Protection de la jeunesse — 241661, 2024 QCCQ 1511
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
PROTECTION DE LA JEUNESSE : Les droits de X, qui est âgée de 16 ans, une Inuk privée de son droit à la préservation de son identité culturelle, ont été lésés par la DPJ, l’absence de contacts fréquents et réguliers avec ses parents et sa communauté ayant contribué à la rupture du lien affectif et culturel ainsi qu’aux traumatismes qu’elle a subis; en outre, celle-ci a notamment fait l’objet de 64 placements en famille d’accueil et il faut retenir que les divers transferts d’une unité à une autre depuis son intégration en centre de réadaptation ont également lésé ses droits.
2024EXP-1352***
Intitulé : Protection de la jeunesse — 241661, 2024 QCCQ 1511
Juridiction : Cour du Québec, Chambre de la jeunesse (C.Q.)
Décision de : Juge Peggy Warolin
Date : 24 avril 2024
Références : SOQUIJ AZ-52021908, 2024EXP-1352 (56 pages)
–Résumé
PROTECTION DE LA JEUNESSE — droits de l’enfant et des parents — lésion de droit — directeur de la protection de la jeunesse — services régionaux de réadaptation pour jeunes en difficulté d’adaptation — adolescente âgée de 16 ans — Inuk — droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats — suivi médical — suivi psychologique ou thérapeutique — hébergement — fréquents transferts — non-respect d’une ordonnance — maintien du lien de l’enfant avec sa famille — maintien du lien de l’enfant avec la communauté autochtone — identité culturelle — continuité culturelle — discrimination systémique — mesure correctrice.
PROTECTION DE LA JEUNESSE — dispositions particulières aux autochtones — adolescente âgée de 16 ans — Inuk — ordonnance — révision et prolongation — lésion de droit — suivi psychologique ou thérapeutique — hébergement — fréquents transferts — non-respect d’une ordonnance — maintien du lien de l’enfant avec sa famille — maintien du lien de l’enfant avec la communauté autochtone — identité culturelle — continuité culturelle — discrimination systémique.
PROTECTION DE LA JEUNESSE — mesures applicables — ordonnance — prolongation et prolongation — adolescente âgée de 16 ans — Inuk — hébergement — centre de réadaptation — continuité culturelle — maintien du lien de l’enfant avec la communauté autochtone — maintien du lien de l’enfant avec sa famille.
PROTECTION DE LA JEUNESSE — divers — Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis — adolescente âgée de 16 ans — Inuk.
Demande en prolongation d’une ordonnance et en lésion de droits. Accueillie.
X, qui est âgée de 16 ans, est inuk. Le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) demande au tribunal de prolonger la décision rendue le 22 novembre 2021, laquelle déclarait que la sécurité et le développement de X étaient toujours compromis et confiait l’adolescente à un centre de réadaptation. Il soutient que la situation ne permet pas de réintégrer X chez ses parents, qui sont toujours aux prises avec des problèmes de consommation d’alcool et de violence conjugale, et demande que son placement en centre de réadaptation soit prolongé pour une période de 1 an. Le père a présenté une demande par laquelle il cherche à faire déclarer que les droits de sa fille ont été lésés quant aux aspects suivants: le nombre de déplacements de l’adolescente d’une unité à l’autre; le manque de régularité dans les suivis thérapeutiques; les contacts avec ses parents, sa famille élargie et sa communauté; ainsi que la continuité culturelle. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est intervenue uniquement sur cette dernière question.
Décision
La sécurité et le développement de l’adolescente sont toujours compromis. Quant aux mesures applicables, les parties consentent au placement en centre de réadaptation. La demande en déclaration de lésion de droits fait référence à l’historique de la situation de l’adolescente depuis son premier placement «au sud», en 2016. Elle n’a pas eu l’occasion depuis de retourner vivre dans le secteur A. Elle a intégré pour la première fois un centre de réadaptation en février 2021, après avoir fait l’objet de 64 placements en famille d’accueil, en plus de 14 placements en urgence, et ce, au cours des 7 années précédentes. Lors de son intégration en centre, les 2 placements en famille d’accueil précédents — chez Mme C, puis chez Mme D — s’étaient terminés abruptement en raison d’allégations d’abus sexuels à son endroit dans chacun des milieux. Les 2 premières semaines d’intégration à l’unité B ont été difficiles pour X et ont mené à plusieurs mesures de restriction et d’isolement, et ce, en raison principalement de problèmes de communication liés à la barrière de la langue. X, alors unilingue anglophone, s’était trouvée plongée dans un milieu où les autres résidentes parlaient inuktitut. En août 2021, malgré son adaptation et les changements positifs qu’elle maintenait depuis 5 mois, il a été soudainement question d’un changement d’unité. Les divers transferts, que ce soit d’une unité à une autre ou les placements en encadrement intensif, ont lésé les droits de l’adolescente en violation de plusieurs dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse — avant et après le 26 avril 2022 — ainsi que des articles 100 et 101 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.
