par
Gabrielle Champigny
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et
Paulina Shevelova
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05 Fév 2025

Corriger le présent pour protéger l’avenir : Une décision qui redéfinit la protection des droits de la jeunesse québécoise

Par Gabrielle Champigny, avocate et Paulina Shevelova, Étudiante

La Cour suprême du Canada a rendu une décision historique en 2024 dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43. Ce jugement révèle les tensions entre la justice individualisée pour les enfants vulnérables et les réformes systémiques nécessaires pour améliorer le système de protection de la jeunesse.

Contexte

En octobre 2017, une adolescente est placée dans un centre de réadaptation, où elle subit des atteintes graves à ses droits fondamentaux, notamment la suspension prolongée de son suivi psychologique et des mesures d’isolement inadéquates[1]. Soutenus par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), ses parents déposent une demande en lésion de droits selon l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ).

La juge de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec a identifié quatre (4) situations ayant lésé les droits de l’adolescente en question et a ordonné des mesures correctrices. Ces mesures incluent notamment la formation des intervenants en santé mentale et l’adaptation des salles d’isolement pour les rendre plus sécuritaires pour les jeunes et pour le centre. Cependant, la directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) conteste ces mesures, arguant qu’elles dépassaient les pouvoirs correctifs du tribunal prévus par la loi, car elles ne se rapportaient pas directement à la situation de l’adolescente, mais bien aux jeunes en général.

La Cour supérieure et la Cour d’appel ont limité la portée des ordonnances qui sont jugées « générales », affirmant que la LPJ a comme rôle d’imposer une approche et des mesures centrées sur l’enfant directement concerné[2].

Décision 

Dans une décision du 20 décembre 2024, la Cour suprême du Canada clarifie une distinction essentielle, soit que les mesures correctrices doivent rester liées à l’intérêt de l’enfant devant le tribunal, même si elles peuvent avoir des effets indirects bénéfiques pour d’autres enfants se trouvant dans la même situation lésionnaire. Les mesures préventives doivent être étudiées cas par cas, selon la situation et les besoins de l’enfant en question afin d’assurer sa pleine efficacité.

Le juge en chef R. Wagner précise :

« […] toute mesure correctrice de nature préventive doit être non seulement efficace, mais aussi en lien avec la prévision de la récurrence de la situation lésionnaire pour l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation. Cette exigence découle de l’intention du législateur, dégagée de l’art. 91 al. 4 de la LPJ, selon laquelle le tribunal ne peut ordonner que des mesures correctrices qui visent à protéger l’intérêt et les droits de l’enfant dont il est saisi de la situation »[3] .

La Cour suprême confirme la décision de la Cour supérieure et restreint la portée de plusieurs mesures correctrices initialement ordonnées, les adaptant davantage à la protection des droits et de l’intérêt de l’adolescente. Toutefois, étant donné que l’adolescente est désormais majeure et ne sera plus visée par une intervention sociale, aucune ordonnance n’est rendue à son égard.

Dilemme majeur : comment concilier la protection des droits d’un individu avec les besoins systémiques ?

Dans sa décision, la Cour suprême explique que le tribunal n’a pas le pouvoir de corriger l’ensemble du système, mais il peut et doit s’assurer que chaque enfant devant lui reçoive la protection et la justice auxquelles il a droit. À ce sujet, le juge en chef R. Wagner précise :

« […] le tribunal doit, tout comme les représentants des directeurs de la protection de la jeunesse, prendre des décisions « dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits » (art. 3 al. 1) dans le but ultime « d’astreindre toute compromission à sa sécurité et son développement, mais également de prévenir la maltraitance […] »[4] .

En revanche, la Cour suprême précise que la réforme des structures juridiques et sociales appartient aux acteurs politiques et institutionnels et indique que le législateur québécois conçoit la protection de la jeunesse du Québec comme une responsabilité collective[5].

La Cour suprême affirme que l’article 91 de la LPJ n’a pas pour objectif de réformer le système, mais d’offrir des solutions individualisées pour chaque adolescent[6]. Cependant, tel que précisé plus haut, elle n’exclut pas que des mesures correctrices indirectes puissent avoir une portée positive sur d’autres enfants sans nécessairement la rechercher comme but premier.

Finalement, cette décision rappelle que les tribunaux ont le devoir de s’assurer que leurs interventions sont adaptées aux besoins précis de chaque enfant, tout en respectant les limites imposées par le législateur. C’est un rappel puissant que derrière chaque dossier, il y a une vie humaine d’un enfant vulnérable qui mérite une attention individuelle.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Protection de la jeunesse –193763, 2019 QCCQ 3916, par. 340

[2] Protection de la jeunesse –226231, 2022 QCCA 1653, par. 78

[3] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, préambule.

[4] Id., par 39.

[5] Id., par. 44.

[6] Id., par. 40.

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