Preuve testimoniale permise pour établir l’existence d’un contrat intervenu entre les membres d’une même famille
Par Marie-Hélène Beaudoin, avocate
Par Sarah D. Pinsonnault
Dans Beaudoin c. Beaudoin, 2013 QCCS 7084, le demandeur (« l’intimé » en l’espèce) recherche, entre autres, d’être déclaré propriétaire d’une fermette achetée par sa défunte mère qui agissait à titre de prête-nom pour lui. Cette demande est intentée contre les liquidateurs de la succession de sa mère. N’ayant pas de preuve écrite pour étayer l’existence dudit contrat de prête-nom, le juge de première instance permet à l’intime de présenter une preuve testimoniale conformément à l’article 2861 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Un des défendeurs (« l’appelant » en l’espèce) s’objecte en alléguant l’irrecevabilité, en vertu de l’article 2863 C.c.Q., d’une preuve testimoniale pour contredire un acte authentique, soit l’acte notarié en question qui indiquait que la mère était propriétaire de la fermette. Ultimement, la Cour supérieure donne raison à l’intimé et le déclare véritable propriétaire de la fermette. La Cour d’appel, dans Beaudoin c. Beaudoin, 2014 QCCA 2039, ne voit pas d’erreur révisable commise par le juge de première instance à cet égard. En fait, la Cour d’appel réaffirme l’utilisation de l’exception à la preuve testimoniale prévue à l’article 2861 C.c.Q. dans des situations comme celle-ci, où les liens familiaux, d’amitié ou de confiance expliquent pourquoi les parties n’ont pas voulu formaliser un acte juridique au moyen d’une preuve écrite.
Contexte
En première instance, l’honorable Jean-Guy Dubois, j.c.s., souligne, en s’appuyant sur certaines décisions jurisprudentielles, qu’il y existe une différence entre la tentative de prouver la fausseté d’un acte authentique versus celle de prouver, de façon parallèle, l’existence d’une autre entente qui lie les parties, tel qu’un contrat de prête-nom. La preuve de ce dernier ne sert pas à contredire les termes de l’acte juridique constaté par écrit, mais plutôt à établir un contrat additionnel aux termes duquel la partie agit au bénéfice d’un tiers en vertu d’un contrat de prête-nom. Par conséquent, le juge Dubois rejette l’objection formulée par l’appelant et déclare que l’article 2863 C.c.Q. n’empêche pas l’intimé de prouver par témoignage le contrat de prête-nom intervenu entre lui et sa défunte mère.
Ensuite, en considérant l’ensemble de la preuve, le juge Dubois en vient à la conclusion que l’intimé est le véritable propriétaire de la fermette :
« [292] Il n’est pas nécessaire qu’un contrat de prête-nom soit par écrit, il peut être verbal. Évidemment ce contrat de prête-nom n’a d’effet qu’entre les parties.
[293] Il est clair de la preuve que les parties ont des visions différentes de ce qui s’est passé lors de l’acquisition de la fermette en 1991.
[294] Il faut donc regarder l’ensemble de la preuve et les faits et gestes de madame Huguette Duquette et de Marco Beaudoin en 1991-1992 et les années subséquentes.
[…]
[350] Au départ il faut se dire que vis-à-vis les tiers, effectivement par la voie des enregistrements, c’est définitivement madame Huguette Duquette qui est enregistrée comme propriétaire.
[351] Cependant il ne faut pas oublier que l’ensemble de la preuve aussi amène le Tribunal à établir un parallèle fort important avec un élément qui est le suivant à savoir que dans l’ensemble de la preuve venant du demandeur et corroborée par certains de ses témoins, madame Huguette Duquette disait que la maison ou l’immeuble reviendrait à son fils Marco.
[352] Vis-à-vis des tiers comme dit précédemment, c’est un élément important mais cela n’empêche pas qu’il y ait une entente entre les parties soit madame Huguette Duquette et son fils Marco qui a été, selon le Tribunal, établi verbalement.
[353] Il n’y a pas eu de papiers qui ont été faits et cela va dans le sens qui relève des dispositions du Code civil c’est-à-dire que moralement il n’était pas nécessaire pour les parties de faire un acte écrit dû au fait que nous sommes dans la même famille c’est-à-dire une mère et son fils et cette entente a été faite verbalement.
[…]
[364] Avec l’ensemble de la preuve analysée et les éléments qui pris isolément mais juxtaposés globalement, concordent, Marco Beaudoin est le propriétaire de l’immeuble de Lefebvre.
[365] Il faut donc déclarer que l’acte d’achat de 1991 est définitivement un acte simulé parce que le véritable propriétaire ce n’est pas madame Huguette Duquette.»
Décision
La Cour d’appel confirme l’admissibilité d’une preuve testimoniale pour prouver l’existence du contrat de prête-nom en l’espèce, notamment en raison des liens familiaux existants entre les parties :
« [4] Le juge devait déterminer si la preuve testimoniale était admissible pour prouver l’entente entre l’intimé et sa mère quant à la propriété de la fermette malgré le titre de propriété détenu par celle-ci. Il a conclu qu’il y avait lieu de l’admettre, notamment en raison de la nature des relations familiales et à la lumière de l’ensemble des indices que révélait la preuve. Le juge écrit d’ailleurs, au paragraphe 353 de son jugement, « Il n’y a pas eu de papiers qui ont été faits et cela va dans le sens qui relève des dispositions du Code civil c’est-à-dire que moralement il n’était pas nécessaire pour les parties de faire un acte écrit dû au fait que nous sommes dans la même famille c’est-à-dire une mère et son fils et cette entente a été faite verbalement°». Ainsi, il applique l’article 2861 C.C.Q. (ou anciennement l’article 1233 (5) C.C.B.C.). Or, l’appelant ne nous convainc pas que le juge a commis, ce faisant, une erreur révisable. »
L’appel est donc rejeté.
Le texte intégral de l’arrêt de la Cour d’appel est disponible ici.
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