Fixation des loyers : Un locataire obtient justice après résiliation abusive
Par David Searle, avocat et Rebecca Brassard
La crise de l’habitation est en grande partie reliée à la flambée des prix sur le marché locatif. Avec le mécanisme de fixation des loyers au Québec, plusieurs locataires vivent dans des logements au prix relativement abordable lorsque comparés à la moyenne canadienne. Par contre, d’importantes inégalités existent entre locataires, selon leur date d’entrée dans un logement.
Le Rapport sur le marché locatif du mois de janvier 2024 de la SCHL confirme à cet effet un secret de polichinelle. En 2023, un appartement accueillant de nouveaux locataires a coûté en moyenne 25 % plus cher qu’un logement occupé par des locataires qui ont renouvelé leur bail[1]. La source de la disparité entre les loyers payés est bien connue : nombreux sont les locateurs qui rajustent le loyer d’un appartement au départ de leurs locataires.
Que peut-il arriver si un locataire constate payer un loyer plus élevé que l’ancien locataire dans son logement et tente de faire valoir ses droits devant le Tribunal administratif du logement (ci-après « le Tribunal ») ? Dans Huynh c. Immeubles JP Falet inc.[2], un locataire entreprend une telle démarche.
Contexte
Le 20 mai 2022, le locataire, M. Huynh, a signé un bail pour un appartement au prix mensuel de 1 350 $ auprès de la locatrice Immeubles JP Falet inc., débutant le 1er juillet 2022. Dix jours plus tard, au moment de recevoir l’exemplaire du bail, il découvre que le bail indique à la clause G que le loyer antérieur était de 1 030 $. Il questionne la locatrice sur cette disparité, et celle-ci justifie la hausse par l’augmentation des taxes et des assurances.
N’ayant reçu aucun document la justifiant malgré ses demandes, le 31 mai 2022, le locataire dépose une demande en fixation du loyer auprès du Tribunal en invoquant l’article 1950 du Code civil du Québec :
1950. Un nouveau locataire ou un sous-locataire peut faire fixer le loyer par le tribunal lorsqu’il paie un loyer supérieur au loyer le moins élevé des 12 mois qui précèdent le début du bail ou, selon le cas, de la sous-location, à moins que ce loyer n’ait déjà été fixé par le tribunal.
La demande doit être présentée dans les 10 jours de la conclusion du bail ou de la sous-location. Elle doit l’être dans les deux mois du début du bail ou de la sous-location lorsqu’elle est présentée par un nouveau locataire ou par un sous-locataire qui n’ont pas reçu du locateur, lors de la conclusion du bail ou de la sous-location, l’avis indiquant le loyer le moins élevé de l’année précédente; si le locateur a remis un avis comportant une fausse déclaration, la demande doit être présentée dans les deux mois de la connaissance de ce fait.
1991, c. 64, a. 1950.
Le 8 juin 2022, le locataire reçoit un avis d’une représentante de la locatrice indiquant que son bail est annulé et qu’il est interdit de prendre possession du logement le 1er juillet 2022, soit dans moins d’un mois. Un chèque de 1 350 $ lui est transmis à titre de remboursement du premier mois de loyer déjà payé. Malgré une mise en demeure envoyée à la locatrice pour affirmer son droit d’occuper le logement, le locataire est informé la veille du début de son bail que le logement a été reloué. Une compensation de 500 $ lui est offerte, offre qu’il refuse.
Face à la résiliation de son bail, la demande en fixation du locataire devient sans objet et il poursuit la locatrice devant le Tribunal pour obtenir des dommages-intérêts moraux de 10 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 20 000 $.
Décision
Représailles pour l’exercice d’un droit
Dans un premier temps, la Juge administrative Annie Hallée conclut que la locatrice a enfreint ses obligations de délivrance du logement en annulant le bail du locataire sans motif légitime et en représailles à sa demande initiale de fixation de loyer. Or, l’article 1899 C.c.Q. interdit aux locateurs de pénaliser un locataire pour avoir exercé ses droits :
1899. Le locateur ne peut refuser de consentir un bail à une personne, refuser de la maintenir dans ses droits ou lui imposer des conditions plus onéreuses pour le seul motif qu’elle est enceinte ou qu’elle a un ou plusieurs enfants, à moins que son refus ne soit justifié par les dimensions du logement ; il ne peut, non plus, agir ainsi pour le seul motif que cette personne a exercé un droit qui lui est accordé en vertu du présent chapitre ou en vertu de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (chapitre T-15.01).
Il peut être attribué des dommages-intérêts punitifs en cas de violation de cette disposition.
Selon le Tribunal[3] :
« […] la preuve prépondérante et non contredite démontre que dès la notification de la demande en fixation, le président de la locatrice a fait parvenir une lettre au locataire pour lui confirmer la résiliation unilatérale de son bail ainsi qu’une interdiction formelle d’accéder au logement le 1er juillet 2022. […] »
Le Tribunal conclut que son geste, lourd de conséquences pour le locataire, est « inacceptable et empreint de mauvaise foi »[4]. Que le recours en fixation du loyer du locataire ait été déposé ou non à l’intérieur des délais légaux ne change en rien son droit au maintien dans les lieux.
Compensation
En conséquence, le Tribunal a jugé opportun d’accorder au locataire :
- 5 000 $ en dommages-intérêts moraux pour compenser le stress et les inconvénients subis suivant la perte du logement adapté à ses besoins.
- 8 000 $ en dommages-intérêts punitifs pour sanctionner les manœuvres de la locatrice et dissuader de tels comportements de la part des locateurs à l’avenir.
Commentaires
Ce jugement illustre à merveille la situation délicate dans laquelle se retrouvent les locataires lors de la négociation et la signature de leur bail. Un locataire qui revendique ses droits court le risque, comme en l’espèce, de voir sa locatrice annuler illégalement son bail en guise de représailles et lui refuser le droit d’intégrer le logement à la date prévue.
Bien que cette cause ne porte pas directement sur la fixation du loyer, il reste intéressant de constater que la démarche du locataire aurait possiblement échoué si le logement n’avait pas été résilié par la locatrice. En effet, le locataire a déposé sa demande 11 jours après la signature de son bail, alors que l’article 1950 C.c.Q. prévoit un délai de 10 jours pour demander la fixation du loyer dans de telles circonstances.
Ce cas de figure illustre les limites inhérentes du mécanisme de fixation du loyer initié par les nouveaux locataires. Et il apporte un certain éclairage sur la grande disparité entre les loyers sur le marché.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Société canadienne de l’hypothèque et du logement. Rapport sur le marché locatif 2024 : 109.
[2]Huynh c Immeubles JP Falet inc, 2024 QCTAL 4858.
[3] Ibid au para 42.
[4] Ibid au para 45.
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