Retour sur la notion de résidence habituelle de l’enfant
Par Émilie Gonthier
Par Émilie Gonthier
Dans le contexte où une mère, à la suite de l’intervention des services à l’enfance, quitte le domicile familial, situé en Colombie-Britannique, pour s’installer au Québec, les tribunaux de quelle province auront compétence afin de statuer sur la garde des enfants ? C’est la question à laquelle la Cour d’appel du Québec, dans son jugement Droit de la famille-16774, 2016 QCCA 565, vient répondre.
Les faits
Les parties font vie commune pendant une quinzaine d’années en Colombie-Britannique et sont parents de deux enfants, nés en 2006 et 2009. En février 2015, l’appelant, ayant probablement des problèmes de santé mentale, se désorganise et devient violent et dangereux. Les services à l’enfance de Colombie-Britannique interviennent et indiquent à la mère que les enfants doivent quitter la résidence familiale, sinon ils devront être retirés du domicile. Dans un premier temps, la mère s’enfuit vers l’Ontario, où le père réussit à la rattraper. À la suite de l’intervention des policiers, elle réussit à se rendre à la Ville A, ou elle s’installe avec ses enfants.
Le jugement de la Cour supérieure du Québec
En mars 2015, la Cour supérieure du Québec octroyait la garde des enfants à l’intimée dans le cadre d’une ordonnance de sauvegarde. En juillet 2015, l’appelant présentait un moyen déclinatoire. Il plaidait que puisque la résidence habituelle des enfants, en application des articles 80, 3093 et 3142 du Code civil du Québec, se trouvait encore en Colombie-Britannique, seuls les tribunaux de cette province avaient compétence pour statuer sur la garde des enfants.
Le juge rejette les prétentions de l’appelant relativement à l’absence de compétence de la Cour supérieure du Québec. Il explique sa décision par le fait que puisque l’intimée a du déménager pour assurer la sécurité de ses enfants, son déménagement était tout à fait licite. Ainsi, les enfants étant domiciliés licitement au Québec, ce sont les tribunaux de cette province qui sont compétents.
Analyse
Afin d’être en mesure d’affirmer laquelle, de la Supreme Court de Colombie-Britannique ou de la Cour supérieure du Québec, a compétence pour statuer sur la garde des enfants, la Cour d’appel doit déterminer juridiquement le lieu de résidence habituelle des enfants, en application des articles 80, 3093 et 3142 du Code civil du Québec.
80. Le mineur non émancipé à son domicile chez son tuteur.
Lorsque les pères et mères exercent la tutelle mais n’ont pas de domicile commun, le mineur est présumé domicilie chez celui de ses parents avec lequel il réside habituellement, à moins que le tribunal n’ait autrement fixe le domicile de l’enfant.
3093. La garde de l’enfant est régie par la loi de son domicile.
3142. Les autorités québécoises sont compétentes pour statuer sur la garde d’un enfant pourvu que ce dernier soit domicilié au Québec.
La Cour d’appel explique qu’elle n’est pas au fait du cadre législatif précis ayant permis aux services à l’enfance de la Colombie-Britannique d’intervenir. Cependant, il est possible de conclure de la preuve que les services à l’enfance de cette province faisaient face à une situation d’urgence. Selon un jugement de la Cour suprême du Canada, les lois provinciales en matière de protection à l’enfance seraient similaires entre elles. Ainsi, en citant une disposition de la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec prévoyant que les mesures d’urgence ont une durée de 48h, Monsieur le juge Bouchard illustre donc la durée limitée de ce type d’intervention.
La Cour d’appel conclu donc comme suit:
« [25] Tout ceci pour dire que l’intimée ne pouvait pas s’autoriser du fait que les services à l’enfance de la Colombie-Britannique lui ont ordonné de quitter le domicile familial dans les circonstances décrites précédemment pour faire plus de 5000 kilomètres et venir s’établir, de manière permanente, avec ses enfants au Québec. Ce déplacement, clairement, demeure illicite et cela étant, je ne vois aucune raison de m’écarter des propos que tenait le juge Émond dans Droit de la famille – 143017:
[39] Cela étant, il est bien établie que la ‘’résidence habituelle’’ de l’enfant ne peut être modifiée au gré d’un parent, sans l’autorisation de l’autre parent gardien. Dans un contexte de séparation récente qui implique un tel déplacement, le lieu de résidence habituelle de l’enfant demeure celui qui était le sien avant son déplacement.
[40] Ce principe est énoncé dans l’arrêt Droit de la famille – 3451 ou la Cour rappelle que la notion de ‘’résidence habituelle’’ de l’article 80 C.c.Q. écarte tout débat portant sur la détermination du domicile en fonction de la volonté de l’un ou l’autre des parents d’établir son domicile a un endroit plutôt qu’a un autre. (…)
(…)
[41] Dans cet arrêt, la Cour précise que le parent qui va s’établir dans un autre lieu avec l’enfant du couple, hors de la connaissance ou sans le consentement de l’autre parent, avec l’intention d’en faire son nouveau domicile et celui de l’enfant, déplace l’enfant illicitement. Elle retient qu’un tel déplacement ne peut servir d’assise légale à un changement de domicile pour l’enfant.
(…) »
Puisque la résidence habituelle des enfants est située en Colombie-Britannique, c’est la Supreme Court de Colombie-Britannique qui devra trancher la question de la garde des enfants et non la Cour supérieure du Québec. Le jugement rendu en Cour supérieure doit donc être infirmée et le moyen déclinatoire présenté par l’appelant, accueilli.
Le texte intégral de la décision se trouve ici.
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