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SOQUIJ
Intelligence juridique
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20 Jan 2012

Résumé SOQUIJ de la semaine: THQ, une entreprise spécialisée dans la création de jeux électroniques et une concurrente d’Ubisoft, pouvait solliciter les employés de cette dernière même s’ils étaient liés par des engagements de non-concurrence et de non-sollicitation

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

Même si tous les salariés de l’employeur étaient liés par des engagements de non-concurrence et de non-sollicitation, cela ne fonderait pas en soi à rendre une ordonnance de sauvegarde interdisant à une entreprise concurrente de les solliciter, à moins d’établir la validité des engagements et de démontrer que cette entreprise tente de nuire à celle de l’employeur en favorisant leur violation. 

2012EXP-158

Intitulé : THQ Montréal inc. c. Ubisoft Divertissements inc., 2011 QCCA 2344

Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-021893-110

Décision de : Juges Pierre J. Dalphond, Nicholas Kasirer et Guy Gagnon

Date : 15 décembre 2011

Références : SOQUIJ AZ-50813850, 2012EXP-158, 2012EXPT-105, J.E. 2012-98, D.T.E. 2012T-22 (18 pages). Retenu pour publication dans les recueils [2012] R.J.D.T. et [2012] R.J.Q. 

TRAVAIL — contrat de travail — autres recours découlant du contrat de travail — ordonnance de sauvegarde — clause de non-sollicitation d’employés — clause de non-concurrence — industrie du jeu vidéo — nouvel employeur non lié — absence de preuve de concurrence déloyale — renouvellement de l’ordonnance — durée.

INJONCTION — injonction interlocutoire — procédure — ordonnance de sauvegarde — contrat de travail — clause de non-sollicitation d’employés — salarié — nouvel employeur — apparence de droit — préjudice — durée de l’ordonnance.

CONTRAT — clauses particulières — clause de non-concurrence — circonstances d’application — contrat de travail — clause de non-sollicitation d’employés — création de jeux électroniques — opposabilité — nouvel employeur — ordonnance de sauvegarde — durée.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une requête visant le renouvellement d’une ordonnance de sauvegarde. Accueilli en partie.

Ubisoft et THQ se livrent une vive concurrence dans l’industrie des jeux vidéo. Deux employés (Désilets et Gomez-Urda) ont successivement quitté Ubisoft pour se joindre à THQ. En janvier 2011, une première injonction interlocutoire a été prononcée contre Désilets afin qu’il cesse de solliciter ses ex-collègues. L’ordonnance visait également THQ. Une autre injonction interlocutoire a été prononcée le mois suivant, cette fois contre Gomez-Urda et THQ. En mars, une ordonnance de sauvegarde a été rendue en faveur d’Ubisoft contre ces derniers. Le 13 juillet, l’ordonnance en faveur d’Ubisoft a été renouvelée pour valoir contre Gomez-Urda jusqu’au 1er septembre suivant. En outre, la juge de première instance a ordonné à THQ de «s’abstenir et de cesser immédiatement, directement ou indirectement, de solliciter et d’embaucher tout employé […] de Ubisoft […] lié, à sa connaissance, par une clause de non-concurrence, sauf par des moyens généraux de sollicitation […] s’adressant à une collectivité plutôt qu’à des individus ciblés», et ce, jusqu’à ce que la requête pour ordonnance d’injonction interlocutoire soit entendue. THQ se pourvoit contre ce jugement, estimant que cette ordonnance est déraisonnable. Elle soutient qu’aucun engagement ne la lie à Ubisoft et qu’elle a le droit de livrer une concurrence agressive à toute entreprise qui fait commerce dans son champ d’activités.

Décision

 M. je juge Gagnon: La demande de THQ visant à obtenir l’autorisation de présenter une preuve nouvelle indispensable est rejetée. La preuve contradictoire qu’elle croit détenir à l’encontre de la déclaration sous serment d’une employée d’Ubisoft affirmant avoir été sollicitée «de façon agressive et ciblée» par Gomez-Urda était déjà connue de ce dernier au moment de la présentation de la requête pour ordonnance de sauvegarde. THQ, qui a choisi de ne pas présenter cette preuve en première instance, ne peut tenter de le faire en appel. De plus, cette preuve n’est pas indispensable aux fins de la solution du pourvoi.

