Matsuba (Succession de Myers) c. Floyd, 2024 QCCS 2059
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
MANDAT : La procuration que la demanderesse a signée en faveur d’un ami dans le contexte de la liquidation d’une succession n’est pas valide; ce dernier a profité de sa vulnérabilité pour la lui faire signer et il lui a faussement fait croire qu’elle avait pour but de protéger les fonds de la succession, alors qu’il a utilisé l’argent pour ses propres intérêts.
2024EXP-1748**
Intitulé : Matsuba (Succession de Myers) c. Floyd, 2024 QCCS 2059 *
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge David E. Roberge
Date : 30 mai 2024
Références : SOQUIJ AZ-52032491, 2024EXP-1748 (67 pages)
–Résumé
MANDAT — procuration — validité — vice de consentement — erreur — exploitation financière — personne vulnérable — personne âgée (62 ans) — personne endeuillée — administrateur du bien d’autrui — obligation d’agir de bonne foi — obligation de prudence et de diligence — contrôle coercitif — conflit d’intérêts — détournement de fonds — stratagème — atteinte à la dignité — atteinte illicite et intentionnelle — appréciation de la preuve — témoignage — crédibilité — jugement déclaratoire — dommage matériel — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
DROITS ET LIBERTÉS — droits économiques et sociaux — personnes âgées ou handicapées — exploitation financière — personne âgée — femme de 62 ans — vulnérabilité — personne endeuillée — liquidation d’une succession — procuration — administrateur du bien d’autrui — obligation d’agir de bonne foi — obligation de prudence et de diligence — contrôle coercitif — conflit d’intérêts — détournement de fonds — stratagème — atteinte à la dignité — atteinte illicite et intentionnelle — appréciation de la preuve — témoignage — crédibilité — jugement déclaratoire — dommage matériel — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
LIBÉRALITÉS — donation — donation entre vifs — don manuel — somme d’argent — compte bancaire — validité — formalité essentielle — vice de consentement — erreur — intention du donateur — stratagème — appréciation de la preuve — témoignage — crédibilité — jugement déclaratoire — dommage matériel — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — exploitation financière — personne âgée — femme de 62 ans — vulnérabilité — personne endeuillée — procuration — stratagème — détournement de fonds — contrôle coercitif — atteinte à la dignité.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage exemplaire ou dommage punitif — Charte des droits et libertés de la personne — atteinte à la dignité — exploitation financière — personne âgée — femme de 62 ans — vulnérabilité — personne endeuillée — liquidation d’une succession — détournement de fonds — contrôle coercitif — stratagème — atteinte illicite et intentionnelle.
RESPONSABILITÉ — responsabilité professionnelle — notaire — vente d’immeuble — interprétation de l’article 24 du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires — remise de sommes à un tiers non lié à la transaction — instructions du client — devoir de conseil — obligation de moyens — obligation de prudence et de diligence — négligence — absence de lien de causalité — partage de responsabilité — responsabilité in solidum — obligation de réduire les dommages — dommage matériel.
DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — dignité — personne âgée — exploitation financière — femme de 62 ans — vulnérabilité — personne endeuillée — procuration — administrateur du bien d’autrui — obligation de prudence et de diligence — conflit d’intérêts — détournement de fonds — contrôle coercitif — stratagème — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.
Demandes en jugement déclaratoire, en injonction permanente et en réclamation de dommages-intérêts, de dommages moraux et de dommages punitifs. Accueillies en partie (2 196 885 $).
La demanderesse est citoyenne du Japon et résidente permanente du Canada. À l’automne 1997, après son arrivée au pays, elle a rencontré Myers et a emménagé avec lui dans le cadre d’une relation de camaraderie. Lorsque ce dernier est décédé, en janvier 2018, ils vivaient ensemble depuis 20 ans. La demanderesse avait alors 62 ans. Dans son dernier testament, daté de mars 2013, Myers a fait d’elle sa légataire universelle et sa liquidatrice, lui léguant des biens valant plus de 2 millions de dollars. Peu après le décès de Myers, Floyd a proposé à la demanderesse de l’aider avec le règlement de la succession. Cette dernière a signé une procuration en sa faveur.
