par
Audrey-Anne Guay
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01 Sep 2015

Retour sur la notion de fait « pertinent »

Par Audrey-Anne Guay

Par Audrey-Anne Guay

Dans l’affaire Entreprise T.R.A.(2011) inc. et, c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCS 3938, le Tribunal doit se pencher sur la pertinence de certains faits allégués dans le cadre d’une demande de radiation d’allégations et de retrait d’une pièce. Cette demande est un moyen préliminaire avant défense soulevé par la Défenderesse dans le cadre de la requête introductive d’instance des Demanderesses. La notion de pertinence revient dans les deux articles de lois applicables en l’espèce. La demande en radiation d’allégations se retrouve à l’article 168 alinéa 2 du Code de procédure civile :

« Le défendeur peut, de même, demander la radiation d’allégations non pertinentes, superflues ou calomnieuses. » [notre emphase]

L’article 2857 du Code civil du Québec, quant à lui, établit que la preuve de tout fait pertinent au litige est recevable et peut être faite par tout moyen. Comment le Tribunal doit-il interpréter cette notion?
Contexte
La demanderesse Entreprises T.R.A. (2011) inc., ci-après « T.R.A. », a exécuté un contrat pour la Défenderesse (Ministère des transports) et s’est vu remettre un rapport de rendement insatisfaisant en application de l’article 8 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics. T.R.A a demandé une réévaluation, laquelle est prévue au même règlement, mais sans succès. Elle a donc déposé une requête en dommages, affirmant qu’elle n’était pas en mesure de connaître les critères sur lesquels se base l’évaluation du ministère et que le processus tenu par la Défenderesse était partiel et subjectif. Dans cette requête, T.R.A. met en preuve plusieurs rapports de rendement satisfaisant lui ayant été remis par la Défenderesse dans le cadre de contrats conclus préalablement au contrat visé par le rapport de rendement insatisfaisant. 

La Défenderesse soutient que ces contrats antérieurs et les rapports soumis en preuve ne sont pas pertinents dans le litige actuel. Voilà pourquoi elle demande la radiation de ces allégations relatives aux contrats et le retrait des huit rapports antérieurs déposés en preuve.

L’analyse
Le Tribunal se réfère à la doctrine et à un jugement de la Cour d’appel pour établir son argumentaire en matière de pertinence.

« [10] Dans son ouvrage sur la preuve civile, le professeur Royer définit la pertinence comme suit :

Dans un procès civil, un fait est pertinent lorsqu’il tend à établir l’existence ou non d’un droit réclamé. La notion de pertinence s’apprécie par rapport à l’obligation des parties de faire la preuve de l’ensemble des éléments sur lesquels repose la réclamation. Un fait est notamment pertinent s’il s’agit d’un fait en litige, s’il contribue à prouver d’une façon rationnelle un fait en litige ou s’il a pour but d’aider le tribunal à apprécier la force probante d’un témoignage.

[11] Il est bien établi que le juge saisi, à plus forte raison à un stade aussi préliminaire, d’une requête en radiation d’allégations et retrait de pièces, doit agir avec grande prudence avant d’y donner suite.

[12] Dans l’arrêt Desmarteau c. Ontario Lottery and Gaming Corporation, la Cour d’appel rappelle que la prudence commande qu’en cas de doute, celui-ci doit jouer en faveur du maintien de l’allégation :

[32] En raison de cette méprise sur la jurisprudence applicable, le juge omet de tenir compte des enseignements de la Cour en matière de radiation d’allégations à un stade préliminaire comme ici. Ces enseignements rappellent que 1) la prudence est le mot d’ordre avant de procéder à de telles radiations, 2) il faut donner le bénéfice du doute à l’allégation dont la pertinence est contestée au stade d’une requête en radiation et 3) la radiation, faute de pertinence, ne s’accorde que dans les cas les plus évidents.

[13] En l’espèce, T.R.A. allègue avoir effectué plusieurs contrats pour la défenderesse avant celui faisant l’objet du litige.

[14] Dans le cadre de l’argumentation qu’elle entend faire valoir, ce fait est certainement pertinent pour établir sa connaissance ou non des critères applicables en matière de rendement.

[15] À cette étape des procédures, avant même la production de la défense et la tenue des interrogatoires, le Tribunal ne peut conclure à la non-pertinence des allégations visées par le défendeur. » [Références omises]

Le Tribunal en vient donc à la conclusion qu’il est préférable d’agir avec prudence et de rejeter la demande de radiation d’allégations et retrait de pièce. Il sera toujours temps de les déclarer non pertinents dans le cadre du jugement de fond. 
La décision intégrale est disponible ici.
 

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