13 Nov 2013

La validité d’une entente intervenue entre les parties avant l’institution des procédures judiciaires en divorce

Par Magdalena
Sokol
LaSalle Sokol,
avocats

Les parties auraient réglé le
partage de leurs biens constituant le patrimoine familial et la société
d’acquêts avant l’institution des procédures judiciaires en
divorce. Est-ce qu’il y a eu une entente entre les parties quant au
partage des intérêts financiers? Dans l’affirmative, cette entente
est-elle valide? Voici les principales questions sur lesquelles la Cour
d’appel devait se prononcer dans
Droit de la famille-133021
(2013 QCCA 1869).

Les
faits

Les parties se
sont mariées le 20 juin 1992 sous le régime matrimonial de la société d’acquêts
et ont eu deux enfants respectivement âgés de 17 ans et 16 ans. Pendant
les mois qui ont suivi leur séparation en février 2010 et avant l’institution
des procédures judiciaires en divorce en août 2010, les parties ont eu des
discussions quant au partage de leurs intérêts financiers. Madame a refusé
de conserver la résidence familiale, préférant acheter à un prix avantageux une
nouvelle résidence appartenant à un ami du couple qui a été récemment rénovée
par Monsieur, menuisier de profession. Ainsi, le 6 avril 2010, Madame a
signé une promesse d’achat sur sa nouvelle résidence. Le 22 avril 2010,
elle a fait une demande de crédit auprès de son institution financière. Le
30 avril 2010, Madame a cédé à Monsieur, sans contrepartie, sa moitié indivise
dans la résidence familiale et le terrain adjacent par acte notarié; le jour
même, elle a quitté la résidence familiale et les parties ont officiellement
cessé de faire vie commune. Le 7 mai 2010, Madame a signé l’acte d’achat
de sa nouvelle résidence : le prix d’achat étant de 90 000 $ incluant 10 000 $
de meubles (alors que l’évaluatrice agrée mandatée par l’institution financière
de Madame l’a évaluée à 120 000 $). Après le 30 avril 2010, les parties
ont continué leurs discussions quant au partage de leurs
biens. Finalement, au mois d’août 2010, Madame a institué des procédures judiciaires
en divorce niant l’existence d’une entente quelconque intervenue entre les
parties.

Première instance
Le 23 mai 2012, l’honorable Marc St-Pierre, j.s.c., a entériné l’entente
des parties : il n’a pas cru Madame notamment parce qu’il ne voyait aucune
autre explication à la cession de la moitié indivise de la résidence familiale
et du terrain adjacent survenue le 30 avril 2010 par acte notarié.

Analyse

Madame se pourvoit en
appel.  Elle prétend que le juge de première instance a erré en concluant à l’existence
d’une entente entre les parties sur le partage du patrimoine familial et de la
société d’acquêts. Subsidiairement, elle prétend que cette entente n’est
pas valide. Le 4 novembre 2013, la Cour d’appel, à l’unanimité, a rejeté
l’appel de Madame.

L’existence d’une entente entre les parties

Cette question soulevée par
Madame est une question de fait et elle n’a pas réussi à prouver une erreur
manifeste et dominante justifiant l’intervention de la Cour d’appel :
l’ensemble des gestes posés par les parties au moment de leur séparation
visaient à exécuter leur entente sur le partage des intérêts financiers:

« [28]  Il faut se rappeler que l’intimé
avait offert à l’appelante de conserver la résidence familiale, mais qu’elle
avait refusé. L’intimé a donc conservé cette résidence (d’une valeur de
241 000 $) tout en assumant la totalité des dettes afférentes à cette
propriété (soit 203 598,08 $).

[29] Lors de son contre-interrogatoire,
l’appelante a dit qu’elle savait, au moment de la signature du contrat de
donation, que son conjoint assumerait ces dettes. Il ressort également de son
témoignage qu’il y a eu des discussions par rapport au partage des biens et des
dettes avant de rencontrer le notaire, lors de la rencontre avec la représentante
de l’institution financière ainsi qu’en compagnie des enfants.

