La Cour d’appel tranche quant au seuil de la faute requis pour accueillir un recours en responsabilité civile en matière d’exercice de l’autorité parentale
Par Nadim Paul Fares, Avocat et Marie Pascale Gagné, Étudiante
Dans une décision rendue en juin 2024[1], la Cour d’appel du Québec établit un cadre strict à respecter pour obtenir compensation en responsabilité civile dans les affaires familiales, plus précisément quand il est question d’aliénation parentale.
Cette décision renverse un jugement de la Cour supérieure du 28 avril 2022 dans lequel la juge Poisson avait condamné le défendeur à un montant de 30 000$ en dommages-intérêts en raison de ses comportements aliénants.
Contexte
Le père (l’appelant) et la mère (l’intimée) se rencontrent en 1993. Leur enfant, X, nait en 2001. À compter de leur cessation de vie commune en 2003, les parties conviennent d’un plan parental. Ce plan est respecté jusqu’en 2013, alors que la relation entre la mère et X commence à se dégrader. Plusieurs altercations, parfois violentes, ont lieu de 2014 à 2016 en raison d’une forte opposition de X à sa mère. Cette dégradation culmine en 2016 alors que X va vivre chez son père à la suite d’une ultime altercation avec sa mère, avec qui il rompt définitivement les liens.
L’intimée prétend que la source de la dégradation de sa relation avec son fils réside dans le comportement de l’appelant, qui aurait monté X contre elle en encourageant son attitude d’opposition. L’appelant, lui, prétend que la relation entre X et sa mère s’est rompue en raison des gestes et des propos de l’intimée et non des siens. L’intimée poursuit l’appelant « en raison de ses comportements aliénants ayant contribué à la rupture du lien mère-fils ». La juge de première instance accueille en partie sa demande, en considérant qu’il y a eu aliénation parentale et que cette dernière est constitutive d’une faute civile.
Décision
Dans cette décision de principe, la Cour d’appel énonce les critères-phares qui doivent désormais régir le recours à la responsabilité civile en matière familiale. L’enjeu central de la décision porte sur les conditions d’un tel recours et la norme de conduite applicable quant à la faute.
Tout d’abord, la Cour d’appel explique que le droit québécois actuel n’écarte pas la possibilité d’un recours en responsabilité civile en matière d’autorité parentale. La Cour écarte ainsi l’application du principe établi dans l’arrêt Frame de la Cour Suprême, qui fait appel à des concepts propres au système de la Common Law et qui conclut à l’inexistence d’un tel recours. Comme le rappelle la Cour, le droit civil est tel qu’une « action en responsabilité pour l’indemnisation d’un préjudice causé à autrui pour une faute existe, sauf si le législateur l’a écarté ou modulé en prévoyant une immunité relative ou absolue […] »[2]. Comme le législateur québécois n’a pas écarté l’application de l’article 1457 C.c.Q. en matière d’exercice de l’autorité parentale, un tel recours est possible. Par ailleurs, la Cour est d’avis que le facteur de l’intérêt de l’enfant, malgré sa pertinence, n’est pas en soi suffisant pour écarter un tel recours en droit québécois.
Bien que le recours existe, la Cour souligne à plusieurs reprises qu’une approche prudente est de mise. Il n’est pas souhaitable, selon elle, que ces recours en responsabilité civile pour faute découlant de l’exercice de l’autorité parentale soient courants[3]. Au contraire, ces recours doivent rester exceptionnels, la responsabilité civile n’étant pas un outil devant servir à réguler les méthodes parentales.
Pour accomplir cet objectif de minimisation des recours, le juge procède en établissant une définition stricte de la faute découlant de l’exercice de l’autorité parentale : « La faute implique […] un détournement de l’exercice de l’autorité parentale à des fins contraires à l’intérêt de l’enfant »[4]. Il établit une liste non exhaustive de six critères permettant d’atteindre le seuil élevé de l’acte fautif :
– La preuve repose sur une série de gestes et de propos;
– Ceux-ci sont nombreux et systématiques (il faut donc plus qu’une simple répétition de quelques gestes);
– Ils s’inscrivent dans la durée;
– Il faut pouvoir déduire de ces gestes et propos une stratégie visant à affecter la perception que l’enfant a de l’autre parent;
– Cette stratégie ne peut être justifiée par un quelconque motif;
– Le tout doit avoir entrainé une rupture totale et permanente des relations entre le parent aliéné et l’enfant.
La Cour d’appel se prononce aussi sur le standard de preuve à fournir, en recommandant que la preuve du lien de causalité se fasse par le biais d’une expertise. Par ailleurs, elle exclut de l’analyse du standard de la faute les critères de l’exercice unilatéral de l’autorité parentale au sens de l’article 600 C.c.Q., la norme du « parent raisonnable » et l’exigence pour un parent d’agir activement pour améliorer la relation entre l’enfant et l’autre parent.
De plus, la Cour d’appel déconseille la simple assimilation de la faute à la notion d’aliénation parentale. Issue de la psychologie, cette notion est plus adaptée pour l’analyse de la dynamique familiale et sa correction, mais moins adéquate pour constituer en elle-même la norme applicable à la faute. La Cour précise précise que la faute ne sera constatée que dans des cas « purs » et caractérisés d’aliénation parentale, dans lesquels le comportement est si grave qu’il va au-delà de la dynamique familiale.
Conclusion
L’arrêt de la Cour d’appel dans cette affaire présente une opinion très tranchée sur la question de la gestion du nombre de recours déposés et, en conséquence, l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires. Pour justifier cette position, le juge invoque la discrétion inhérente à l’exercice de l’autorité parentale, les intérêts de l’enfant et le souhait d’éviter les interventions de la justice dans la sphère familiale. Le juge tente-il par le fait même d’éviter une intervention législative qui serait trop intrusive?
Au contraire, peut-on s’attendre à une éventuelle intervention du législateur à cet effet, comme l’a fait le législateur ontarien ? À une époque où le meilleur intérêt de l’enfant est le critère central à considérer pour les décisions qui le concernent[5], des modifications législatives pourraient-elles être envisagées, par exemple en lien avec les recours en responsabilité civile pouvant avoir des effets dommageables sur le milieu familial de l’enfant?
Pour l’instant, il reste à voir dans quelles circonstances le lourd fardeau de preuve imposé au parent qui se dit aliéné pourra être rencontré dans une action en responsabilité civile pour aliénation parentale. Quelques décisions récentes appliquent le cadre énoncé dans la décision ici résumée, dans des matières familiales autres que l’alinéation parentale[6].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Droit de la famille – 24915, 2024 QCCA 767.
[2] Paragraphe 46 de la décision.
[3] Voir les paragraphes 8, 9, 79, 80 et 82 de la décision.
[4] Paragraphe 80 de la décision.
[5] Droit de la famille – 222087, 2022 QCCA 1616 au para 56.
[6] Voir Droit de la famille – 24001285, 2024 QCCS 3767, au para 88 et ML c PLe, 2024 QCCS 2885 aux para 72-76.
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