Les règles définitives de la SEC sur la divulgation obligatoire d’information sur les risques liés aux changements climatiques : Quels enjeux pour le Canada ?
Par William Gabriel RIOUX, Avocat
Après de multiples retards, ainsi que la réception de plus de vingt-quatre mille lettres de commentaires de la part de différents acteurs, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a finalement rendu publiques, le 6 mars 2024, ses règles définitives sur la divulgation obligatoire d’information sur les risques liés aux changements climatiques (les règles définitives). Cette publication marque un tournant majeur pour le Canada, alors que les organismes de réglementation du pays se préparent à mettre en place un nouvel ensemble de règles sur la divulgation obligatoire d’informations concernant les questions climatiques, alignées sur les exigences adoptées aux États-Unis et à l’échelle internationale.
L’objectif de ces règles définitives est d’améliorer et d’uniformiser la divulgation relative aux questions climatiques effectuée par les sociétés ouvertes ainsi que lors d’appels publics à l’épargne. Elles exigent, entre autres, dans les états financiers annuels et les déclarations d’inscription, la divulgation des risques climatiques importants ayant un impact réel ou potentiel sur la stratégie commerciale, les activités ou la situation financière d’un émetteur. Cela inclut notamment l’incidence financière des phénomènes météorologiques violents et, pour certains émetteurs, la spécification des critères de mesure des émissions de gaz à effet de serre en vue de leur divulgation. Malgré les nouveautés qu’elles génèrent, ces règles marquent une atténuation significative des exigences initialement présentées dans le projet initial de la SEC de mars 2022.
En effet, les règles définitives ont été modifiées par rapport aux propositions initiales, principalement dans le but de réduire les exigences, notamment en abaissant le niveau d’information requis. Cela s’est manifesté notamment par l’abandon de l’idée de demander aux entreprises de rendre compte des émissions dites de portée 3, c’est-à-dire celles qui sont générées indirectement par les activités de l’entreprise, y compris dans ses chaînes d’approvisionnement. Les entreprises devront cependant toujours rendre compte de leurs propres émissions directes de types 1 et 2. Depuis le début des années 2000, le Greenhouse Gas Protocol (GHG) élabore une classification des émissions de gaz à effet de serre appelée «Scope» ou «Portée», en français. Cette classification définit les différentes catégories (1,2 et 3) où les émissions de gaz à effet de serre se produisent, établissant ainsi les limites opérationnelles pertinentes.
En dépit de ces efforts d’atténuation, le 15 mars 2024, la Cour d’appel des États-Unis pour la cinquième circonscription a accordé un sursis temporaire des règles définitives en réponse à une demande de révision alléguant notamment que celles-ci entraîneraient des préjudices irréparables et dépasseraient le mandat de la SEC. D’autres actions en contestation ont également été entreprises dans plusieurs cours fédérales américaines, notamment devant les cours d’appel des deuxième, cinquième, sixième, huitième, et onzième circonscriptions, ainsi que devant le tribunal du District de Columbia. Dans un effort de simplification du processus décisionnel, la SEC a sollicité, le 19 mars 2024, la consolidation de l’ensemble des contestations en une seule et même instance. La Cour d’appel des États-Unis pour la huitième circonscription, sise à Saint-Louis au Missouri, a alors été désignée, le 21 mars 2024, pour examiner les règles mises en cause.
Le 4 avril 2024, la SEC a annoncé, dans une lettre adressée à la Cour d’appel de Saint-Louis, la suspension des règles définitives dans l’attente de la conclusion des procédures judiciaires en cours. La SEC a invoqué la section 25(c)(2) de la Securities Exchange Act of 1934 et l’article 705 de la Administrative Procedure Act (APA), qui lui confèrent le pouvoir discrétionnaire de suspendre certaines de ses règles si elle juge que la justice le requiert. La SEC cherche ainsi à alléger le fardeau des entreprises pendant cette période d’incertitude juridique, qui pourrait se prolonger. En effet, le processus d’évaluation des arguments par la Cour pourrait être prolongé, surtout si l’une des parties choisit d’interjeter appel devant la Cour suprême des États-Unis.
Bien que les règles définitives aient été largement présentées comme atténuant les exigences prévues dans le projet initial de la SEC, elles constituent néanmoins une expansion sans précédent de la réglementation en matière de valeurs mobilières aux États-Unis. Si, à l’issue du processus judiciaire, ces règles demeurent pleinement en vigueur, cela pourrait imposer aux entreprises des efforts de conformité considérables ainsi qu’une augmentation significative des coûts y étant associés. Les règles définitives de la SEC, ainsi que le contexte entourant leur publication, constituent un événement significatif qui sera assurément scruté de près par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) alors qu’elles finalisent leur approche à l’égard des exigences en matière de divulgations relatives aux questions climatiques au Canada.
En ce qui concerne l’harmonisation des règles définitives au niveau international, il reste incertain qu’une convergence substantielle puisse être atteinte à l’échelle mondiale. En effet, du fait que la SEC n’a pas inclus l’obligation de divulguer les émissions de portée 3, les règles définitives diffèrent des normes établies par l’International Sustainability Standards Board (ISSB), ainsi que de certaines normes adoptées ou envisagées par plusieurs autres autorités régionales d’importance. Il semble que le paysage réglementaire demeurera fragmenté à l’échelle internationale, ce qui signifie que les entreprises multinationales soumises à des obligations de divulgation dans plusieurs pays devront naviguer dans un environnement réglementaire encore complexe.
Au Canada, une question persiste concernant l’approche à adopter à l’égard des émissions de gaz à effet de serre de portée 3, conformément à la version révisée du projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques. Initialement exclues du projet de règlement des ACVM, et avec la SEC ayant renoncé à imposer la divulgation des émissions relevant de cette catégorie dans ses règles définitives, il semble de moins en moins probable que l’obligation de divulguer les émissions de portée 3 soit mise de l’avant. Or, suite à la publication par l’International Sustainability Standards Board (ISSB) de normes énonçant des obligations d’information financière en matière de durabilité (IFRS S1) et de changements climatiques (IFRS S2) en juin 2023, les ACVM ont manifesté leur volonté d’incorporer ces normes dans les exigences de divulgation canadiennes, en les adaptant à la réalité nationale. Conformément aux normes de l’ISSB, la divulgation des émissions de portée 3 est obligatoire.
Alors que les règles définitives de la SEC sur la divulgation des risques liés aux changements climatiques suscitent toujours des débats et des incertitudes aux États-Unis, leur impact sur le paysage réglementaire canadien et international demeure à surveiller de près. Ces règles marquent un pas significatif vers une divulgation plus transparente et uniforme des risques climatiques pour les entreprises, mais les défis persistants en matière d’harmonisation et de conformité soulignent la complexité croissante de la réglementation dans un contexte en évolution constante.
SOURCES :
https://www.sec.gov/news/press-release/2024-31
https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=c84e3f14-4be7-40d4-a50f-94440e2d6f04
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