[30] Contrairement
à ce que prétend l’appelante, le témoignage de la représentante de
l’institution financière ne corrobore aucunement sa prétention voulant que la
donation ait été faite pour lui permettre d’obtenir du financement en vue de
l’achat d’une maison. »

La validité de l’entente des parties

Tout d’abord, Madame plaide que
l’entente entre les parties était conclue avant l’institution des procédures en
divorce, de sorte que le juge de première instance ne pouvait l’entériner et
elle était en droit de la répudier en tout temps. La Cour d’appel est
d’avis que cet argument est mal fondé. En effet, lors d’une séparation, il
est souhaitable que les parties s’entendent entre elles pour régler les
intérêts financiers; ces ententes sont possibles dans la mesure où elles
respectent la Loi.  En l’espèce, l’entente des parties respecte la Loi :

« [37]  Ces ententes, qu’elles soient
formelles ou informelles, ne sont toutefois possibles que si elles
« demeurent à l’intérieur des paramètres imposés par la loi »,
y compris donc l’obligation de ne pas déroger aux dispositions du chapitre du Code
civil du Québec
traitant des effets du mariage (art. 391 C.c.Q.).

[38] Ainsi, les parties ne pourront pas
renoncer à l’avance à leurs droits dans le patrimoine familial (art. 423
C.c.Q.).

            […]       

[40]  En l’espèce, les parties pouvaient
transiger sur ce que serait le partage de leurs biens après avoir décidé de
mettre fin à leur mariage. Elles ont expliqué que leur décision de se séparer
datait de la fin du mois de janvier ou du début du mois de février et que leurs
discussions subséquentes visaient à établir les modalités de leur séparation.
La demande en divorce n’a été déposée qu’au mois d’août, mais dès le
30 avril 2010 les parties faisaient inscrire au contrat de donation que
« des procédures en divorce [avaient] été entreprises ». Le moment de
la conclusion de l’entente de partage ne pose donc pas de problème. »

De plus, Madame plaide le
caractère hautement lésionnaire de l’entente des parties alors que la Cour
d’appel est plutôt d’avis que cette entente a permis aux deux parties de
bénéficier plus que ce qu’elles auraient reçu si le partage des biens avaient
été fait conformément à la Loi :

« [48] Le seul fait qu’une entente puisse être, à
première vue, économiquement désavantageuse pour l’une des parties est
insuffisant pour entraîner l’annulation de la convention. […]         

[…] 

[50] En l’espèce, la valeur partageable du
patrimoine familial, selon les règles décrites aux articles 416 à 418 C.c.Q.,
s’élevait à 114 521,47 $ :

Résidence
familiale et terrain
adjacent :                              
37 401,92 $
Véhicules :                                                                               
14 153,90 $
Régimes
de retraite
(REER) :                                           
    62 965,65 $
                                                                                                
114 521,47 $

[51] À défaut d’entente, les parties auraient
donc dû recevoir chacune la somme de 57 260,73 $. En réalité,
l’entente de partage fait en sorte que l’intimé conserve la totalité de la
valeur nette de la résidence familiale, son véhicule automobile et son régime
de retraite, pour une valeur totale de 94 862,93 $. Pour sa part,
l’appelante conserve son véhicule automobile et son régime de retraite (une
valeur de 19 658,54 $), tout en ayant bénéficié d’un substantiel
rabais sur l’achat de sa nouvelle maison (environ 40 000 $), auquel
s’ajoute la valeur des travaux de rénovation effectués par l’intimé après la fin
de la vie commune. La valeur de ces travaux n’a pas été établie avec précision,
mais, de toute évidence, il s’agissait de travaux relativement importants si
l’on se fie à la liste produite par l’intimé au procès.

[52]  À partir de ces données, et surtout
en raison du prix avantageux auquel l’appelante a pu acquérir sa nouvelle
maison, il faut conclure que l’entente de partage a permis aux deux parties
d’avoir plus que ce qu’elles auraient reçu si le partage avait été fait
conformément à la loi. Il est clair que l’intimé a reçu considérablement plus
(94 862,93 $) que ce qu’il aurait reçu autrement
(57 260,73 $), ce que l’on ne peut pas dire avec autant d’assurance
en ce qui a trait à l’appelante vu l’impossibilité de chiffrer avec précision
la valeur des travaux effectués par l’intimé. »

Par conséquent, la Cour d’appel a conclu à l’existence d’une
entente entre les parties et à sa validité.

Le texte intégral de
la décision est disponible ici.

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