La demanderesse reproche à Floyd d’avoir usé de stratagèmes pour gagner sa confiance et la priver de son héritage. Il l’aurait convaincue de transférer l’argent hérité dans ses comptes bancaires, et ce, afin de «protéger» les fonds d’un éventuel procès intenté par les filles de Myers au sujet du testament. Or, en septembre 2018, tout l’argent de la succession avait été transféré dans les comptes bancaires de Floyd, y compris le produit de la vente d’un immeuble d’environ 1,2 million de dollars. Litvack était le notaire instrumentant pour la vente de cet immeuble. La demanderesse prétend que ce dernier aurait dû s’abstenir de transférer le produit de la vente dans le compte de Floyd et qu’il ne l’a pas conseillée adéquatement à cet égard. Pour sa part, Floyd soutient que, à l’été 2018, la demanderesse a signé une lettre par laquelle elle lui a volontairement fait don de tous les fonds restants de la succession en contrepartie de l’aide et du soutien qui lui ont été apportés depuis le décès de Myers.
La demanderesse veut faire annuler la procuration et la lettre de donation au motif que son consentement a été vicié. Elle invoque également l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne. Elle réclame à Floyd une compensation pour la valeur des biens de la succession dont elle a été injustement privée ainsi que 150 000 $ en dommages moraux et 200 000 $ en dommages punitifs.
Décision
La procuration que la demanderesse a signée en faveur de Floyd n’est pas valide, car elle résulte de l’exploitation de sa vulnérabilité au sens de l’article 48 de la charte. Elle a été signée environ 1 mois après le décès de Myers, alors que la demanderesse était endeuillée, vulnérable et isolée socialement. Il n’y avait pas d’urgence d’agir. Si Floyd a d’abord réconforté la demanderesse, il a progressivement exercé un contrôle coercitif sur son comportement. Le consentement de la demanderesse a été vicié par l’erreur. Celle-ci croyait que la procuration avait pour but de protéger les fonds de la succession, alors que l’argent (plus de 2 M$) a été utilisé par Floyd pour ses propres intérêts. Même si la procuration était valide, Floyd y aurait contrevenu en se plaçant en situation de conflit d’intérêts et en détournant de l’argent dans ses comptes bancaires personnels.
La lettre de donation est également nulle, car elle ne respecte pas les exigences légales applicables aux dons manuels. Elle ne comporte ni objet clair, ni montant précis, ni date pour le prétendu don. De plus, la donation a été obtenue par des tactiques trompeuses de Floyd qui ont vicié le consentement de la demanderesse. Cette dernière n’a jamais eu l’intention de lui donner la quasi-totalité de la fortune dont elle avait hérité de Myers.
Quant au notaire Litvack, il n’a pas manqué à son devoir de conseil, mais il a contrevenu à l’article 24 du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires en remettant le produit de la vente d’un immeuble à un tiers non lié à la transaction, soit Floyd, plutôt qu’à la demanderesse. Il ne suffit pas pour un notaire d’invoquer le respect des instructions d’un client afin d’établir qu’il s’est acquitté de son obligation de moyens, d’autant moins lorsqu’il n’a aucune connaissance préalable de ce client. Un notaire ne peut faire aveuglément ce qu’on lui demande de faire, notamment si cela va à l’encontre des directives de la Chambre des notaires du Québec. Toutefois, la faute de Litvack n’a pas causé les dommages subis par la demanderesse. Le produit de la vente de l’immeuble aurait abouti en définitive dans le compte bancaire de Floyd, et ce, peu importe la faute commise par le notaire Litvack.
La demanderesse est en droit d’obtenir 821 441 $ de Floyd en remboursement des fonds et des biens de la succession qu’il s’est appropriés. De plus, les 2 défendeurs doivent lui verser in solidum 1 250 444 $ en remboursement du produit de la vente de l’immeuble. Toutefois, compte tenu de la preuve présentée et des principes de causalité, Floyd est responsable de 100 % de ces dommages et Litvack, de 0 %. Enfin, Floyd est aussi condamné à payer 75 000 $ à titre de dommages moraux ainsi que des dommages punitifs de 50 000 $.
Suivi : Déclaration d’appel, 2024-07-11 (C.A.), 500-09-031107-246. Déclaration d’appel, 2024-07-11 (C.A.), 500-09-031109-242.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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