Bien meuble ou immeuble? Le cas d’une usine pouvant être transportée
Par Francis Hemmings, Hemmings avocat inc.
Par Francis Hemmings
Hemmings avocat inc.
Dans le jugement Placements SCP (Séquestre de) et Lemieux Nolay inc., 2015 QCCS 6021, la Cour supérieure détermine qui a des droits sur les pièces d’une usine récemment transportée, selon la nature mobilière ou immobilière des pièces. L’analyse du tribunal des trois critères pour déterminer s’il y a eu adhésion immobilière au sens de l’article 900 C.c.Q. est intéressante.
Contexte
Dans cette affaire, un entrepreneur (« Entrepreneur ») contrôlant un groupe d’entreprises désire construire une usine de bitume. L’Entrepreneur se tourne vers la Banque Royale du Canada (« Banque ») qui finance ses entreprises existantes, afin d’obtenir du financement. Le financement déjà octroyé par la Banque est sécurisé à l’aide de cautionnements et d’hypothèques mobilières. La Banque refuse de financer l’usine de bitume, estimant que le groupe d’entreprises n’a pas les reins assez solides pour soutenir ce projet.
L’Entrepreneur se tourne vers d’autres pour obtenir un financement. Capital Transit (« Capital ») octroie un financement en échange d’une hypothèque mobilière sur l’universalité des biens et des équipements. Par la suite, la Banque de développement du Canada (« BDC ») finance le projet d’usine et obtient en échange une hypothèque immobilière sur le projet d’usine.
En raison de problèmes de liquidité, Lemieux Nolet (« Séquestre ») est nommé à titre de séquestre en 2014. Au coeur du dossier se trouve la question de la caractérisation de l’usine de bitume comme bien mobilier ou immobilier. Cette usine de bitume a été achetée, démantelée et transportée jusqu’au site de construction. Voici comme le tribunal expose la principale question posée par la présente affaire :
« [43] Étant donné que la Banque Royale détient une hypothèque mobilière sur les actifs corporels futurs de Location GPC, datée du 29 juin 2012, la question essentielle est de savoir si les composantes de l’usine de bitume sont un bien meuble qui peut être revendiqué par la Banque Royale.
[44] Par contre, si les composantes de l’usine sont un bien immeuble, c’est la Banque de développement du Canada qui détient des droits sur celles-ci en vertu de son hypothèque sur les actifs immobiliers de Placements SCP, datée du 6 septembre 2013. » [Nos soulignements] [Références omises]
Décision
En premier lieu, le tribunal rappelle que l’immobilisation d’un bien meuble peut être faite de trois façons : (1) par adhérence (900 C.c.Q.), (2) par intégration (901 C.c.Q.) et (3) par attache (903 C.c.Q.). Pour le tribunal et les parties, il ne fait aucun doute que l’usine ne peut être considérée comme un bien par intégration.
Le tribunal décide ensuite de déterminer si l’usine a été immobilisée par adhérence. Voici les critères applicables pour déterminer si un bien a été immobilisé par adhérence :
« [55] Ces précisons historiques étant faites, les critères d’immobilisation par adhérence sous le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec sont les suivants : (1) la présence d’une construction ou d’un ouvrage; (2) l’adhérence au sol; et (3) le caractère permanent de la construction ou de l’ouvrage.
[56] Ces trois critères d’immobilisation par adhérence sont les seuls applicables et la notion d’utilité de la construction ou de l’ouvrage à l’immeuble n’est pas pertinente. » [Nos soulignements] [Références omises]
Il ne fait pas de doute pour le tribunal que l’usine déplacée soit une construction ou un ouvrage. Voici les termes utilisés pour décrire son analyse du premier critère :
« [60] Le terme « construction » signifie tout ce qui est construit par intervention humaine, qu’il s’agisse d’une construction habitable ou non. Un « ouvrage » est une construction ou un gros oeuvre de plus grande importance, tel un pont ou un ouvrage de distribution d’eau. » [Références omises]
L’adhérence au sol ne fait aucun doute également. En effet, une importante dalle de ciment a été spécifiquement conçue pour le site actuel de l’usine. Bien que les composantes de l’usine puissent être démantelées et transportées ailleurs, leur adhésion à la dalle de béton satisfait le critère d’adhésion au sol. La masse des pièces et la fixation à des ancrages militent en faveur de cette interprétation. Voici les propos du tribunal sur la notion d’adhérence :
« [63] La notion d’adhérence réfère à la composante physique de l’immobilisation sous le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec. Pour satisfaire à ce critère, il faut que la construction ou l’ouvrage rejoigne le sol et fasse corps avec lui, acquérant ainsi un caractère de stabilité.
[64] La construction ou l’ouvrage doit être immobilisé ou uni au sol avec un caractère de permanence, soit en raison de sa masse considérable, ou encore s’il est ancré ou matériellement attaché au sol.
[65] L’adhérence requiert un lien physique fort et durable entre la construction ou l’ouvrage et le fonds de terre. Comme le précise la Cour suprême dans Cablevision (Montréal) Inc. c. Sous-ministre du Revenu (Qué.), le critère d’immobilisation est satisfait quand un ouvrage adhère à un fonds de terre et acquiert une assiette fixe (« a fixed foundation »). »
[66] Il n’est cependant pas requis que la construction ou l’ouvrage soit incorporé ou intégré au sol pour que l’immobilisation par adhérence puisse s’effectuer. » [Références omises]
Quant au critère de la permanence de l’immobilisation, l’intention de l’Entrepreneur d’opérer l’usine ne fait aucun doute. Par conséquent, le caractère permanent de l’immobilisation est satisfait. Voici les propos du tribunal sur ce critère :
« [73] Le troisième critère de l’immobilisation par adhérence réfère à son caractère temporel. Il doit s’agir d’une immobilisation «à caractère permanent». La notion de permanence implique un lien durable et indéfini, par opposition à une adhérence passagère ou accidentelle. » [Références omises]
Pour conclure, le tribunal estime que l’usine est un bien immeuble. Cette conclusion a pour conséquence de confirmer les droits de la BDC sur les pièces.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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