22 Oct 2013

La supervision des droits d’accès du parent non gardien

Par Magdalena Sokol
LaSalle Sokol, avocats

Dans Droit de la famille – 132362 (2013 QCCS 4221), la relation entre les parties, parents d’un enfant âgé d’un an, est difficile et conflictuelle : le comportement agressif et violent de Monsieur envers Madame a mené à des accusations de nature criminelle, voir même à un emprisonnement de 45 jours.  Ainsi, Monsieur devrait-il exercer des droits d’accès supervisés auprès de son enfant?

Les faits
Les parties sont d’origine tunisienne. Monsieur réside au Québec et Madame y émigre en juillet 2011; elle est parrainée par Monsieur, n’a aucune famille au Québec et a de la difficulté à comprendre et à s’exprimer en français. Madame devient enceinte et les relations entre les parties commencent à se détériorer : Monsieur est verbalement et physiquement agressif envers Madame et selon elle, il aurait secoué l’enfant qui est devenu bleu. Le 12 décembre 2012, les parties se séparent : selon Madame, Monsieur l’aurait « jetée » dehors avec l’enfant, la laissant sans aucune ressource, de sorte que les policiers ont dû l’amener dans un centre pour femme violentée. Monsieur a été arrêté par la police, puis mis en liberté sous conditions. Ce n’est pas la première fois que Monsieur a fait face à des accusations de nature criminelle. En effet, il a reconnu une quinzaine de poursuites de nature criminelle.

Le 14 février 2013, une ordonnance intérimaire a été prononcée par laquelle la garde de l’enfant a été confiée à Madame et des droits d’accès supervisés ont été accordés à Monsieur. Le 25 mai 2013, malgré ses conditions de remise en liberté, Monsieur s’est rendu à la résidence familiale dans le but de battre Madame. Par conséquent, il s’est fait arrêter par la police et a dû purger une peine d’emprisonnement de 45 jours. Madame demande la garde exclusive de l’enfant et des droits d’accès supervisés pour Monsieur : elle admet par contre que Monsieur est un bon père s’il est calme. Monsieur demande lui aussi la garde exclusive de l’enfant : il croit que Madame a des problèmes de santé mentale et il est prétend qu’il n’est aucunement violent envers l’enfant.

Analyse
Tout d’abord, le Tribunal (l’honorable juge Johanne Mainville, j.c.s.) rappelle les principaux droits de l’enfant codifiés aux articles 32 et suivants du C.c.Q. et que les décisions doivent se prendre en tenant compte du meilleur intérêt de l’enfant.

Ensuite, le Tribunal rappelle qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de maximiser ses contacts avec ses deux parents et que le parent gardien doit être disposé à faciliter les contacts avec le parent non gardien (art. 16.10 Loi sur le divorce).

Puis, examinant la preuve administrée, le Tribunal retient ce qui suit:  Madame est la figure parentale dominante depuis la naissance de l’enfant, de sorte que la garde lui sera confiée.  Madame n’est pas une femme sous le contrôle et l’emprise de Monsieur : « on dénote chez elle un caractère autoritaire et d’attaque ».  Monsieur, quant à lui, est « violent et s’emporte facilement ».

Cela dit, les droits d’accès de Monsieur auprès de son enfant devraient-ils être supervisés?  Le Tribunal conclut par la négative.

En effet, en ce qui concerne les droits d’accès supervisés du parent non gardien, il faut retenir le principe suivant:

« [59]  Dans cette affaire (Droit de la famille-131461, 750-04-006592-119, 28 mai 2013), ayant à décider s’il y avait lieu de maintenir la garde supervisée, le juge Cullen conclut :

[98] (…), le maintien de contacts raréfiés entre l’enfant et son père dans un cadre institutionnel et règlementé nuit à l’établissement d’une relation normale et pleinement épanouissante entre l’enfant et son père. (…). »

[Notre emphase]

Puis, le Tribunal examine les rapports d’observations des visites supervisées de Monsieur et rappelle que Madame a admis que Monsieur est un bon père s’il est calme :

« [63]  Cela dit, les rapports d’observations des visites supervisées  démontrent que Monsieur est ponctuel à ses rendez-vous, s’occupe bien de l’enfant, est prévenant à son égard et que l’enfant s’amuse avec son père. Madame avance que Monsieur ne fait que jouer la comédie pendant quelques heures, afin de monter son dossier pour la Cour. Toutefois, Madame a admis que Monsieur s’occupait bien de l’enfant lorsqu’il était calme. De plus, lorsqu’elle est allée en Tunisie en 2012, Monsieur a pris seul soin de l’enfant pendant près de deux semaines. Madame fait valoir que Monsieur avait refusé qu’elle voyage avec l’enfant et qu’elle a dû lui donner des instructions par Skype sur les soins à donner à l’enfant sur une base quotidienne. Cependant, il n’y a pas de preuve que l’enfant a été maltraité pendant ces deux semaines de garde. »

Enfin, le Tribunal tient compte du comportement violent de Monsieur et de ses accusations de nature criminelle pour conclure que la sécurité de l’enfant n’est pas compromise :
 

« [64]  Cela dit, par le passé, Monsieur a été accusé de voies de fait à quelques reprises, notamment une fois à l’égard de son ancienne conjointe. De plus, Monsieur n’a pas contredit Madame lorsqu’elle a affirmé qu’il avait battu sa nièce. Toutefois,  l’affirmation de Madame que Monsieur aurait secoué X, elle n’est corroborée par aucun rapport médical, de police ou des services sociaux. Aucun intervenant social ou autre personne n’est venu témoigner à ce sujet.

[65]  Il ne fait aucun doute que la relation entre les parties est malsaine et explosive et qu’elle donne lieu à de la violence physique et verbale de la part de Monsieur, comportement répréhensible et inacceptable. Cependant, le dossier tel que constitué ne permet pas de conclure que la sécurité de l’enfant sera compromise si des droits de garde limités sont accordés à Monsieur. En d’autres mots, le Tribunal estime que la preuve considérée globalement ne nécessite pas de priver Monsieur de rapports avec l’enfant dans un cadre autre qu’institutionnel.

[66]  Il est clair que Monsieur est impatient, lui-même le reconnaît. Il est permis de croire qu’il est possible que Monsieur s’emporte si pour quelques raisons l’enfant fait une crise et n’arrête pas de pleurer. Le Tribunal ne croit pas que l’élastique inséré autour de la tête de l’enfant pour l’obliger à garder sa sucette n’était qu’un jeu. Cependant, le fait que Monsieur et Madame n’aient aucun contact entre eux permettra à Monsieur d’évoluer dans un environnement plus calme, ce qui favorisera l’établissement d’une relation plus normale avec l’enfant.

[67]  Par conséquent, tenant compte de l’ensemble des circonstances, du fait qu’il s’agit des mesures provisoires et qu’il est nécessaire dans un premier temps de rétablir une régularité des contacts entre l’enfant et Monsieur, les accès devront s’exercer de jour seulement à raison de quelques heures par jour. »

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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