La levée du voile corporatif : Maçons Patrimoniaux inc. c. Aliston Investissement inc.
Par Maia Ioana Voicu, Avocate
Il est particulièrement intéressant de débuter notre discussion en évoquant la mise en garde initiale de l’honorable Ian Demers dans la décision Maçons Patrimoniaux inc. c. Aliston Investissement inc., 2024 QCCS 1447 : « le rédacteur des documents instrumentant une transaction a l’obligation d’informer les cocontractants de tout changement qu’il y apporte. L’obligation est d’autant plus grande si le document substitué a une portée juridique complètement différente et est possiblement préjudiciable à l’une des parties. À défaut, le rédacteur ou celui qui le mandate doit réparer le préjudice qu’il a causé ». [1] Cette directive souligne l’importance cruciale de la transparence et de la responsabilité dans la rédaction et la gestion des documents contractuels, éléments fondamentaux pour maintenir l’équité et la confiance dans toute transaction juridique.
Contexte
Il y a plusieurs années, Paul Piacente a vendu les actifs de Maçons Patrimoniaux Inc. (ci-après « Maçons ») à 9321-5168 Québec Inc. (ci-après « 9321. »), une société nouvellement créée pour cette transaction et dirigée par Stéphane Bégin. À l’insu de M. Piacente, M. Bégin, également administrateur de Groupe Aliston Inc., a demandé à son personnel de remplacer la convention d’indemnisation convenue par une convention d’exonération. Cette substitution a entraîné la perte de la garantie du prix de vente pour Maçons.
Suite à la faillite de 9321, Maçons, dirigée par M. Piacente, a intenté une action en justice pour réclamer le solde impayé de 200 000$ ainsi qu’une indemnisation pour les désagréments subis. [2]
Décision
L’auteur du préjudice allégué
Le préjudice allégué par les demandeurs, soit le solde du prix de vente, découle de la transaction entre Maçons et 9321. Lors de la clôture de cette transaction, la convention d’indemnisation, sur laquelle les parties s’étaient mises d’accord, a été remplacée, à la demande de M. Bégin, par une convention d’exonération, et ce, sans en avertir les demandeurs. Ainsi, sans être informés de la modification des documents, ces derniers les ont signés.
Peu après l’achat des actifs de Maçons, la santé financière de 9321 a chuté drastiquement, menant inévitablement à sa faillite. La faillite de 9321 a suspendu tout recours possible contre elle. Alors, si 9321 n’était plus responsable du non-paiement du solde du prix de vente, qui d’autre pourrait l’être? La Cour rappelle qu’une société par action possède une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. Cette personnalité crée un voile corporatif qui « immunise l’administrateur ou l’actionnaire contre toute poursuite alléguant qu’une personne morale a été mal administrée, n’a pas respecté ses obligations ou est devenue insolvable ».[3] Ainsi, la levée du voile corporatif permet de tenir l’actionnaire ou l’administrateur personnellement responsable lorsque la personnalité juridique distincte est invoquée pour masquer la fraude, l’abus de droit, ou une contravention à une règle d’ordre public.
La Cour a levé le voile corporatif et a placé la responsabilité du solde impayé sur les épaules de l’unique actionnaire de 9321, M. Bégin. Cette levée est justifiée par la substitution de la convention d’indemnisation par une convention d’exonération, considérée par la Cour comme une fraude au sens de l’article 317 du C.c.Q.[4]
Le solde du prix de vente et les dommages-intérêts
Après la levée du voile corporatif de 9321, la Cour a déterminé que l’entreprise avait commis une faute, entraînant le non-paiement du solde du prix de vente. La substitution de la convention d’indemnisation par une convention d’exonération a violé l’obligation de bonne foi dictée par l’art. 1375 C.c.Q. et a constitué une faute selon l’art. 1457 du C.c.Q.[5]
Les parties avaient convenu des documents de la transaction. Toutefois, la modification unilatérale sans notification a induit Maçons en erreur, empêchant cette dernière de réaliser la substitution qui éliminait la caution qui garantissait le paiement du solde du prix de vente. Cette faute a directement contribué au préjudice subi, bien qu’elle n’en fut pas la seule cause. [6]
Si Maçons n’avait pas contribué par sa propre faute, M. Bégin aurait porté l’entière responsabilité du non-paiement du solde du prix de vente. M. Piacente a finalisé la vente et signé les documents de clôture sans les vérifier une dernière fois, manquant ainsi de constater la substitution des conventions. Ainsi, les demandeurs partagent une part de responsabilité pour ne pas avoir suffisamment vérifié les documents lors de la clôture de la vente.[7]
La Cour a conclu que M. Bégin est tenu responsable à 75 % pour le préjudice subi par Maçons, causé par la substitution de conventions lors de la clôture de la vente, qui a empêché l’entreprise de réclamer un cautionnement et entraîné un manque à gagner de 200 000 $.[8]
La réclamation pour dommages-intérêts punitifs de 50 000 $
La cour rappelle que : « L’attribution de dommages-intérêts punitifs n’est possible que si la loi le prévoit. Conséquemment, le fondement juridique de l’attribution de dommages-intérêts punitifs dans un cas donné n’est pas l’art. 1621 du C.c.Q. Une autre disposition législative doit le prévoir expressément . »[9] Dans le présent litige, les demandeurs n’ayant pas identifié le fondement juridique de leur réclamation, cette dernière a été rejetée.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Maçons Patrimoniaux inc. c. Aliston Investissement inc., 2024 QCCS 1447, au para 1.
[2] Le solde de 200 000 $, payable deux ans après la signature de la convention d’achat d’actifs, représente 36,36 % du montant total de la transaction.
[3] Supra note 1, para 33.
[4] Id., para 42.
[5] Id., par. 61.
[6] Id., par. 62.
[7] Id., par. 63 et 65.
[8] Id., par. 70.
[9] Id., par. 76.
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