Le BDR peut réviser une ordonnance de confidentialité de l’AMF
Par Elisa Clavier, Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l
par Elisa Clavier
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Est-il est possible de demander la révision d’une ordonnance de confidentialité émise par l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») dans le cadre d’une enquête? La Cour d’appel confirme dans Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC-Lavalin inc. (2013 QCCA 204) que le Bureau de décision et de révision (« BDR ») a compétence pour réviser une ordonnance de confidentialité de l’AMF.
L’AMF dispose d’un large pouvoir d’enquête comme l’a souligné récemment la Cour d’appel dans AMF c. Fournier (2012 QCCA 1179). Dans ce contexte, l’AMF délivre parfois des ordonnances de confidentialité afin d’éviter pour des raisons évidentes que le contenu et les détails d’une enquête soient dévoilés.
C’est ainsi que lors d’une enquête auprès du Groupe SNC-Lavalin (« SNC »), l’AMF a émis une interdiction à SNC de communiquer à quiconque toute information reliée à l’enquête. Après plusieurs échanges, l’AMF a accepté que le chef de la direction, les membres du conseil d’administration et les vérificateurs externes de SNC soient informés. Toutefois, l’AMF a refusé de communiquer aux vérificateurs externes certaines correspondances, ce qui leur empêchait de finaliser les états financiers de SNC à temps.
Vu le risque que ce délai ait un impact sur le cours du titre, SNC a demandé au BDR de réviser l’ordonnance de confidentialité de l’AMF.
Le BDR est un tribunal administratif spécialisé dans le secteur financier qui « voit à préserver la confiance des épargnants envers les marchés financiers, à assurer le bon fonctionnement des marchés et la protection du public et à favoriser l’accès à une information fiable et complète sur les intervenants, les produits et les services financiers offerts ». Il s’agit d’un des aboutissements de la réforme du secteur financier qui a eu lieu au Québec en 2001. Ses pouvoirs se sont élargis depuis pour inclure aussi certains aspects de la distribution de produits et services financiers autres que les valeurs mobilières.
Saisi de la demande de SNC, le BDR a conclu qu’il avait compétence de réviser l’ordonnance et a modifié l’ordonnance de confidentialité vu le risque réel de préjudice par le refus d’informer les vérificateurs du contenu de la demande de renseignements. L’appel de l’AMF à la Cour du Québec a été rejeté.
La Cour d’appel sous la plus de l’honorable Pierre J. Dalphond souligne que l’AMF a le pouvoir d’ordonner et d’encadrer le huis clos d’une enquête, ce qui est nécessaire pour « préserver l’intégrité de l’enquête et éviter que des personnes visées, notamment des émetteurs publics, ne subissent de préjudice ». Ceci étant dit, l’article 322 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1, « L.V.M. ») permet à une personne « directement affectée par une décision rendue par l’AMF » de demander la révision auprès du BDR.
Le débat en appel a donc porté en partie sur la question de savoir si l’émission d’une ordonnance de confidentialité par l’AMF constituait une « décision » au sens de la L.V.M. Le juge Dalphond explique qu’en évitant de définir le terme dans la L.V.M., le législateur a laissé au BDR le pouvoir de préciser son sens et sa portée :
« [48] Le litige se résume ainsi à déterminer l’intention du législateur lorsqu’il utilise le mot décision à l’art. 322 L.V.M. sans par ailleurs le définir.
[49] Il s’agit d’une pure question de droit dont une analyse pragmatique et fonctionnelle démontre que le législateur voulait laisser la réponse au pouvoir décisionnel exclusif du Bureau, organisme spécialisé et indépendant investi du pouvoir de réviser toutes les décisions de l’Autorité. En effet, en choisissant de ne pas définir le mot décision, contrairement aux législations en valeurs mobilières des autres provinces, le législateur voulait manifestement en laisser la précision des contours au Bureau, adoptant ainsi une approche empreinte de la souplesse requise à une bonne application de la L.V.M. »
Par conséquent, en précisant le sens de « décision », le BDR agissait au cœur de sa compétence. Le juge Dalphond applique ainsi la norme de la décision raisonnable et rejette l’appel vu que la décision du BDR faisait partie des issues possibles. En effet, dans les circonstances, la décision du BDR de résoudre le conflit entre l’obligation de huis clos et l’obligation de rendre des états financiers publics en faveur de SNC était raisonnable vu le risque réel de préjudice causé par le refus d’informer les vérificateurs du contenu de la demande de renseignements de l’AMF :
« [65] En somme, le Bureau constate que deux séries d’obligations prévues aux lois encadrant les émetteurs publics s’affrontent. D’une part, il y a l’obligation pour l’Autorité de s’assurer que son enquête se déroule à huis clos (une condition imposée par la L.V.M. au bénéfice, notamment, de l’intimée) et, d’autre part, l’obligation de l’intimée de rendre publics des états financiers vérifiés dans un court délai suivant la fin de son exercice financier (obligation d’information).
[66] En présence d’un tel conflit et de la réelle possibilité d’un grave préjudice à l’intimée et à ses actionnaires advenant un report du dépôt de ses états financiers, le Bureau a conclu en la nécessité d’un équilibrage et, par voie de conséquence, d’un assouplissement à l’ordonnance de confidentialité, ce qui était tout à fait raisonnable. »
Le texte intégral de la décision se retrouve ici.
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