par
Annie Marquis
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10 Fév 2014

La difficulté de trouver un nouvel emploi similaire : critère essentiel à l’octroi d’un délai-congé en vertu de 2091 C.c.Q.

Par Annie Marquis

Par Annie Marquis

Dans Grégoire c. Industrie Beco, s.e.c., la Cour du Québec, division des Petites créances, confirme que le facteur le plus important à considérer pour octroyer une indemnité à titre de délai-congé en vertu de l’article 2091 C.c.Q. est la difficulté pour le licencié de se trouver un nouvel emploi similaire. Le juge accueille en partie la requête pour le demandeur, M. Grégoire, mais rejette celle de M. Désir.

Faits
Beco Industries, éprouvant des difficultés financières, a licencié plusieurs employés en 2009, dont les demandeurs. Ces derniers ont obtenu un préavis de 8 semaines comme le prévoit l’article 82 de la Loi sur les normes du travail. Les demandeurs estiment que le préavis accordé n’est pas suffisamment long et introduisent donc un recours en vertu de l’article 2091 C.c.Q. :

« 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé. 

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. »

La situation du demandeur M. Grégoire
M. Grégoire, embauché en 1994 à titre de journalier, a occupé la position de contremaître dès 2001. Quelques jours avant d’obtenir le préavis pour la terminaison de son emploi, il a été rétrogradé au statut d’opérateur de chariot élévateur. Le demandeur blâme son employeur d’avoir utilisé ce prétexte pour éviter de devoir payer un délai-congé supérieur à 8 semaines comme le prévoit une politique de l’entreprise en cas de licenciement d’un contremaître.

La situation du demandeur M. Désir
M. Désir était à l’emploi de Beco Industries depuis 1998 et travaillait comme opérateur de chariot élévateur au moment du licenciement. Le demandeur réclame un délai-congé de onze semaines de salaire pour ses onze ans de services.

Analyse
Le tribunal détermine que le délai-congé prévu à l’article 82 LNT ne prive pas le salarié de se prévaloir de l’article 2091 C.c.Q. Le juge souligne également qu’il est bien établi par la jurisprudence et la doctrine que la situation économique difficile de l’entreprise ne peut faire obstacle au recours des demandeurs pour un délai-congé en vertu du même article.

La réclamation du demandeur M. Grégoire
Le demandeur était contremaître depuis huit ans et comptait quinze années de service au sein de l’entreprise. Le Tribunal convient que la rétrogradation s’agissait d’un subterfuge afin de faire perdre à M. Grégoire son délai-congé à titre de contremaître. Pour déterminer la durée du délai-congé qui devait être accordé, le Tribunal se rapporte aux principes dictés par la jurisprudence et la doctrine :

« [58] Dans l’ouvrage Le congédiement en droit québécois, les auteurs Audet, Bonhomme, Gascon et Cournoyer-Proulx résument les facteurs qui sont retenus par la jurisprudence pour calculer le délai-congé raisonnable :
[…]

5.2.5 En résumé, à moins de circonstances exceptionnelles, les facteurs les plus importants demeurent les suivants: l’importance et la nature de l’emploi, le nombre d’années de service, l’âge de l’employé, les circonstances de l’engagement et le fait d’avoir quitté un emploi certain et rémunérateur.

Soulignements ajoutés »

En appliquant ces critères au cas du demandeur, le tribunal conclut que le délai-congé accordé par la défenderesse était insuffisant :

« [67] Tenant compte de tous ces éléments, le Tribunal estime que le préavis de huit (8) semaines qui a été accordé au demandeur ne constitue pas un délai-congé suffisant et estime raisonnable d’arbitrer à quinze (15) semaines le délai-congé auquel M. Grégoire a droit en sus des huit (8) semaines de préavis de licenciement. »

La réclamation du demandeur M. Désir

L’interprétation de la jurisprudence quant au recours de 2091 C.c.Q. distingue l’employé occupant un poste de cadre de l’employé non-cadre :

« [75] Bien que l’article 82 LNT établisse une distinction entre l’employé cadre et non-cadre et que le libellé de l’article 2091 C.c.Q. n’établit pas une telle distinction, force est de constater que selon l’interprétation qui se dégage de la jurisprudence, la règle générale tend vers le principe que l’employé non-cadre ne bénéficie que du délai de congé prévu à l’article 82 LNT et que l’employé cadre recevant l’indemnité de préavis de l’article 82 LNT peut aussi réclamer un délai-congé raisonnable en vertu de l’article 2091 C.c.Q. »

La Cour d’appel, dans Domtar Inc. v. St-Germain explique cette distinction :

« Rank or status are relevant only insofar as they may indicate the degree of difficulty that discharged employees would likely have in finding comparable work. It is not their social prestige or authority as such that determines the length of notice. If those higher on the employment ladder generally receive longer notice, it is because their work is usually, but not invariably, harder to replace. »

Par contre, le fait d’être non-cadre ne prive pas automatiquement le salarié d’un recours pour un délai-congé en vertu de l’article 2091 C.c.Q.

Le Tribunal conclut donc que l’absence de difficulté de M. Désir de se trouver un emploi identique ou similaire ne milite pas en faveur de l’octroi d’un délai de congé fondé sur 2091 C.c.Q. en addition avec l’indemnité de l’article 82 LNT.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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