Perte de jouissance des aires communes d’un centre commercial : une raison pour demander une réduction de loyer?
Par Stéphanie Bernier, avocate
Dans Fonds de placement immobilier Cominar c. Compagnie de la Baie d’Hudson, 2024 QCCS 111, la Cour supérieure se penche sur une demande de réduction de loyer basée sur le manque de jouissance des aires communes de centres commerciaux.
Contexte :
Dans cette affaire, Fonds de placement immobilier Cominar(le « Bailleur »), saisit la Cour pour la résiliation de trois baux qu’il a signé avec la Compagnie de la Baie d’Hudson (le « Locataire »), dans trois centres commerciaux: le Centre Laval, le Mail Champlain et le Centre Rockland, en raison du loyer impayé pendant la période de restrictions sanitaires reliées à la COVID-19 [par. 14].
La Cour répond à plusieurs questions dans cette décision, mais celle qui nous intéresse en l’espèce est la suivante : le Locataire a-t-il le droit à une réduction de loyer en raison de la perte de jouissance des aires communes des commerciaux pendant les différentes périodes de restrictions sanitaires imposées par le gouvernement? [par. 27].
Le Bailleur estime qu’il a droit au plein loyer dû [par. 14] et avoir fourni la jouissance paisible des lieux loués et des centres commerciaux, selon les limites imposées par les mesures gouvernementales [par. 40].
Le Locataire, quant à lui, prétend avoir droit à une réduction de loyer de 100%, 75% ou 50% respectivement, pour les périodes suivantes:
(i) les jours où les magasins et centres commerciaux étaient fermés;
(ii) les jours où les magasins étaient ouverts, mais où et les centres commerciaux étaient fermés; et
(iii) les jours où les magasins et centres commerciaux étaient ouverts, mais où les centres commerciaux opéraient avec une réduction substantielle des services, diminuant ainsi significativement l’expérience vécue par sa clientèle [par. 20].
Décision :
Dans son analyse, la Cour détermine que la jouissance paisible des lieux loués que le Bailleur est tenu de procurer au Locataire ne se limite pas qu’à l’espace loué:
« Selon l’auteur Deslauriers, « la jouissance paisible s’apprécie d’après la nature des lieux ou des biens loués et elle varie selon les circonstances ». Il faut donc « tenir compte de la nature du bien, l’occupant d’un chalet rustique ne pouvant s’attendre au même confort que le locataire d’une résidence plus luxueuse ».
L’obligation de procurer la jouissance paisible s’étend « non seulement à l’espace loué décrit au bail, mais également à tout ce qui est nécessaire à l’utilisation des lieux », c’est-à-dire, entre autres, « toutes les parties communes d’un immeuble auxquelles a accès le locataire d’une partie exclusive ».
Il faut respecter l’ «environnement du bien loué», ce qui sera largement une question de faits à décider selon la « ville, le quartier, le caractère de l’édifice et le genre d’occupation du locataire». Selon le professeur Pierre-Gabriel Jobin, le locateur doit maintenir tous les services, commodités et avantages existant le jour de la formation du contrat et il n’est pas nécessaire que le service, l’avantage et la commodité soit mentionnés au bail.
S’il y a inexécution de cette obligation de résultat, l’article 1863 C.c.Q. confère « au locataire le droit de demander une diminution de loyer ».
L’auteur Jobin explique que cette réduction est évaluée en fonction de la « diminution de la jouissance, ou de la valeur locative, c’est-à-dire de la perte de l’usage et des avantages du bien loué ». Il propose de calculer la perte de jouissance en terme de pourcentage et de réduire le loyer selon ce pourcentage. » [par. 48-52].
Pour ces raisons, la Cour conclut que [par. 261]:
- Lorsque les centres commerciaux et les magasins étaient fermés, le Locataire a droit à une réduction de 100% des Common Facilities Maintenance Costs (ci-après « CFMC »), étant donné que le Locataire et sa clientèle se sont vu interdire l’accès aux magasins et aux centres commerciaux. Cependant, selon les termes des trois baux, aucune réduction ne peut être accordée pour les taxes foncières et le loyer de base des magasins car le Locataire avait la jouissance paisible de ceux-ci selon les termes et conditions des baux;
- Lorsque les centres commerciaux étaient fermés mais que les magasins étaient ouverts, le Locataire a droit à une réduction de 75% des CFMC, car le Locataire et sa clientèle n’ont pas pu bénéficier de l’accès aux centres commerciaux et aux services, mais qu’ils ont eu accès aux stationnements; et
- Lorsque les centres commerciaux étaient ouverts, mais opéraient avec une réduction substantielle des services, le Locataire n’a droit à aucune réduction de loyer, pour les raisons suivantes:
« Lors des périodes d’ouverture, il y a clairement une jouissance paisible des Common Facilities. Il est vrai que l’accès aux foires alimentaires est limité, sinon interdit. Par ailleurs, certains services ne sont pas fournis et les activités sont annulées ou offertes en ligne. Des limites de capacité sont imposées et les bancs sont enlevés. Sans aucun doute, cela diminue la capacité de jouir pleinement du Tenant Department Store et des Common Facilities. Mais cela n’élimine pas la jouissance prévue au bail. Or, toutes ces mesures sont prises en lien avec le respect des mesures sanitaires imposées par décret ou arrêtés. Les baux comprennent clairement une obligation de « comply with all legal requirements (…) affecting the (…) use or occupation », qui est imposée autant à HBC qu’à Cominar. Ces clauses convenues entre les parties autorisent sinon imposent des limites à la jouissance paisible. Contrairement aux périodes 2 et 3, les aires communes sont accessibles. C’est pour cette raison que le Tribunal ne réduit pas le loyer au titre des mesures restrictives durant les périodes d’ouverture des centres commerciaux. [par. 278].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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