MUNICIPAL (DROIT) : Le droit au désenclavement prévu à l’article 997 C.C.Q. a pour effet de rendre inopérante la réglementation municipale qui interdit l’aménagement du droit de passage réclamé par les demandeurs, pour autant que les fonds de ces derniers soient effectivement enclavés, ce qui devra être déterminé par le juge du fond.
2016EXP-1064
Intitulé : Teasdale c. Lac-Tremblant-Nord (Municipalité de), 2016 QCCS 854
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Terrebonne (Saint-Jérôme), 700-17-012017-157
Décision de : Juge Serge Gaudet
Date : 26 février 2016
Références : SOQUIJ AZ-51260250, 2016EXP-1064, J.E. 2016-570 (13 pages)
Résumé
MUNICIPAL (DROIT) — règlement — accès à la voie publique — enclave — droit de passage — prohibition générale — compatibilité du règlement avec la législation provinciale — article 997 C.C.Q. — ordre public — conflit de lois — recours en inopposabilité — moyen de non-recevabilité — délai raisonnable.
INTERPRÉTATION DES LOIS — conflit de lois — Code civil du Québec — enclave — accès à la voie publique — droit de passage — règlement municipal — prohibition générale — prépondérance de la loi provinciale.
BIENS ET PROPRIÉTÉ — servitude — droit de passage — enclave — accès par bateau seulement — règlement municipal — prohibition générale — compatibilité du règlement avec la législation provinciale — article 997 C.C.Q. — ordre public — conflit de lois — recours en inopposabilité — moyen de non-recevabilité — délai raisonnable.
PROCÉDURE CIVILE — moyens préliminaires — moyen de non-recevabilité — fondement juridique — recours en inopposabilité — règlement municipal — prohibition générale — droit de passage — accès à la voie publique — enclave — compatibilité du règlement avec la législation provinciale — article 997 C.C.Q. — ordre public — conflit de lois — délai raisonnable.
Requêtes en irrecevabilité et en rejet pour absence de fondement juridique. Rejetées.
Les demandeurs, qui sont propriétaires de fonds riverains situés sur le territoire de la municipalité défenderesse, doivent accéder à leurs terrains par bateau. Alléguant que l’accès à leurs fonds par le lac est impossible en période de gel et de dégel ou encore périlleux compte tenu des longues distances à parcourir et des conditions climatiques parfois difficiles sur ce plan d’eau, les demandeurs réclament aux défendeurs un droit de passage qui permettrait de relier leurs fonds à la voie publique par voie terrestre. Cette demande est fondée sur l’article 997 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Étant donné que la réglementation municipale empêche la construction d’un chemin à moins de 244 mètres de la rive du lac Tremblant et interdit l’accès véhiculaire sur les terrains eux-mêmes, les demandeurs requièrent que les dispositions réglementaires qui ont pour effet de leur nier le droit de passage réclamé soient déclarées inapplicables ou inopposables à leur égard. La municipalité et certains des défendeurs ont présenté une requête en irrecevabilité à l’encontre du présent recours. Ils prétendent que celui-ci n’est pas fondé en droit, car les demandeurs n’ont pas attaqué les règlements municipaux en cause dans un délai raisonnable et les motifs invoqués par ces derniers pour conclure à l’inapplicabilité et à l’inopposabilité de ces règlements ne sont pas fondés en droit.
Décision
Dans la hiérarchie des normes juridiques, la loi a préséance sur le règlement (sauf dans les cas exceptionnels où la loi habilitante confère expressément ou par implication nécessaire à un règlement le pouvoir de déroger à la loi). Le législateur a d’ailleurs confirmé ce principe à l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales, lequel prévoit que la réglementation municipale est subordonnée aux lois (et même à certains types de règlements). Pour sa part, l’article 61 paragraphe 10 de la Loi d’interprétation édicte que le mot «loi», sans autre qualificatif, vise les «actes, statuts ou lois du Parlement», ce qui comprend le Code civil du Québec. En outre, le tribunal ne peut accepter l’idée que le législateur québécois, lorsqu’il a adopté l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales, aurait omis de penser à exclure une loi aussi importante, voire fondamentale, que le Code civil du Québec. Or, les règlements adoptés par une municipalité sont en principe inopérants s’ils sont inconciliables avec une loi provinciale valide. Il doit cependant y avoir un «conflit réel et direct» entre les deux dispositions. Le critère à remplir est celui de l’impossibilité de respecter en même temps les deux normes, ce qui est le cas en l’espèce. En effet, le propriétaire du fonds enclavé est en droit d’exiger qu’on lui fournisse un droit de passage, alors que la réglementation municipale interdit de le lui fournir. Puisqu’ils entrent ainsi en conflit avec une loi provinciale valide, soit l’article 997 C.C.Q., les règlements municipaux en cause, dans la mesure de ce conflit, sont inopérants. La prépondérance du droit prévu à l’article 997 C.C.Q. sur la réglementation municipale en cause semble d’autant plus claire que le droit au désenclavement n’est pas une simple disposition de droit supplétif mais bien une disposition d’ordre public. D’ailleurs, l’article 68 de la Loi sur les compétences municipales établit que le pouvoir des municipalités de réglementer l’accès à une voie publique ne doit pas avoir pour effet d’enclaver un immeuble. En conséquence, l’existence des règlements municipaux en cause ne saurait en elle-même faire échec au droit de passage réclamé, si tant est que les fonds des demandeurs soient effectivement enclavés, question qui devra être tranchée par le juge du fond. Les requêtes des défendeurs sont donc rejetées. Au surplus, le caractère inopérant des règlements, advenant qu’il y ait enclave, ne découlerait pas de l’exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire de surveillance, mais plutôt de l’application du principe de la prépondérance d’une loi provinciale valide face à un règlement municipal qui entre directement en conflit avec elle. Or, un règlement inconciliable avec une loi provinciale ne cesse pas de l’être et ne devient pas opérationnel au motif que le demandeur aurait tardé à souligner l’incompatibilité des deux normes. La question du délai à invoquer la nullité ou l’inopposabilité des règlements n’a alors aucune pertinence.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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