Au moment où le jugement contesté a été rendu, les clauses restrictives liant Désilets et Gomez-Urda à Ubisoft étaient révolues ou sur le point de l’être. La juge de première instance ne pouvait conclure prima facie à une apparence de droit en faveur d’Ubisoft au-delà du 1er septembre 2011, assujettissant ainsi THQ au respect de clauses auxquelles celle-ci n’avait pas adhéré et qui, après cette date, n’avaient plus aucune force contraignante à l’égard de Gomez-Urda. Ce serait aller à l’encontre de la présomption de bonne foi que de supposer qu’une personne qui décide de rompre légalement son lien d’emploi ne respectera pas ses engagements de non-concurrence et de non-sollicitation à l’égard de son ex-employeur. Même en admettant que les clauses restrictives soient juridiquement valides, Ubisoft ne peut prétendre à la même protection à l’égard d’un tiers. Rien n’empêche THQ de solliciter ses employés, sauf si cette démarche s’effectue en toute connaissance de cause par l’entremise de personnes déjà liées à cette société par une clause de non-sollicitation. La prétention d’Ubisoft selon laquelle l’ordonnance vise à empêcher THQ de commettre une faute délictuelle en se rendant complice de la violation d’un contrat intervenu entre des tiers est prématurée. D’autre part, même si tous les employés d’Ubisoft étaient liés par des engagements de non-concurrence et de non-sollicitation, cela ne justifierait pas en soi de rendre une ordonnance contre THQ lui interdisant de les solliciter, à moins d’établir la validité de ces engagements — conformément au troisième alinéa de l’article 2089 du Code civil du Québec — et de démontrer que THQ tente de lui nuire en favorisant la violation des engagements en question. Par ailleurs, toute entreprise qui cesse d’agir à des fins justes en commettant des gestes illicites et déloyaux abuse de ses droits. Lorsque l’entreprise en question est une concurrente de l’employeur, on peut alors parler de concurrence déloyale. En l’espèce, la preuve ne permet pas de conclure prima facie qu’Ubisoft a fait l’objet de telles manoeuvres. La juge n’a d’ailleurs pas utilisé le qualificatif de concurrence «déloyale». Elle a plutôt retenu le risque que des employés quittent Ubisoft, ce qui pourrait être source d’ennuis pour elle. Cela n’est pourtant que la conséquence normale de la concurrence (Excelsior (L’), compagnie d’assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurance-vie (C.A., 1992-10-16), SOQUIJ AZ-92012058, J.E. 92-1661, [1992] R.J.Q. 2666, [1992] R.R.A. 1046 (rés.)). Les conséquences que retient la juge résultant de la concurrence qu’exerce THQ ne peuvent s’apparenter à de la concurrence déloyale visant à déstabiliser Ubisoft. Enfin, même si une ordonnance de sauvegarde excède souvent 10 jours, elle ne peut être d’une durée indéterminée. Une telle ordonnance n’est accordée qu’à des fins conservatoires et elle vise essentiellement à préserver les droits des parties. Elle est d’une durée raisonnable, qui s’apprécie en fonction de la gravité de ses répercussions sur le sort du litige. C’est la raison pour laquelle chaque demande de renouvellement de l’ordonnance de sauvegarde doit faire l’objet d’une analyse indépendante. En date du 13 juillet 2011, THQ était déjà sous le coup d’une ordonnance de sauvegarde depuis quatre mois. Le fait de la contraindre, sous peine d’outrage au tribunal, à accepter pendant une période indéfinie l’interprétation qu’Ubisoft se fait de la notion de «libre concurrence» semble déraisonnable alors que toute autre entreprise dans la même sphère d’activité ne sera, durant cette période, limitée que par la norme de l’usage excessif de la liberté de concurrence. L’appel est accueilli en partie. La conclusion visant à interdire à THQ de solliciter les employés d’Ubisoft est rayée. Les autres ordonnances ont cessé d’avoir effet le 1er septembre 2011.

Instance précédente : Juge Lise Matteau, C.S., Montréal, 500-17-063329-117, 2011-07-13, 2011 QCCS 3568, SOQUIJ AZ-50770107.

Réf. ant : (C.S., 2011-07-13), 2011 QCCS 3568, SOQUIJ AZ-50770107, 2011EXP-3787, 2011EXPT-2174, J.E. 2011-2077, D.T.E. 2011T-798; (C.A., 2011-08-04), 2011 QCCA 1444, SOQUIJ AZ-50776796.

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