Une requête pour être relevé du défaut de plaider doit être accompagnée de la défense
Par Pierre-Luc Beauchesne, Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L.
Par Pierre-Luc Beauchesne
Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l., s.r.l.
Faits
Un résumé détaillé des faits s’impose étant donné la nature du dossier.
La demanderesse a signifié à la défenderesse Location Brady Inc. une requête introductive d’instance demandant la décontamination du sol d’un immeuble ou le paiement d’une somme de 150 000 $. Les parties déposent le 30 août 2011 l’entente sur le déroulement de l’instance qui prévoit que l’interrogatoire avant défense doit avoir lieu le 12 septembre 2011 et que la défense doit être produite le 30 septembre 2011. Suite au dépôt d’un rapport d’expert, la défenderesse procède à l’interrogatoire avant défense le 2 novembre 2011. Le 19 décembre 2011, le Tribunal accueille une première requête en prolongation de délai et accorde un délai de 10 jours pour le dépôt d’un échéancier. Le 12 janvier 2012, le procureur de la demanderesse envoie au procureur de la défenderesse un projet d’échéancier qui n’est jamais signé par ce dernier.
Le 19 mars 2012, la demanderesse amende ses procédures et ajoute comme défendeur Patrick Brady qui sera représenté par le même procureur. Le 26 mars 2012, la demanderesse obtient une deuxième prolongation du délai d’inscription qui a été contestée par les défendeurs. L’entente sur le déroulement de l’instance prévoit, entre autres, que la défense doit être produite au plus tard le 1er juin 2011. Le 6 juin 2012, la demanderesse signifie au procureur des défendeurs une inscription ex parte présentable le 18 juin 2012. Le 7 juin 2012, le procureur du défendeur informe le procureur de la demanderesse que la défense sera signifiée la journée même, ce qui ne sera pas fait. Le 18 juin 2012, le procureur des défendeurs est absent lors de la présentation de l’inscription ex parte qui est alors remise au 3 juillet 2012. Le 29 juin 2012, le procureur des défendeurs signifie une requête pour être relevé du défaut de plaider qui sera finalement entendue le 31 juillet.
Analyse
Le Tribunal rappelle tout d’abord les conditions pour permettre la production tardive d’une défense formulées dans l’arrêt O’Hara c. Dupuy & Frère Inc., soit une preuve sommaire que le défaut de se soumettre aux délais de procédure est dû à une cause raisonnablement admissible et la production « instanter » de la défense. Le Tribunal rappelle également que le fait d’être relevé du défaut de plaider n’est pas un droit et que le défendeur a le fardeau de la preuve des allégations de sa requête.
Le Tribunal conclut que les défendeurs n’ont pas respecté les conditions applicables en semblable matière :
« [46] Comme suite à tout ce qui précède, le Tribunal estime que le procureur des défendeurs a fait montre d’un manque de diligence et de sérieux évidents. À plusieurs reprises, il n’a pas respecté les ententes sur le déroulement de l’instance qu’il avait pourtant signées, et ce, sans offrir de raison valable. Ainsi, à titre d’exemple, il n’a pas présenté sa requête pour rejet ni produit sa défense, comme prévu. Il a aussi fait fi de certaines règles de procédure de base. À titre d’exemple, sa requête pour être relevé du défaut n’était pas accompagnée d’un affidavit. Enfin, le procureur des défendeurs n’était pas présent lors de la présentation de l’ex-parte du 18 juin 2012. Le dossier n’a pas procédé parce que la mise en cause avait comparu au dossier.
[47] Qui plus est, le procureur des défendeurs n’a pas respecté l’exigence jurisprudentielle établie par la Cour d’appel dans l’arrêt O’Hara précité, à savoir la production immédiate («instanter») de la défense. Comment les défendeurs peuvent-ils justifier qu’ils ont une défense sérieuse à faire valoir, si elle n’est pas produite avec leur requête pour être relevé du défaut de plaider.
[48] Comme le souligne la Cour suprême, «il est vrai qu’une partie ne doit pas être privée de son droit par l’erreur de ses procureurs, lorsqu’il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l’égard de la partie adverse».
[49] Cependant, comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt Genest c. Labelle :
« Il doit y avoir un moment où le manque de diligence de l’avocat dans la conduite d’une action – et non seulement le manque de diligence de la partie elle-même – signifiera l’imposition d’une sanction, et même d’une sanction sévère, comme l’est le rejet de l’action… »
[50] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la demanderesse a respecté les règles de procédure applicables et n’a pas à supporter le préjudice causé par les délais supplémentaires et coûts additionnels, résultant du manque de diligence et de sérieux de l’avocat des défendeurs.
[51] Dans les circonstances, le Tribunal estime que les défendeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de faire la preuve des allégations de leur requête. En conséquence, nous ne sommes pas en présence d’une requête qui comporte une cause raisonnable justifiant le retard. »
Commentaires
Cette décision nous rappelle que l’erreur du procureur ne permet pas toujours à une partie d’être relevée du défaut de produire une procédure dans le délai fixé.
Le texte intégral de la décision se retrouve ici.
Pierre-Luc,
Le paragraphe 50 de la décision m'inspire une question. Crois-tu que la nécessité de produire la défense "instanter" pourrait être modulée si le défaut provient de délais encourus en raison de la conduite de la demanderesse, qui aurait elle-même retardé le déroulement du dossier selon le calendrier des échéances?
Ne pourrait-il pas alors s'agir simplement d'une question de modification de l'entente sur le déroulement de l'instance?
Le juge a souligné que la demanderesse a respecté les ententes sur le déroulement de l'instance et les règles de procédure. Si la demanderesse avait par exemple omis de transmettre certains engagements suite à l'interrogatoire préalable ou avait tardé à transmettre son expertise, le Tribunal aurait pu, selon moi, accorder un délai additionnel aux défendeurs pour produire leur défense et ainsi modifier l'entente sur le déroulement de l'instance. Dans un cas semblable, on peut se demander s'il ne serait pas préférable de transmettre un avis de gestion au lieu de procéder par requête pour être relevé du défaut.