’Association porte sur des activités protégées par l’al. 2d) de la Charte, soit le droit de former une association ayant suffisamment d’indépendance vis à vis de l’employeur, de présenter collectivement des revendications à l’employeur et de voir ces revendications prises en compte de bonne foi.
Quant au deuxième volet du test, l’exclusion législative n’entrave pas substantiellement les activités des membres de l’Association protégées par l’al. 2d). L’exclusion législative n’a pas pour objet d’entraver les droits associatifs des cadres, elle n’a pas pour effet d’entraver substantiellement leur droit à une négociation collective véritable et ils sont en mesure de s’associer et de négocier collectivement avec leur employeur.
L’exclusion législative n’a pas pour effet d’empêcher l’Association de s’adresser aux tribunaux et solliciter des réparations pour toute entrave substantielle aux droits de ses membres protégés par l’al. 2d). Elle n’est pas non plus la source des faits reprochés à la Société par l’Association.
Dispositif
L’art. 1l) du Code du travail ne viole pas la liberté d’association garantie aux membres de l’Association par l’al. 2d) de la Charte et l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
La Cour suprême a accueilli les pourvois, infirmé l’arrêt de la Cour d’appel, cassé la décision du TAT et déclaré que l’art. 1l)1 du Code du travail s’applique à la requête en accréditation de l’Association.
Motifs concordants
La juge Côté7 est d’avis qu’il importe d’abord de caractériser la nature des revendications en cause puisqu’elle commandera le cadre d’analyse applicable. Elle soutient que les trois facteurs de Dunmore sont un cadre d’analyse mieux adapté au contexte d’une revendication de nature positive et au type de réparation recherchée dans ces cas. Quant au seuil requis pour prouver une violation de l’al. 2d), elle affirme qu’un seuil plus élevé doit être atteint, soit un fardeau de preuve additionnel au terme de l’art. 32 de la Charte consistant en la démonstration d’un lien de causalité entre l’entrave substantielle à la liberté d’association et le défaut de l’État de légiférer.
Elle conclu que la revendication de l’Association vise à faire reconnaître et à faire respecter une obligation positive de l’État. Elle applique le cadre d’analyse en trois étapes de Dunmore (les trois facteurs, selon la majorité) et conclu que l’exclusion n’a pas pour effet de violer la liberté d’association des membres de l’Association:
1) La revendication de l’association et ses membres porte sur l’accès à un régime particulier de relations de travail, soit le Code du travail, et non sur la liberté d’association en tant que telle.
2) L’exclusion prévue à l’art. 1l)1 du Code du travail n’a pas pour objet ni pour effet d’entraver substantiellement la liberté d’association des membres de l’Association.
3) À supposer qu’il y ait une entrave substantielle, l’État ne peut en être tenu responsable.
Le juge Rowe8 souscrit aux motifs de la juge Côté, ses motifs distincts étant concordants quant au résultat. Il explique la pertinence de la distinction entre les revendications positives et négatives. Il est d’avis que le cadre de l’arrêt Dunmore pour l’examen des revendications positives est un cadre d’analyse distinct et qu’il doit être maintenu. Il tient compte de la nature de la liberté d’association, du lien nécessaire avec l’action de l’État et de la séparation des pouvoirs.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94.
[2] RLRQ, c. C‑27.
[3] RLRQ, c. C‑12.
[4] Juges Karakatsanis, Kasirer et O’Bonsawin; Par. 1-58.
[5] Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1; Meredith c. Canada (Procureur général),2015 CSC 2; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4.
[6] 2021 CSC 34.
[7] Avec l’accord du juge en chef Wagner; Par. 59-19.
[8] Par. 199-221.
Personal Analysis of Jolivet v. Treasury Board (Correctional Service of Canada): Charter Challenge to Subsection 2(1) of the Public Service Labour Relations Act
In examining Jolivet v. Treasury Board (Correctional Service of Canada), I find myself deeply concerned with a significant oversight in Mr. Jolivet’s case. While Mr. Jolivet challenged the Treasury Board’s decisions regarding inmate labor programs, he did not address a critical constitutional issue that I believe warrants serious attention: the constitutionality of Subsection 2(1) of the Public Service Labour Relations Act (PSLRA) in relation to Section 2(d) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms.
As I reflect on Subsection 2(1) of the PSLRA, which excludes “persons employed in federal institutions” from being considered “employees” under the Act, I am struck by how this exclusion directly infringes on the rights guaranteed under Section 2(d) of the Charter. This section guarantees freedom of association, including the right to join and form trade unions and to engage in collective bargaining.
I firmly believe that imprisoned Canadian citizens, despite their incarceration status, possess a legal and human right to unionize. By excluding them from the PSLRA’s definition of “employees,” Subsection 2(1) unjustly denies them the ability to advocate for fair working conditions and wages through collective bargaining. This exclusion seems to disregard their status as employees who contribute labor within federal institutions.
When considering Section 1 of the Charter, which allows limitations on Charter rights only if they are reasonable and justifiable in a free and democratic society, Subsection 2(1) falls short. There appears to be no compelling justification for denying incarcerated individuals the right to unionize and engage in collective bargaining. The exclusionary provision does not seem necessary to achieve any significant governmental objective, nor does it appear to balance the rights of individuals against the needs of correctional institutions in a way that is proportionate and fair.
I find it particularly illuminating to reference Sauvé v. Canada (Chief Electoral Officer), a landmark case where the Supreme Court of Canada ruled that the blanket disenfranchisement of prisoners was unconstitutional. This case underscored that even individuals in incarceration retain fundamental rights, and any limitation on those rights must be demonstrably justifiable. Similarly, Subsection 2(1) of the PSLRA unjustifiably limits the rights of imprisoned individuals to unionize, echoing the concerns raised in Sauvé.
In light of this analysis, I believe that a Charter challenge to Subsection 2(1) is not only warranted but necessary. Such a challenge could reaffirm that imprisoned Canadian citizens retain their fundamental rights to unionize and participate in collective bargaining. It would align with the principles of justice and equality enshrined in the Canadian Charter of Rights and Freedoms, ensuring that all individuals, regardless of their incarceration status, are recognized and treated with dignity and fairness under the law.
Terrance W. Naistus/Lassus Terentius