Ces divers déplacements ont eu un effet direct sur la régularité des suivis thérapeutiques puisque l’adolescente a dû créer des liens thérapeutiques avec différents professionnels en dépit de son trouble de l’attachement. De plus, X est inuk et son héritage culturel est ancré en elle. La décision clinique de la maintenir au sud ne pouvait se justifier ni d’un point de vue thérapeutique ni d’un point de vue légal. X ayant été privée des conditions propices à la poursuite de son suivi psychologique, l’ordonnance rendue en novembre 2021 n’a pas été respectée et il s’agit d’une lésion de droits. Les décisions prises dans la situation de X ne respectent pas les dispositions des articles 8 et 11.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse. De plus, cela démontre le peu de pouvoir que détient le DPJ dans la prise de décisions cliniques, car celui-ci est soumis à la volonté d’un autre organisme, soit l’organisme A (Services régionaux de réadaptation pour jeunes en difficulté d’adaptation, Centre de santé B), le tout en violation des articles 92 et 62 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Quant aux contacts avec les parents, la famille et la communauté, les droits de X ont été lésés puisque ni les dispositions de la loi, ni les décisions rendues, ni le protocole interne n’ont été respectés. Il s’est écoulé plusieurs longues périodes — dont une de 4 ans — sans contacts entre X et sa communauté, sans compter que, pendant près de 6 ans, tous ces contacts étaient uniquement utilitaires, que ce soit dans le cadre de procédures à la cour ou des funérailles de son frère aîné. Il s’est également écoulé de longues périodes sans contacts avec les parents.
En ce qui a trait à la continuité culturelle, en plus de constituer une discrimination systémique, la distance entre le lieu d’hébergement de l’adolescente et sa communauté, la complexité des déplacements ainsi que la rupture des liens affectifs et culturels vont à l’encontre des objectifs de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis et de la Loi sur la protection de la jeunesse. S’il n’existe pas de centre de réadaptation plus proche, il est de la responsabilité du DPJ de mettre des mesures en place pour pallier cette difficulté en offrant aux enfants la possibilité de se rendre dans leur communauté de façon sécuritaire et de s’assurer ainsi de respecter les dispositions législatives applicables. Le DPJ n’a pas à être empêché par un tiers de respecter la loi et d’appliquer les ordonnances du tribunal comme en l’espèce. Par ailleurs, ainsi que l’indiquent les dispositions de la loi, les communautés ont un rôle à jouer dans la préservation culturelle des enfants qui en sont issus. À cet égard, le DPJ a une obligation de moyens. Compte tenu des circonstances, il a rempli son obligation et on ne peut exiger davantage sans l’aide, le soutien et l’engagement de la communauté.
Quant aux mesures correctrices, il est ordonné que X soit confiée à l’unité B, que son suivi thérapeutique soit offert par sa psychologue et sa pédopsychiatre et que les recommandations des 2 professionnelles soient mises en application sans délai. Il est également ordonné que l’adolescente soit maintenue dans des conditions propices à son plein investissement dans son suivi thérapeutique, qu’elle bénéficie de visites dans sa communauté et qu’une place soit disponible au foyer de groupe de ville E pour son hébergement et des activités planifiées. De plus, il est ordonné au DPJ de veiller à ce que des activités en nombre suffisant soient offertes à X, qu’elles s’inscrivent dans ses champs d’intérêt et suscitent sa curiosité et que les conditions en place permettent à l’adolescente de s’y investir pleinement, telles que la poursuite de l’apprentissage de l’inuktitut, le perlage et la couture. Il est aussi ordonné au DPJ de revoir son mode de collaboration avec l’organisme A pour s’assurer que les décisions cliniques qu’il prendra seront appliquées et exécutées. Le tribunal invite la communauté à considérer le rôle qu’elle peut jouer en application des articles 131.1 et ss. de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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